VENI VIDI VICI
Trente-Septième ( ? ) aventure d'Alix
LE RESUME
César envoie Alix et Enak à Samosate, en Commagène, une province romaine d'Asie mineure, au sud de l'Anatolie, avec pour mission de se procurer des ouvrages destinés à remplacer ceux détruits lors du siège d'Alexandrie. Mais les Romains de César sont encore en guerre contre leur ennemi Pharnace, roi du Bosphore Cimmérien, dont les troupes, dirigées par Arbacès, s'approchent dangereusement de Samosate, où les attendent les Pompéiens. En affrontant son vieil adversaire, Alix va rencontrer une étrange créature...
OU CELA SE PASSE-T-IL ?
Le début de l'histoire se déroule à Samosate, capitale de la Commagène, un ancien royaume d'Asie mineure devenu province romaine, et dans ses environs immédiats, puis s'achève un peu plus au nord, à Zéla, où les légions de César vont affronter victorieusement les troupes de Pharnace.
QUAND CELA SE PASSE-T-IL ?
La bataille de Zéla, qui conclut le récit donne la date de celui-ci : nous sommes en juin -47.
LE CONTEXTE HISTORIQUE
La dernière aventure d'Alix clairement datée dans la chronologie est « La conjuration de Baal » au cours de laquelle nous avions vu Pompée et ses partisans fuir Rome devant l'avancée des troupes de César. Nous étions alors en mars -49, peu de temps après le passage du Rubicon par César, qui se situait en janvier -49.
Après cela, la chronologie approchée, sans dates précisées par les auteurs, mais que le contexte peut situer dans cette période, permet de caser quatre aventures d'Alix :
- tout d'abord trois aventures « égyptiennes » entre mars -49 et juillet -48, avant l'arrivée de César en Egypte, « Ô Alexandrie », « Le fleuve de jade », « Le démon du Pharos », que l'on peut imaginer enchaînées ;
- puis « Le cheval de Troie » daté de juillet -48, année de Jeux Olympiques.
Et pendant ce temps-là, que nous dit l'Histoire, la vraie ?
Le 17 mars -49, Pompée quitte l'Italie avec vingt cohortes, laissant le champ libre à César, et rejoignant les consuls qui se sont déjà enfuis à Dyrrachium ( Dürrès, aujourd'hui en Albanie ). Pompée comptait sur ses alliances de la Grèce et de l'Orient pour reconquérir l'Italie, mais il va tarder à les mettre en œuvre et cela lui sera fatal.
César, lui, ne perd par de temps : comme on l'a vu dans « L'or de Saturne », il va mettre la main sur le trésor de Rome, abandonné par le consul Lentulus : 15 000 lingots d'or, 30 000 lingots d'argent et trente millions de sesterces. De quoi voir venir pour ouvrir un second front en Hispanie où il part le 7 avril -49, mettant au passage le siège devant Massilia ( Marseille ) qui lui a fermé ses portes, fâchée d'avoir été exclue des marchés gaulois. Après avoir vaincu une première fois les Pompéiens en Hispanie, il obtient la reddition de Massilia, puis revient à Rome à la fin de l'année -49.
Le voilà nommé dictateur. Il lui faut maintenant s'occuper sérieusement de Pompée dont les forces s'accroissent sans cesse. Il débarque à son tour à Dyrrachium et la bataille décisive à lieu en Grèce, à Pharsale, le 9 août -48. Pompée est vaincu, son armée ayant perdu 15 000 morts et 24 000 prisonniers, tandis que dans sa propre armée, César ne signale la mort que de 200 légionnaires et de trente centurions ; il n'y aurait pas un peu d'exagération, là ?
Pompée s'enfuit en Egypte et arrive à Péluse, à l'est du delta du Nil, où le roi Ptolémée XIII et ses ministres Pothinus et Achillas, qui étaient jusqu'alors ses soutiens, mais qui veulent désormais se mettre bien avec le vainqueur, César, le font tomber dans un guet-apens et l'assassinent à peine débarqué.
César débarque à son tour le 20 octobre à Alexandrie, déplore ( sincèrement ? ) la mort de Pompée, et s'installe au palais royal, où la monarchie égyptienne vit une situation compliquée.
Ptolémée XIII et Cléopâtre VII sont à la fois frère et sœur et époux, et ne se sont jamais entendus. Le roi a obligé la reine à s'exiler en Syrie à la suite d'intrigues de cour. César réclame l'arriéré des énormes dettes que leur père, Ptolémée XII Aulète ( le joueur de flûte ) a contracté envers Rome, mais il veut aussi réconcilier les deux souverains, qu'il convoque. C'est facile pour Ptolémée XIII, mais Cléopâtre, qui ne veut pas être interceptée par lui, au risque d'être exécutée elle aussi, a recours au fameux stratagème du tapis pour rencontrer César.
Celui-ci commença à gouverner l'Egypte à son idée, par dessus la tête des souverains et de leurs ministres. Cela mit en fureur les Alexandrins, fureur soigneusement attisée ; ils étaient 500 000, l'armée égyptienne comptait 20 000 hommes et 2 000 cavaliers. César n'avait que 6 000 hommes. Il se retrancha dans le Pharos et demanda du secours par mer. Celui-ci arriva sous le commandement de Mithridate de Pergame ( voir ci-après l'article qui lui est consacré ). Une nouvelle bataille où périt Ptolémée XIII eut lieu le 6 février -47.
