De cape et de crocs et autres scénarios d'Alain Ayroles

Bonjour

De cape et de crocs est une série de bande dessinée scénarisée par Alain Ayroles et dessinée par Jean-Luc Masbou. La série débute en 1995 et se termine en 2016. Elle comporte deux cycles. Le cycle principal comporte 10 tomes. Il raconte les aventures de deux animaux anthropomorphes dans l'Europe du du XVVème siècle. Le premier est un loup espagnol, Don Lope de Villalobos y Sangrin, fier et impulsif comme tout noble ibérique se doit de l'être. Le second est un renard français Armand Raynal de Maupertuis, poète désargenté et quelque peu gascon. Le cycle dérivé est consacré Eusèbe, un lapin, rencontré par les deux héros lors du premier cycle.




Concernant les deux premiers personnages, on pense immédiatement au Roman de Renart et donc à Ysengrin et Renart. Mais le récit médiéval met en scène deux animaux se détestant alors que Don Lope et Armant sont amis.
Les références sont ailleurs. En fait, Ayroles s'est d'abord appuyé sur la commedia dell'arte, avec une histoire débutant à Venise et où les coups de théâtre abondent. Puis, le scénariste a rapidement basculé sur Molière avec Les fourberies de Scapin et sa fameuse galère. Les pirates sont d'ailleurs des personnages forts amusants de l'histoire.



Après cinq tomes passés sur Terre, la série s'envole (au sens propre comme au figuré) et son théâtre se déplace sur la Lune. Là encore, les références sont multiples. On pense à L'Histoire comique des États et Empires de la Lune de Cyrano de Bergerac. D'ailleurs, l'immense bretteur, du moins selon Edmond Rostang, tient un rôle majeur dans l'histoire.



L’histoire est d'une grande complexité et les personnages principaux et secondaires sont tellement nombreux, bien campés et attachants que c'est une comédie humaine (au sens balzacien du terme) qui s'offre à nous. Ayroles joue sur l'Histoire, avec un grand H (!), et différents personnages célèbres sont évoqués comme celui de Anne Marie Louise d’Orléans, dite la Grande Mademoiselle.



Don Lope et Armand se retrouvent pris dans le conflit entre un roi et son frère, pour la possession d'un royaume. Ils n'en vivent pas moins des idylles avec la bohémienne Hermine et la princesse Séléné. Et, cerise sur le gâteau, nous avons droit à un savoureux savant fou, Bombastus, sauf que ses inventions fonctionnent !



La prose d'Ayroles est remarquable et il n'hésite pas à manier l'alexandrin, ce qui est une première à ma connaissance en BD.

De cette amour, si belle aidons le dénouement ;
N'en étant point l’objet, j'en serai l'instrument !
Portant haut ce gros cœur minci une élégance
Je ferai son bonheur sans trahir ma souffrance

Ignorant les conseils d'un fâcheux Capitan
Je fais sonner des vers où l'estoc va tintant
Élégant dans l'esquive, éloquent dans la frappe
Un rire au coin des crocs et du vent dans la cape.

Les dessins de Masbou se bonifient, opus après opus, pour atteindre des sommets lors du séjour lunaire.





L’éditeur a suivi le mouvement. Par exemple, il a publié la pièce de théâtre racontant la rencontre de Don Lopé et d'Armand, au format des petits classiques Larousse.



Quatre coffrets différents, chacun regroupant trois tomes, sont aussi sortis. Ils sont de toute beauté.




Voilà donc une série que je suis heureuse de partager avec vous.

Bonne lecture
ELéanore-clo

Merci d'avoir créé ce sujet !  

De cape et de crocs est une série qui a commencé il y a bien longtemps. J'ai lu les 5 ou 6 premiers albums lorsqu'ils sont sortis ... cela doit faire plus de 10 ans. J'avais bien aimé leur mélange d'humour et d'ironie, mais j'ai hélas perdu le fil après cela, lors du départ très fantaisiste des personnages vers la Lune. Le récit m'a dès lors paru moins convainquant, mais il est vrai que j'étais aussi un peu perdu devant la multiplicité des intrigues et des personnages.

