En 1983, la vie était vraiment facile. J'étais salarié et célibataire, et après de longues et austères années d'études, je disposais enfin de confortables moyens financiers. Vous imaginez le tableau ! C'était plus qu'agréable. Et n'ayant plus aucun souci financier, je me suis permis d'acheter un grand nombre d'albums de BD pendant toute cette année-là. Il y avait en particulier les vieux albums Dupuis dont je rêvais depuis longtemps (j'ai un peu rattrapé mon retard), et aussi les beaux livres de la collection du Lombard, et enfin toutes les nouveautés un peu onéreuses que les éditeurs pouvaient proposer et que j'évitais auparavant. Ah là là ... je ne me suis pas privé !
Et c'est au milieu de toute cette abondance que j'ai un jour acheté
l'Empereur de Chine. Hum … il faut bien l'avouer, ce n'était vraiment qu'un album parmi d'autres.
Je n'arrivais toujours pas à m'intéresser à cette histoire ! Mon impression n'avait en fait guère changé par rapport à l'année précédente et … je crois que j'ai finalement lu ce livre à toute vitesse, en y prêtant assez peu d'attention. Il m'est difficile aujourd'hui d'en dire plus.
Aïe ! Je crois que j'ai à nouveau désespéré Stéphane !
En fait, ce n'est que bien plus tard, au cours des années 2000, que j'ai repris cet album tout neuf, et que je l'ai relu avec bien plus d'intérêt.
Et de nos jours, ce n'est toujours pas mon histoire favorite, de loin s'en faut, mais c'est tout de même une BD de la grande époque de Jacques Martin, composée avec un grand savoir faire, et qui a beaucoup de petits plaisirs à offrir. J'y ai donc fait quelques trouvailles tardives, et aussi une amusante constatation.
Figurez-vous que
l'Empereur de Chine possède beaucoup de petites ressemblances avec le
Lotus bleu.
Vous pensez peut-être que c'est une galéjade de ma part, mais je persiste et signe. Et je vais bien sûr vous en faire tout de suite la démonstration.
En fait, cette ressemblance est évidente dès le départ car à chaque fois, cette aventure chinoise commence curieusement en Inde. Pour Tintin, l'explication est évidente.
Le Lotus bleu est la suite logique de l'aventure des "Cigares du Pharaon", et le héros est toujours l'hôte du maharadjah, dans une région qui est peut-être le Rajasthan.
Pour Alix, c'est un peu moins évident. Mais après son aventure à Babylone, il n'était pas illogique de lui faire continuer son voyage vers l'Orient. Son périple commence donc à l'île Elephanta, qui est toute proche de l'actuelle ville de Bombay. Jacques Martin nous en donne d'ailleurs une image splendide.
Attiré par la Chine suite à un télégramme énigmatique, Tintin prend rapidement un bateau pour la Chine. Hergé ne nous montre pas en détail ce voyage, et on voit tout de suite le reporter qui débarque à Shanghai.
Jacques Martin raconte au contraire plus en détail ce long voyage, mais il aboutit finalement à la même image : Alix et Enak débarquent en Chine.
Une fois arrivés en Chine, la situation est d'emblée compliquée pour les deux héros. Il apparait en effet certains mystères, ainsi que des complots que l'on comprend assez mal au départ. Tintin se fait des ennemis et les ennuis vont ne vont pas tarder.
Il en est de même pour Alix, car les grecs qui se trouvent à la cour de l'empereur deviennent ses rivaux. De sombres conspirations se trament, et cela ne présage rien de bon !
Le drame est également présent, avec la maladie du fils d'un important protagoniste de l'histoire. Dans le
Lotus bleu, c'est le fils de Wang-Jen-Ghié qui est devenu fou à la suite d'un empoisonnement, et cet état provoque un grand chagrin chez le vieux chinois.
Dans
l'Empereur de Chine, c'est le fils de l'empereur lui-même qui est gravement malade, et cet état désespéré est le véritable nœud du drame.
Dans toute bonne BD, il doit y avoir un méchant qui semble tout puissant, et qui est prêt à tout pour arriver à ses fins. Dans Tintin, c'est bien sûr le terrible Mitsuhirato, qui va progressivement se révéler comme un adversaire féroce … et terriblement sournois.
Pour Alix, c'est l'Empereur de Chine lui-même qui va être un méchant redoutable. Son comportement est tantôt énigmatique et tantôt malveillant, et sa puissance semble illimitée. Il est vraiment impossible de lui échapper.
Tintin a trop peu d'alliés pour lutter contre Mitsuhirato, et il finit par se retrouver en prison. Le sort qui l'attend est terrible.
De même, Alix est emprisonné dans des conditions innommables, et il ne semble plus avoir aucune chance de s'en sortir.
Mais il y a le petit peuple chinois, qui se révèle souvent courageux et toujours plein de ressources. Et c'est ainsi que Tintin va s'évader grâce à ses amis. Il traverse également les barrages japonais grâce à des alliés de circonstance.
Alix, lui aussi, va s'évader grâce à l'intervention d'un obscur serviteur. Par la suite, il se cache avec Enak, grâce à l'aide d'une famille de pêcheurs.
Puis le dénouement s'approche, et les héros se retrouvent à nouveau emprisonnés. Tintin est prisonnier de Mitsuhirato et ce dernier va le faire décapiter (ainsi que ses amis) d'un grand coup de sabre.
Alix est lui aussi refait prisonnier par l'empereur. Ce dernier semble vouloir gracier Alix, mais Enak doit quand même être décapité, pour accompagner dans la mort le fils de l'empereur.
Et c'est alors qu'il y a un grand coup de théâtre ! Le sabre du fou est détruit par un cou de feu, et les gentils chinois délivrent Tintin.
Pour Enak, c'est un peu différent. Le sabre s'abat vers sa tête, mais il ne tranche finalement qu'une mèche de cheveux. L'empereur voulait surtout sauver les apparences.
Et c'est la fin de l'aventure. Tintin repart en bateau vers l'Europe, entouré d'une tristesse générale. Tchang est en larmes en voyant s'éloigner son bateau.
De même Alix quitte la Chine avec l'âme traversée par un grand chagrin. Presque tous les chinois qui l'ont aidé pendant cette aventure ont été exécutés par l'empereur. On ne voit pas ses larmes dans la case finale (qui ne montre qu'un bateau), mais ses dernières paroles sont terriblement éloquentes.
CQFD !
Bien sûr, les deux récits suivent une trame très différente, mais il y a au final beaucoup de détails qui se ressemblent !
Ce billet est dédié à Stéphane !