Avec Cléopâtre, César se promène alors sur le Nil jusqu'à la première cataracte, mais il doit repartir en mai -47 pour l'Orient, en laissant l'Egypte sous la garde de trois légions. C'est que Pharnace, roi du Bosphore Cimmérien, s'est révolté contre Rome.
Pour bien comprendre l'attitude de Pharnace, il faut remonter le temps et parler d'abord de son père, Mithridate VI Eupator, l'un de plus féroces ennemis des Romains : voir ci-après les articles qui leur sont consacrés, ainsi qu'à la bataille de Zéla, qui conclut leur affrontement contre Rome.
Mithridate de Pergame
Selon une rumeur, il aurait été le fils illégitime de Mithridate VI Eupator ( voir article suivant ), auprès de qui il est éduqué, mais officiellement, il est le fils du pergaménien Menedotos et de la princesse galate Adobogion.
Cet ami de César intervient lors de la guerre d'Alexandrie, au début de -47, en lui amenant des renforts de Cilicie et de Syrie, alors qu'il est assiégé dans la capitale de l'Egypte. Mithridate arrive par la côte, à Péluse, où il livre bataille à l'armée égyptienne, et la vainc avec l'aide d'Antipater et de ses mercenaires juifs et arabes.
Puis, Mithridate et ses alliés contournent le delta du Nil par le sud et les Egyptiens sont vaincus une nouvelle fois au lieu-dit « le camp des Juifs ». Les vainqueurs rejoignent l'armée de César.
Celui-ci récompense Mithridate en lui accordant diverses possessions, dont le royaume du Bosphore ( Crimée ), qui sera enlevé à Pharnace après sa défaite, mais ce royaume est occupé par un usurpateur, Asandros. Mithridate est vaincu en voulant le récupérer et il est tué en -46. Asandros récupérera le trône du Bosphore avec l'appui d'Octave et il règnera comme roi-client de Rome jusqu'à sa mort en -17.
Mithridate VI Eupator ( -132/-63 )
Eupator signifie : « de noble naissance » ; on dit aussi : Mithridate le Grand. Selon Cicéron : « le plus grand des rois auquels Rome eût jamais fait la guerre ». Il est le fils aîné du roi du Pont, Mithridate V, fidèle allié de Rome, et de la princesse grecque de Syrie Laodicée. Né à Sinope, il reçoit une éducation raffinée, mais après l'assassinat de son père par sa mère en 120, il s'enfuit devant les menaces sur sa vie, avant de s'emparer du pouvoir en 114. A cette date, Rome a repris au Pont une partie de son territoire, la Grande Phrygie.
Mithridate veut alors chasser Rome de l'Asie, il réorganise son royaume, le dote d'une solide armée de mercenaires et parvient en quelques années à annexer l'essentiel des côtes sud-est, est ( Colchide, la Géorgie ) et nord ( Chersonèse Taurique, la Crimée ) du Pont Euxin ( Mer Noire ). En -89, il envahit les territoires de rois de Cappadoce et de Bithynie, vainc les troupes romaines et exécute le légat Manius Aquilius.
Il devient le champion des intérêts grecs d'Asie mineure et de Grèce face à Rome et le symbole des sentiments anti-romains des Anatoliens. En -88, exaspérés par une exploitation éhontée de la part des publicains romains, ils massacrent 80 000 Romains et Italiens à la demande de Mithridate, avant de comprendre que sa tutelle serait aussi rude et d'appeler à la révolte contre lui.
Rome envoie Sylla en Grèce, où il assiège et pille Athènes en -86, et impose à Mithridate le retour à la situation antérieure, par la paix de Dardanos en -85.
En -74, Rome reçoit la Bithynie en héritage. Dès son annexion, elle est mise au pillage par les publicains. Mithridate envahit la province, accueilli en libérateur. Chargé de la riposte, Lucullus vainc le roi qui se réfugie en Arménie, chez son ami le roi Tigrane, qui refuse de le livrer, et il est momentanément sauvé par le dissensions romaines qui entraînent le rappel de Lucullus en -68. Son successeur, Pompée, réoccupe le Pont et la Cappadoce en -65.
Mithridate s'enfuit en Crimée où il est renversé par son fils Pharnace. Craignant d'être livré aux Romains, il tente de s'empoisonner, mais il a eu le tort de s'habituer au poison ( la fameuse mithridatisation ) et il est finalement exécuté par un de ses gardes, d'un coup d'épée.
Malgré sa position anti-romaine constante et 25 ans de guerres quasi-continues, il a échoué à chasser Rome d'Asie mineure et de Grèce. Rome lui est supérieure militairement, avec des généraux comme Sylla, Lucullus et Pompée, et il a épuisé les ressources de son royaume en hommes, or et ravitaillement. Après avoir été confiées à des dynasties locales, ses possessions sont peu à peu intégrées dans l'Empire romain.
Pharnace
Fils aîné de Mithridate VI Eupator, il se révolte contre lui et le contraint au suicide. Pompée lui concède le royaume du Bosphore ( Crimée et territoires voisins ) de -63 à -47.
Pendant la guerre civile romaine, il tente de récupérer le royaume du Pont et les territoires anatoliens pris par les Romains en -64 à Mithridate VI Eupator : la Colchide et la Cappadoce. A Nicopolis ( est de l'Anatolie ), avec l'aide des Galates, il bat l'armée romaine composée de quatre légions de Domitius Calvinus, en novembre -48. Il conquiert ensuite le Pont, exterminant tous les Romains
Après sa défaite à Zéla, il s'enfuit par le Pont Euxin et il est tué dans un engagement naval contre son ennemi Asandros ( le même qui s'est déjà « occupé » de Mithridate de Pergame ) en tentant de regagner son royaume du Bosphore.