Je me rends compte maintenant qu'il pourrait être intéressant de renouer avec cette BD.

Petite question : peut-on vraiment trouver cette petite pièce de théâtre écrite par Ayroles en librairie ? J'ai le souvenir d'un supplément à l'édition originale du tome 4 qui était justement un petit pastiche du théâtre de Molière, mais est-ce la même chose ?

Bonsoir Raymond

Tout d'abord, je conseille fortement de franchir les 5 premiers tomes. La qualité de la série devient extraordinaire une fois les personnages arrivés sur la lune. Je pense que l'on peut comparer avec Tintin. De la même façon qu'Hergé a eu besoin de quelques tomes pour se roder avant Le Lotus Bleu, et bien , Ayroles et Masbou, eux-aussi, ont eu besoin d'une période d'apprentissage.





Concernant la pièce de théâtre, je ne pense pas qu'elle soit en librairie. J'ai obtenu mon exemplaire au format "Petit Classique Larousse"" en écrivant aux éditions Delcourt, qui me me l'ont très gentiment envoyé.
Le texte de la pièce a été mis en ligne sur le forum dédié à De Cape et de Crocs : http://www.decape.askell.com/impromptu.php. On le trouve aussi dans l'édition originale du tome 4.

Bonne lecture  

Eléanore-clo

Je ne connais pas bien Jean-Luc Masbou, le dessinateur de De Cape et de Crocs, qui est un artisan très discret.




Il est donc intéressant de découvrir cette interview d'ActuaBD !

Jean-Luc Masbou : "Je voulais raconter l’histoire d’un vieux (...) - ActuaBD

Je profite de la très estivale pour lire Garulfo, un ensemble de 6 albums, écrit par Alain Ayroles et dessiné par Bruno Maïorana.
Le tout se décompose en deux cycles, le premier comprenant les opus 1 et 2 et le second les autres tomes.



Dans ces deux premiers items, nous faisons la connaissance d'une grenouille nommée Garulfo. Découvrant qu'un pêcheur a eu raison de son ennemi le brochet, elle décide de devenir un homme. Aussi consulte-t-il une sorcière qui l'enchante et lui donne le pouvoir d'acquérir l'humanité en embrassant une princesse. Notre héros se rend au château du roi mais se trompe de femme et il unit ses lèvres à celle de Pipa, une modeste servante. Le souverain qui se méfie de notre héros l'accueille avec faste car Garulfo pourrait être le fils d'un puissant voisin. Et puis, le monarque ayant été infidèle durant sa jeunesse, il se pourrait que Pipa soit vraiment une de ses enfants. Mais la fille légitime du roi, Héphilie, et surtout la cour ne l'entendent pas de cette oreille. Il faut se débrasser de l'intrus….

Raconter la BD comme je l'ai fait lui fait perdre de sa saveur car Ayroles s'amuse (et nous avec) à déconstruire les contes. Le mauvais caractère de la princesse contraste ironiquement avec sa beauté. Et le (vrai) prince charmant que l'on rencontre à la toute fin du récit se révèle bêta. Le roi a accumulé les infidélités et la gouvernante d'Héphilie ne recule devant aucun crime. Après, notre lecture disneyenne des œuvres de Grimm et de Perrault nous a fait oublié leur côté sordide. Sur le fond, la belle-mère de Cendrillon est une esclavagiste née cependant que celle de Blanche Neige n'hésite pas à tuer sa belle-fille. Du coup, peut être pouvons nous parler d'un certain retour aux sources.
Mais le rire nous accompagne tout au long de la narration et nous fait se moquer des circonstances les plus difficiles. Ainsi la présence de Fulbert, le canard ami de Garulfo, dans un banquet déclenche l'hilarité alors qu'on eut dû être horrifié…

