Je confirme que la découpure non référencée, mais provenant des archives de Jacques Martin, illustrant l’article de Ch. Fumeux est bien tirée de Tintin/BE, n° 52, 29.12.1960, pp.18-21. Et qu’on y voit parfaitement la tunique de Messala et son motif décoratif. De toute manière, ce personnage, dans cette scène précise, a maintes fois été représenté dans la presse.
Je zoome…
Et encore un petit coup de zoom.
Celle-ci aussi a été reproduite un peu partout (ici Ciné Revue, mais elle est aussi en couverture de SPECTACULAR etc.) :
Avez-vous remarqué, comme moi, que par le plus grand des hasard, Alix conduit un attelage blanc comme Ben Hur, et Brutus un noir comme Messala ?
J. Martin était un prodigieux raconteur d’histoires, comme il aimait à le rappeler dans ses interviews ; mais je crois que son premier public – avant ses copains d’école – était lui-même. Un certain don pour confondre la réalité avec ses affabulations, au point de déclarer, parfois, qu’il « démontrerait », qu’ils « prouverait » certaines choses ou faits historiques dans un prochain album. Comme si un album de BD pouvait constituer une preuve scientifique de quoi que ce soit ! Je dois avouer que ses explications me laissaient souvent sur ma faim. Les hommes pétrifiés par le volcan de LA GRIFFE NOIRE, l’ignorance de l’arc par les Gaulois du SPHINX D’OR, etc. (il aurait mieux fait de relire la description de l’armée de secours gauloise devant Alésia, dans la Guerre des Gaules de César) autant de dogmes qu’il imposait péremptoirement. D’où que sa déclaration sur BEN HUR et la course de chars du TOMBEAU ETRUSQUE ait provoqué ma suspicion : je ne lui avais rien demandé à ce sujet, mais il tenait absolument à s’en justifier. La « Pravda », quoi.
A ma connaissance, la plus ancienne description d’une course de chars dans une œuvre de fiction est celle d’Alexandre Dumas au Chapitre IV d’
Acté (1837). Le jeune Lucius Domitius Ahenobarbus, le futur Néron, en dispute une à Corinthe. Elle prend quatre ou cinq pages serrées mais contient peu de détails techniques du genre des dauphins (qui y brillent par leur absence); la principale péripétie est que Lucius, ayant laissé tombé son fouet, se paie le luxe d’arrêter sa course pour le ramasser. Il y en a une seconde : l’Athénien serre le Thessalien, qui finit par s’accrocher et naufrager. On ne s’y défie pas ni ne s’insulte ; encore moins on ne s’agresse à coups de fouet. BEN HUR restait à écrire (1880), et à filmer ! Il est clair que Martin n’avait pas Dumas en tête lorsqu’il dessina la sienne. Comme Judas et Messala, Alix et Brutus échangent des coups, et le concurrent qui porte la même tunique que Stephen Boyd pulvérisera son char exactement comme dans le film de Wyler. Mais Martin a la sagesse de ne pas armer de lames acérées le moyeu du char du « méchant » : détail qui n’existe que dans la version 1959, non dans le roman ni la version cinématographique de 1925. Je pense du reste que ce genre de fantaisie n’aurait pas été admise par les Romains.
Il est clair que la version/les versions cinématographique(s) sont plus palpitantes que le récit de Dumas. Je me suis même demandé si, à l’écran, certains chars ne se crashaient pas deux fois !
Rappelons que la plus ancienne description d’une course de chars nous vient de la mythologie grecque : c’est celle qui oppose le roi de Pise Oenomaos au jeune Pélops, lequel désire en épouser la fille. Le roi vainqueur a l’habitude de tuer son rival à coups de lance ; mais Pélops circonvient le cocher de son adversaire, Myrtilos, qui en sabote la clavette tenant en place une des roues. Il est également question de la borne à contourner en bout de piste, nommée taraxippos (« épouvantail à chevaux »). Par essence, le mythe doit aboutir à une issue dramatique, tout comme nos fictions. Mais dans la réalité romaine, ces courses - quoique non exemptes de risques, mais sans doute pas plus que dans notre Formule 1 - ont connu des champions comme Flavius Scorpus qui à 26 ans totalisait 2.048 victoires avant de trouver la mort en course, tandis qu’un certain Dioclès, en 24 ans de carrière, prit part à 4.257 courses dont il en remporta 1.462.
Enfin, voici deux illustrations tirées du Daremberg et Saglio,
Dict des Antiquités grecques et romaines, où l’on voit bien que les chars antiques, ici grecs, n’avaient pas de palonniers, mais qu’un joug s’appuyait sur la nuque des chevaux. Les céramiques peuvent se permettre ce genre de détails (les traits du harnachement), difficiles à reproduire en sculpture. Sur la fig. 2219 on voit très bien que les traits, partant du joug/collier sont attachés directement à la caisse du char.
Enfin, ces deux vignettes extraites d’ALIX L’INTREPIDE montrent qu’en 1948, Martin dessinait ses chars en s’inspirant de la littérature scientifique (pas de palonnier). En fait, Martin a négligé de dessiner les traits : hors le collier, ses chevaux sont totalement libres (gare aux écarts !), mais comme je l’ai dit c’est un détail que la sculpture antique négligeait aussi.
Ici, on voit très bien, dans LE TOMBEAU ETRUSQUE, que le dessinateur avait des photos de film devant ses yeux. Sous le timon du char gris passe le palonnier, terminé par un anneau où l’on viendra capeller les traits.
Pour les lecteurs perspicaces qui immanquablement poseront la question : « Si les traits des chevaux des biges sont directement attachés à la caisse du char, quid quand il y a quatre chevaux, la largeur de la caisse n’étant pas extensible ? »
Eh bien, les chevaux externes, qu’on appelait
funales, n’étaient pas reliés à la caisse, mais directement aux chevaux centraux.