La bataille de Zéla
Arrivant d'Egypte, César rejoint Pharnace à Zéla, près de l'actuelle ville de Zilé, au nord-est de l'Anatolie. La bataille a lieu à la fin du mois de juin -47.
L'utilisation des chars à faux y est attestée : « Il y eut de la confusion provoquée par la cavalerie ennemie et les porteurs de faux, mais César remporta la victoire grâce à ses troupes lourdement armées. » ( Dion Cassius).
SAMOSATE ET LA COMMAGENE
Samosate, dont le nom signifierait « soleil », est une cité fondée par le roi Samès d'Arménie, et fut la capitale du petit royaume hellénistique de Commagène du -II° siècle à 72 de notre ére, puis intégrée à la province romaine de Syrie. Ses ruines se situaient près l'actuelle ville turque de Samsat, province d'Adiyaman, près de l'Euphrate. En 1989, le site a été englouti sous les eaux du barrage Atatürk.
La Commagène est un ancien royaume hellénistique situé au sud de l'actuelle Turquie, fondé en -162.
Au cours du premier millénaire avant notre ére, ce pays fut successivement disputé entre les Hittites, les Cimmériens, les Assyriens, pour échoir aux Mèdes au -VI° siècle, puis aux Perses de Cyrus le Grand au -IV° siècle, et enfin partagé entre l'Arménie et l'empire d'Alexandre le Grand.
Le royaume hellénistique, capitale Samosate, est fondé par son gouverneur, Ptolémée ( rien à voir avec son homonyme d'Egypte ), qui était soit un macédonien, soit un Parthe hellénisé. En -64, le roi Antiochos 1er aide Pompée contre les Parthes et reçoit en récompense des territoires voisins qui agrandissent son royaume.
Ce roi fait ériger sur le mont Nemrod le sanctuaire de Nemrut-Dagi, le « logis des dieux », dieux syncrétiques dans l'esprit hellénistique, synthèse des dieux grecs et perses, par exemple Apollon-Mithra-Hélios. Détruit par les Romains, le sanctuaire ne fut redécouvert qu'au XIX° siècle.
Antiochos 1er fut successivement l'adversaire, puis l'allié de Marc Antoine contre les Parthes, puis dans la guerre civile romaine contre Octave. Après Actium, la Commagène devient un Etat client de Rome. Son destin est désormais lié à celui de l'Empire romain.
LE CALENDRIER ROMAIN
Dès sa première page, cet album nous rappelle que ce récit se déroule au cours d'une année exceptionnelle : la seule de l'Histoire qui comporta 450 jours ! Il faut dire que les gouvernants de la République romaine avaient tellement bricolé leur calendrier au cours des siècles qu'une louve ( même romaine ! ) n'y aurait pas retrouvé ses louveteaux. D'où l'intérêt de faire du neuf et du raisonnable.
Le mot « calendrier » vient de « kalendarium », dérivé de « kalendae », le premier jour du mois et désigne à l'origine les registres des intérêts de l'argent dû à cette date.
L'almanach portait le nom de « fasti » parce qu'il indiquait la liste des jours de l'année, fastes et néfastes, comm on le verra plus loin.
Le calendrier romain eut trois états, le premier étant celui dit « de Romulus », qui comportait dix mois de 30 ou 31 jours, correspondant chacun à l'ensemble des phases de la lunaison ( mensis). Le premier mois de l'année était mars, marquant la reprise des activités agricoles et guerrières.
Numa Pompilius aurait réformé le calendrier sur un système soli-lunaire, l'année commence toujours en mars et s'achève en février, avec 12 mois inégaux, auxquels s'ajoute tous les deux ans un mois intercalaire, le « mercedonius », de longueur variable fixée par les pontifes et permettant de raccorder les évolutions respectives du soleil et de la lune.
Ce système donna lieu à de nombreux abus de la part des prêtres, et César, alors grand pontife ( pontifex maximus) et dictateur, ordonna une réforme dont il chargea l'astronome alexandrin Sosigène, les divisions de l'année étant réglées d'après le cours du soleil. L'année comporte 12 mois et commence en janvier. Le calendrier « julien » ne sera réformé qu'au XVI° siècle par le pape Grégoire XIII, devenant le calendrier « grégorien ». Il est toujours en usage : nos mois se succèdent dans le même ordre qu'à Rome et leurs noms viennent de leur nom latin dans le premier calendrier, sauf ceux de juillet et août qui portent les noms de Jules César et d'Auguste.
La semaine de sept jours, d'origine biblique, n'apparaîtra qu'avec le christianisme. Le calendrier est divisé en périodes de neuf jours, dont le dernier, « nundinae »est le jour de repos dans le travail agricole, et aussi le jour de marché où les paysans se rendent à Rome.
Trois dates fixes servent de repère : les calendes, premier jour du mois, les nones, le 5 ou le 7 du mois, les ides, le 13 ou le 15 du mois. Dans le calendrier lunaire primitif, ces dates correspondaient aux phases de la lune. Les Romains datent les jours « à reculons » par rapport aux dates fixes, ainsi, le 2 janvier est le 4° jour avant les nones de janvier.
On désigne les années par les noms des deux consuls en charge.
Le calendrier a toujours eu à Rome un caractère sacré. Selon leurs propres critères, les prêtres déterminaient les jours fastes ( dies fasti ) et les jours néfastes ( dies nefasti ), le « fas » étant « ce qui est permis par les dieux ». Aux jours fastes, l'activité humaine est possible, l'activité judiciaire notamment, car elle est assurée de l'assentiment des dieux ; on pouvait aussi réunir les comices, les assemblées du peuple romain. Les jours néfastes sont défavorables à l'action des hommes. Ces divers jours sont marqués dans les calendriers par les lettres F, C ou N.
Etaient aussi indiqués dans les calendriers : les jours de fêtes ( dies festi ) pendant lesquels on abandonne les activités profanes pour honorer les dieux, les jours réservés à la conduite des activités publiques ( dies profesti ), et les « dies religiosi », ces derniers étant les jours où une catastrophe s'était produite dans l'histoire de Rome et à la date anniversaire desquels on renonce à toute activité publique ou privée par crainte d'un nouveau désastre ; il n'y a pas plus superstitieux qu'un Romain !
DES DIEUX, DES SIGNES ET DES RITES
On voit ici les habitants de Samosate, dans une période troublée et dangereuse, rechercher dans un sacrifice sanglant des signes envoyés par une divinité. Et avec celui-là, un boeuf sans cœur, ils sont servis ! Pour les Anciens, tout événement, en particulier s'il était inhabituel, pouvait être un signe envoyé par les dieux. Restait à le décrypter pour savoir ce que le dieu avait pu vouloir dire, quel avertissement ou quel message favorable il avait pu envoyer.
Des prêtres, spécialisés ou non, étaient chargés de comprendre ces messages divins figurant par exemple, comme dans cette histoire, dans les viscères de l'animal sacrifié. A Rome, les haruspices étrusques les recherchaient surtout dans les foies, et il existait des modèles de foies en bronze d'apparence normale ou particulière, pour guider les devins. Mais le présage pouvait tout aussi bien provenir de la direction d'une fumée ou du vol des oiseaux. Si l'aigle était bien entendu l'envoyé de Zeus, les corbeaux ont fait une belle carrière dans la divination, leurs évolutions étant généralement néfastes pour les Romains, fastes pour les Celtes.
Mais les oiseaux ne se contentaient pas de voler : j'ai déjà raconté dans une autre analyse l'histoire des poulets sacrés qu'un amiral romain interrogait avant une bataille navale contre les Puniques. Les poulets refusant de picorer, l'amiral les flanqua à la mer : « S'ils n'ont pas faim, qu'ils boivent ! » Et, bien entendu, il perdit la bataille. Moralité : il ne faut jamais mépriser des signes, quelle que soit l'apparence qu'ils prennent.
Il n'y avait pas que les batailles : avant de conclure une affaire, un contrat, un mariage, il convenait de rechercher les signes envoyés par les dieux et les interpréter. En cas de signe clairement négatif, ou simplement de doute, il valait mieux s'abstenir.
Pour s'assurer en tous temps la bienveillance, ou du moins la neutralité des dieux ou d'ancêtres ( il ne fallait pas non plus négliger le souvenir de ces derniers, au risque d'être tourmenté par leur lémure, leur fantôme ), il convenait de respecter un certain nombre de rites, clairement définis, chaque dieu ayant les siens. Cela constituait généralement en une fête annuelle comprenant un sacrifice, une procession, des danses et des chants, mais n'empêchait pas de recourir aux bons offices de la divinité à d'autres moments, dans des circonstances particulières, comme les guerres, les épidémies, les famines ou les dérèglements climatiques.
Comme les divinités, les rites se nichaient partout, y compris dans les activités les plus quotidiennes et les plus banales. Il fallait y veiller, car on risquait d'offenser un dieu en faisant quelque chose d'imprévu ou d'inhabituel, contredisant un rite établi dont le respect mettait au contraire le maximum de chances de notre côté. Par exemple, un Romain devait commencer de gravir ou de descendre un escalier du pied droit, le côté faste, et terminer de même ; et c'est pour cela qu'aujourd'hui encore, nos escaliers ont généralement un nombre impair de marches.
Voyons maintenant quelques unes de divinités dont il est question dans ce récit.
Pavor
Le mythe de la peur porte aussi en grec le nom de Déimos. La peur est une déesse allégorique, fille de Mars et de Vénus. Elle avait un temple à Sparte et une statue à Corinthe. Elle figure, dans l'Illiade, sur l'égide de Minerve et sur le bouclier d'Agamemnon. Eschyle représente les chefs jurant par elle. Thésée lui sacrifia, pour qu'elle ne saisisse pas ses troupes, et Alexandre l'invoqua avant la bataille d'Arbeles.
Pavor est aussi un dieu romain auquel Tullius Hostilius éleva une statue.
Déimos, la peur, avait un frère nommé Phobos, la terreur ; ce sont les noms que portent les deux satellites de la planète Mars, qui a pris le nom de leur père.
Némésis
Dans la mythologie grecque, Némesis était la déesse de la juste colère des dieux et du châtiment céleste, parfois assimilée à la vengeance. La mythologie romaine en fait « Invidia », soit : « l'indignation devant l'injustice ». C'était aussi un messager de mort envoyé par les dieux comme punition. Elle est l'exécutrice de la justice de Zeus, et dans les tragédies grecques, elle apparaît comme vengeresse des crimes et celle qui punit l'hybris ( voir ci-après ). A Rome, elle était révérée par les généraux victorieux et était la patronne des gladiateurs.
Un mot sur l'hybris ( ou hubris ) : c'était la démesure, le sentiment violent inspiré par les passions et l'orgueil. C'était un crime dans la Grèce antique, elle recouvrait des violations comme les voies de fait, les agressions sexuelles, et le vol de propriété, publique ou sacrée. C'est la tentation de folie imprudente des hommes, tentés de rivaliser avec les dieux, ce qui leur vaut en général de terribles punitions infligées par ces derniers.
En conséquence, la morale des Grecs reflète la mesure, la modération et la sobriété : « de la mesure en tout », « jamais trop », « toujours assez ». L'homme doit rester conscient de sa place dans l'univers, à la fois de son rang social dans une société hiérarchisée et de sa mortalité face aux dieux immortels.
Hermès
L'un des scribes qui assiste Alix lui remet un ouvrage ésotérique censé être écrit par le dieu Hermès. Ce livre de magie renvoie probablement à Hermès Trismégiste, « le trois fois grand », un étonnant personnage qui, pour être imaginaire, n'en a pas moins fait une longue carrière.
Hermès Trismégiste est un personnage mythique de l'antiquité gréco-égyptienne, auteur des « Hermetica » ou « Corpus hermeticum », recueil de traités mystico-philosophiques. Les hermétistes lui doivent leur nom et les alchimistes se réclament de lui.
Il est assimilé au dieu égyptien Thot, et serait l'inventeur de l'écriture, de l'astronomie, de la lyre et de la culture de l'olivier, selon Hécatée d' Abdère ( -IV° siècle ).
Pour les auteurs gréco-romains, ses œuvres contenaient la philosophie des Egyptiens, et toutes les sciences, tous les arts, toutes les découvertes. Par la suite, les auteurs chrétiens le récupérèrent, comme prophète ayant annoncé le christianisme aux païens. Le Moyen-âge et la Renaissance font de nombreuses traductions de ses œuvres et le considèrent comme le fondateur de l'alchimie : « car il sut toute triple philosophie naturelle : minérale, végétale et animale. »
GEANT.E.S DE TOUS LES PAYS...
Alix rencontre Personne, la géante, mais celle-ci doit de sentir un peu seule parmi les autres personnages de taille normale, car si les géants sont abondants dans les légendes, en revanche ils sont rares dans le monde réel.
Dans toutes les mythologies de toutes les civilisations, il est fait allusion d'une manière ou d'une autre à un peuple de géants qui aurait jadis régné sur la Terre.
Certaines maladies humaines, comme l'acromégalie, peuvent provoquer une croissance hors normes, mais la science considère aujourd'hui ces personnages mythiques comme « cryptides », c'est à dire des êtres dont certains supposent l'existence, laquelle n'est étayée par aucune preuve scientifique ; Nessie ou le Yéti en sont les exemples les plus connus.
En dehors des allusions dans la littérature, dont il faut laisser la responsabilité à l'imagination des auteurs, tout le reste relève de légendes ou de falsifications, volontaires ou non, comme des fossiles mal interprétés par des naïfs ou des fraudeurs. Un exemple : au Moyen-âge, dans le sud de la Russie, on déterra des crânes de mammouths privés de leur défenses par les chasseurs préhistoriques ; les terrassiers, n'ayant jamais entendu parler d'un tel animal, ni même d'éléphants, et voyant l'orifice correspondant à la trompe, s'imaginèrent avoir affaire à des... cyclopes.
La Bible fait de nombreuses allusions à des géants. On sait que David combattit et vainquit Goliath, qui mesurait 2,80 m, c'est le plus connu. Mais la Genèse ( VI, 1-4 ) dit aussi : « et il y avait des géants sur la Terre en ces temps-là ». Dans le Livre des Nombres : « nous vîmes des géants, les fils d'Anak, et nous étions devant eux comme des sauterelles ». Dans le Deutéronome, il est fait référence à l'Og géant, le roi de Basan : « Og seul restant des fils des géants, son lit était de 9 coudées de long et de 4 de large », ce qui en fait un beau meuble de 4,5 m de long sur 2 m de large. Dans le Livre de Josué, il est fait référence à la « terre des géants », les Anakims. Josué les fit exterminer quand il prit possession de Canaan. Ces divers personnages peuvent correspondre aux « nephilim », des anges déchus venus sur la Terre pour s'unir aux filles des hommes « et ils peuplèrent la Terre de violence » ; cela indigna Yaweh qui provoqua le Déluge auquel seuls Noé et sa famille survécurent.
Dans la mythologie grecque, les géants sont des créatures chtoniennes issues du sang d'Ouranos castré par son fils Cronos. Leur stature et leur force sont exceptionnelles, mais ils n'ont pas tous une apparence humaine, certains ayant une tête de lion, d'autres des serpents à la place des jambes.
Dans la mythologie nordique, les géants ( jötnar, au singulier : jötunn ) sont des humanoïdes personnifiant les forces de la nature. Ils vivent à l'écart des hommes et sont en guerre perpétuelle avec les dieux, qui sont l'ordre, alors que les géants sont le chaos. Le Ragnarök est l'ultime affrontement entre les dieux et les géants qui s'achève par la destruction de la Terre entière
Faute de réalité physique, les géants inspireront une quantité de contes, de légendes et d'oeuvres littéraires, comme les Gargantua et Pantagruel de Rabelais, ou les habitants de Brobdingnac que Jonathan Swift fait rencontrer à Gulliver, sans oublier le Micromégas de Voltaire, citoyen de Sirius et visiteur de Saturne, qui mesurait 120 000 pieds, soit 40 kilomètres, une taille tout à fait raisonnable pour un géant, tandis que les Saturniens ne mesuraient que 6 000 pieds, soit deux kilomètres, des nains, en quelque sorte.
LUCIEN DE SAMOSATE, LE « VOLTAIRE DE L'ANTIQUITE »
On ne peut pas passer un moment à Samosate sans évoquer son fils le plus célèbre. Il a vécu deux siècles après Alix, mais le personnage est suffisamment intéressant pour lui faire une petite visite.
Le « Syrien » Lucien ( 115/190 ) comme il se désigne lui-même, naquit à Samosate sur l'Euphrate, dans le sud de l'actuelle Turquie, l'ancienne capitale de la Commagène qui dépendait de la province romaine de Syrie depuis Vespasien.
Sa langue maternelle est l'araméen, mais sa culture est grecque. Il fait ses études à Smyrne, puis est brièvement avocat à Antioche, et enfin « sophiste », c'est à dire rhéteur-conférencier et professeur itinérant pendant plusieurs années, où il va en Grèce, Macédoine, Italie, et même en Gaule, où il dit avoir gagné beaucoup d'argent grâce à son talent.
Ses conférences en grec rencontrent partout un public cultivé. Vers 150, il s'installe à Athènes, la ville intellectuelle par excellence, fréquentant les diverses écoles avec un net penchant pour l'épicurisme, mais il se garde de tout dogmatisme et n'hésite pas à critiquer ses confrères stoïciens et grammairiens.
En 163, il revient à Antioche et à Samosate, puis fait un séjour en Egypte dans les années 170, où il occupe un poste de fonctionnaire auprès du préfet. Il poursuit ses conférences et finit sa vie à Athènes.
Telle est l'ascension sociale d'un « barbare » devenu grec et romain grâce à son éducation : « Les choses mêmes que je dis, où les ai-je prises, sinon chez les écrivains et les penseurs d'autrefois, cueillant vos fleurs, comme une abeille, pour les montrer aux hommes ? Et les hommes admirent chacune d'elles. »
Sa culture est vaste, il connaît les poètes et les prosateurs du passé et s'en nourrit, mais il est aussi inventif. Il est porté vers l'épicurisme, mais il a souvent les accents du cynisme ou les nuances du doute sceptique. C'est un éclectique, le « Voltaire de l'Antiquité », alors que le XVIII° siècle assimilait simplement « lucianisme » et athéisme. Il est surtout un continuateur de la tradition des grands classiques, élement essentiel de la renaissance grecque sous le Haut Empire.
Son œuvre est considérable et touche à plusieurs genres : dialogue, essai historique, littéraire et philosophique, autobiographie, nouvelle, roman, pamphlet, poésie. Il a laissé des observations sur les régions où il a circulé : sur Rome « et ses tumultes », sur la Gaule qu'il a visitée jusqu'à l'Océan et où il fait des observations sur la mythologie des Celtes, sur l'Egypte, la Syrie et Antioche, sur l'Anatolie ( « terre de superstitions » ) et une Athènes idéalisée où tout n'est que calme et beauté.
Dans ses « Dialogues des morts », souvent imités par la suite ( par Fénelon et Fontenelle entre autres ), il compose une satire cocasse et féroce des travers humains, une fois que l'homme descendu aux Enfers apparaît dans sa vérité : les belles et les beaux ne sont plus que des squelettes, les humbles trouvent leur revanche, les captateurs de testaments meurent avant ceux dont ils convoitaient l'héritage...
Les « Dialogues des dieux » sont des fantaisies mythologiques tournant en dérision le panthéon antique, en particulier les amours illicites des dieux.
Les « Dialogues des courtisanes » ( qui seront illustrés par Picasso et Maillol ) évoquent diverses formes d'érotisme avec élégance et humour : on y rencontre divers types de personnages qui feront une longue carrière, comme la mère maquerelle cupide, le matamore amoureux, la jeune courtisane naïve, le jeune garçon mal surveillé...
D'autres dialogues appartiennent à la philosophie, mais aussi aux genres fantastique et bouffon.
Lucien a aussi composé des nouvelles et des contes, comme « L'âne », qui narre les aventures picaresques et érotiques d'un homme changé en âne. Les « Histoires vraies » sont censées retracer l'odyssée de Lucien lui-même, allant à la découverte de l'autre continent au-delà de l'Océan, passant par le Ciel où il visite la Lune ( voir ci-après), avalé par une baleine, séjournant dans « l'île des bienheureux ». Dans un de ses récits de revenants, on trouve pour la première fois l'anecdote de l'apprenti sorcier qui aura une belle postérité jusqu'à Goethe, Paul Dukas et Disney ( Fantasia ).
Il compose aussi de féroces pamphlets sur les philosophes cyniques, les professeurs incapables, les faux prophètes, les riches insolents humiliés au cours des Saturnales, les graeculi ( petits Grecs ) clients des patrons romains...
A cause de son « Voyage dans la Lune », on fait souvent de Lucien l'inventeur de la science-fiction, mais c'est très exagéré, car la science n'apparaît pas dans ce conte qui n'est qu'un voyage fantaisiste.
Lucien et ses compagnons voyagent en mer et un grand vent les emporte jusque sur la Lune, qui est un Etat très semblable à ceux de la Terre, d'ailleurs gouvernée par un terrien, Endymion, que le vent a emporté là lui aussi. Endymion et les Sélènes sont en guerre constante contre les habitants du Soleil, Hélios et ses sujets ; battus une première fois, ils espèrent maintenant avoir leur revanche. La description des Sélènes est tout aussi délirante : ils n'ont qu'un sexe, et les enfants leur viennent par le mollet ; ils naissent morts, et il faut les exposer à un courant d'air pour les amener à la vie ; à la fin de celle-ci, ils redeviennent un courant d'air.
Ce roman farfelu doit tout à l'imagination de son auteur et rien à la science, exacte ou pas. En revanche, il a manifestement inspiré « Les Histoires comiques des Etats et Empires de la Lune et du Soleil », de Cyrano de Bergerac ( 1619/1655 ) ainsi que les aventures fantastiques du Baron de Munchausen.
COMMENT EST RACONTEE L'HISTOIRE ?
Passons sur l'absence de numérotation de cet album, qui semble faire croire qu'il s'agit d'un hors-série, donc quelque chose d'exceptionnel, alors que c'est une histoire assez banale. J'ai moins aimé le bandeau publicitaire : « le retour d'Alix » qui n'était pourtant jamais parti bien longtemps, assurant sans faillir son rendez-vous quasi annuel avec ses lecteurs ; cela paraît assez désobligeant pour les autres auteurs qui ont toujours fait le nécessaire pour que ce rendez-vous ait lieu.
Quant au contenu... Tout d'abord un dessin finalement classique, qui ne se démarque pas sensiblement de celui des autres auteurs, rien à voir avec celui d' « Alix Senator », par exemple. Le trait est précis, nerveux, les scènes de bataille sont animées, les couleurs vives... mais cela reste néanmoins assez loin du niveau atteint par Jacques Martin au sommet de son art. A noter que pour faire tenir cette histoire dans les 46 pages habituelles, il a fallu empiler parfois jusqu'à six rangées d'images, alors qu'on s'était habitués à trois ou quatre ! Rendons justice au dessinateur qui a réussi à les rendre claires et lisibles d'un bout à l'autre.
Mention honorable, mais sans plus ; à confimer la prochaine fois, s'il y a une prochaine fois.
Le scénario, au contraire, m'a paru manquer de crédibilité. Qu'Alix soit nommé préfet intérimaire pour effectuer un travail de bibliothécaire, pourquoi pas ? A Rome, à cette époque, un préfet était un gouverneur de province, le plus haut grade hors de la Ville ; est-ce bien cohérent ? On le voit accompagné d'une équipe de scribes dont le gabarit impressionne le grand prêtre ; ils dénichent quelques « volumen » et... disparaissent de la suite de l'histoire ; tout comme Arbacès et ses sbires après le combat dans le souterrain ; on ne sait pas non plus ce que deviennent Livie et les autres personnes de sa maisonnée réfugiés au même endroit...
Il y a aussi des enchaînements largement cousus de fil blanc. Après sa première rencontre avec Arbacès, Alix se repose chez Livie ; pris d'une crise de somnambulisme, il se retrouve dans le bois sacré, où Enak croit voir des traces de chevaux, peut-être ceux d'Arbacès, puis dans les souterrains des temples : fallait-il consacrer cinq pages à cet épisode ? Quand ils en ressortent, ils traversent la ville pour revenir à leur point de départ, tombent par hasard sur Callisto qui les emmène voir Personne, laquelle est une complice d'Arbacès... Ouf !
Dans l'analyse du précédent album ( « Le serment du gladiateur » ), j'avais déjà signalé que ce genre de coïncidence me paraissait un procédé un peu trop facile. « Bis repetita placent » comme disait Horace à cette époque... mais il aurait mieux valu ne pas récidiver si tôt !
L'invention de la géante est une trouvaille pittoresque à défaut d'être réaliste, car échappant complètement au monde ordinaire. Celui-ci est rattrapé par le réalisme cru des scènes de batailles et l'évolution des deux héros, mais cela n'est pas suffisant pour éveiller l'intérêt.
Pourtant, le déroulement de l'histoire avait sa logique : d'une mission anodine, on passe à un drame touchant toute une ville, pour conclure sur un combat historique. Si l'auteur s'en était tenu à cette ligne directrice, sans accumuler les éléments étranges ou étrangers, il aurait empêché son récit d'être un peu confus.
On me trouvera peut-être bien sévère, mais il y a maintenant suffisamment d'aventures d'Alix pour qu'on puisse faire des comparaisons, et les auteurs ont la partie de plus en plus difficile : raison de plus pour eux de soigner leurs histoires.
LES PERSONNAGES
Alix : on le trouve ici moins lisse et moins diplomate que d'habitude, plus rugueux, en somme : d'emblée, il reprend le grand prêtre et n'hésite pas à se colleter avec les clients de la taverne pour venir au secours d'une fille qui ne lui est rien et à qui il ne demandera rien ; de là à dire, comme Enak, que le Gaulois fruste ressurgit de temps à autre sous le Romain bien policé... Plus curieux, nous le découvrons aussi sujet à des crises de somnambulisme, répondant à un appel imaginaire. Le voici assez loin du personnage auquel nous étions accoutumés, plus nuancé : il est peut-être plus intéressant ainsi, avec des défauts et des fêlures. Cela expliquerait-il sa fascination pour l'étrange Personne ? Il a pourtant rencontré, au cours de ses pérégrinations, des personnages tout aussi curieux, celle-ci n'en est qu'un de plus.
Enak : lui aussi a évolué, dans cette histoire : on le découvre maniant une certaine ironie suave, y compris aux dépens d'Alix. S'était-il trop retenu jusqu'à présent ? Cela ne l'empêche pas d'être dévoué, astucieux et courageux avec efficacité, y compris pour participer au combat final. Et il proteste par deux fois, à raison, quand on le prend pour l'esclave d'Alix ; il est vrai qu'on pourrait s'y tromper, compte tenu des habitudes de l'époque.
Et, par ordre d'entrée en scène :
Arbacès : nous l'avions laissé très mal en point en Italie, à la fin de « La conjuration de Baal » ; il s'est apparemment bien requinqué après la grave blessure que lui avait infligé Alix et il peut remercier son serviteur. Après Pompée, le voici passé en Asie mineure au service de Pharnace pour lui préparer le terrain en contrariant l'avancée des troupes de César, avec la complicité intéressée des habitants de Samosate. Pourtant, à part se battre deux fois contre Alix, son rôle apparaît bien secondaire, il ne nous avait pas habitué à ne faire que de la figuration et n'importe quel personnage épisodique aurait pu tenir ce rôle ; comme toujours, il a deux paroles et les habitants de Samosate en subissent les conséquences.
Livie : ( à ne pas confondre avec Livie, l'épouse d'Auguste ) cette veuve de l'ancien préfet romain de Samosate est une grande dame qui préfèrerait visiblement être ailleurs. Consciente néanmoins de son rôle et de sa dignité, elle mène sa maisonnée avec énergie et fait ce qu'elle peut pour la protéger. Elle ne dissimule pas la sympathie qu'elle éprouve pour Alix, et il est dommage que l'un et l'autre ne puissent en profiter.
Callisto : cette servante d'auberge, fille libre, dit-elle, serait bien naïve si elle n'avait pas tout de suite compris dans quel genre d'endroit elle est allée se fourrer. Heureusement pour elle qu'elle a Alix pour venir par hasard à son secours ( que se serait-il passé s'ils ne s'étaient pas rencontrés ? ) et Personne pour la protéger. A son tour, elle comprend que la situation d'ensemble est dangereuse pour ses sauveurs et fait ce qu'elle peut pour les prévenir, en vain, toutefois.
Personne : la géante ( selon le grand prêtre : esclave, pirate, gladiatrice, prostituée, bête de foire... c'est tout ? ) est un personnage unique dans la saga d'Alix. Si la possibilité d'existence d'une telle créature est loin d'être avérée, le personnage est aussi fascinant pour nous que pour Alix ( c'est lui qui le dit ). D'où vient-elle ? De qui est-elle née ? Nous ne le saurons pas. C'est une combattante efficace et expérimentée, forte, évidemment, mais aussi courageuse et habile. Elle est dans le mauvais camp, celui de Pharnace et d'Arbacès, et après avoir ménagé Alix, elle ne lui fera pas de quartier, l'état de grâce étant terminé. Elle échoue, cependant. On ne saura pas non plus si c'est réellement elle ou son fantôme qu'Alix aperçoit à Zéla.
César : tel qu'en lui-même, il arrive à la fin de l'histoire pour la conclure en remportant la bataille. On notera avec intérêt que le grand pontife de Rome est plus habile pour traduire l'oracle de la bête à deux cœurs à son avantage que le prêtre de Samosate avec son bœuf sans cœur : si ce n'est pas de la chance, ça !
Les personnages anonymes :
Le grand prêtre : il reçoit Alix contraint et forcé et on ne peut pas dire que l'amabilité soit au rendez-vous : devant ce préfet intérimaire qui lui tombe dessus, il fait le service minimum ( il sera plus bavard pour lui parler de Personne ). Il doit attendre pour savoir de quel côté le vent va tourner, et ses oracles ne lui seront pas de grand secours dans cette perspective.
Les notables de Samosate : une belle brochette de trouillards et d'opportunistes qui cherchent d'où viendra le moins d'inconvénients, car d'avantages il n'y en aura guère. Faute d'oracle convaincant, ils ne demandent qu'à croire Arbacès, mais on sait depuis longtemps ce que vaut sa parole. Ces pompéiens naïfs seront sacrifiés avec le reste de la ville.
Le centurion : cet officier efficace et qui ne se laisse pas impressionner serait un bon auxiliaire pour Alix.
Le commandant du camp romain : plus élevé en grade que le précédent, cet autre officier qui dort avec son armure pour être plus vite prêt et protégé en cas de coup dur, n'est pas non plus un apprenti. Lui aussi vient efficacement en aide à Alix. Que devient-il ? Sans doute a-t-il rejoint les rangs de l'armée de César, puisque sa présence et celle de sa troupe ne sont plus nécessaires à Samosate.
CONCLUSION : une aventure d'Alix qui se situe dans la moyenne, sans plus. Les efforts fait pour le dessin et la documentation doivent être soulignés, mais ils sont au service d'un récit qui manque de vraisemblance et ne tient pas toutes ses promesses.
SOURCES : comme bien souvent, le « Dictionnaire de l'Antiquité », de Jean Leclant, m'a fourni l'essentiel de la base documentaire ; seuls les géants doivent leur présence aux « Cahiers de Science et Vie » ( numéro sur « Les monstres » ) et à Wikipédia.
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