La bande dessinée se veut philosophique et le procédé consistant à recourir à un étranger, une grenouille en l'occurrence, pour critiquer la société humaine rappelle Les lettres persanes. Et derrière toutes les aventures de Garulfo se cache une critique sociétale. Le royaume de Brandelune revêt les traits d'une monarchie absolue où les paysans croulent sous les impôts et les injustices.
De même, le thème de la superstition donne lieu à de beaux échanges entre le héros et l'astrologue royal. Les deux personnages se rapprochent dans leur lutte contre l'obscurantisme. Mais l'ironie règne en maitresse dans tout ce premier diptyque et la vue de grenouilles baignant dans l'alcool et manifestement destinées à être disséquées va mettre fin à une amitié qui eut pu préfigurer les Lumières.
Enfin, la conclusion des deux premiers tomes lorgne du côté de Voltaire et le retour de Garulfo à sa mare m'a rappelé la conclusion de Candide.

Il convient aussi de parler du ton d'Ayroles, ton médiéval, précieux ou moderne, superbement mis en valeur par un lettrage adapté. Cette écriture nous emmènent au théâtre. Et je n'hésiterais pas à évoquer la musicalité des dialogues.
Le style regarde aussi du côté de Perrault. D'ailleurs, Ayroles met en scène tous les archétypes du genre, depuis l'animal doué de parole (Le Chat Botté) jusqu'à la sorcière (La belle au bois dormant). Le tout affiche donc une superbe cohérence.




Le dessin de Maïorana mérite aussi le détour. Très classique, il se marie parfaitement avec le scénario. J'ai ainsi  adoré les visages, tous merveilleusement caractérisés, à peine caricaturaux mais tellement significatifs. On tremble devant la gouvernante d'Héphilie ou devant le Grand Veneur. Et les corps ne sont pas en reste, entre celui de mannequin de la princesse ou encore celui de culturiste du (vrai) prince charmant. Le graphisme participe du conte. Le trait se veut majestueux lorsqu'il dépeint la cour et dynamique durant les combats ou les poursuites. En fait, Maïorana oscille en permanence entre le dessin animé loufoque à la Tex Avery et celui plus sérieux à la Walt Disney.

Au final, c'est une très belle réussite, un chouïa en dessous de De cape et de Crocs, plus poétique et plus ambitieux sur le plan graphique. Mais tous les ingrédients du succès sont là, y compris une lecture à plusieurs niveaux que Goscinny eut apprécié.

EEEE

Eléanore

Je suis entièrement d'accord avec toi !

Garulfo est un petit chef d'œuvre, et il est bien regrettable que Bruno Maïorana se soit retiré de la bande dessine il y a quelques années, par manque de succès !

https://www.sudouest.fr/culture/bd/bruno-maiorana-arrete-la-bd-le-9e-art-n-est-pas-viable-8371495.php

J'ai poursuivi ma lecture avec le deuxième et dernier cycle de Garulfo.



L'intrigue démarre avec la naissance du prince Romuald sur le berceau duquel se penchent deux bonnes fées qui l'enchantent avec différents dons. Mais son père, le roi de Miralonde, ne veut pas en rester là et recherche une troisième magicienne pour combler son fils de toutes les grâces possibles. Sauf qu'aucune fée n'étant disponible, le souverain se rabat sur une vielle sorcière. Sous la menace celle-ci finit par accorder au bébé le don du respect des autres, avec assorti à ce don, un parcours initiatique pour acquérir la qualité. Les années passent. Or Romuald brille plutôt par sa vanité et sa fatuité. Du coup, la sorcière le transforme en une grenouille afin qu'il s'améliore et découvre l'humilité. Mais, dans ce monde magique, rien ne se perd et rien ne se crée. Du coup, l'enchantement opère simultanément sur Garulfo qui redevient en homme. Les deux compères se retrouvent et partent en quête de leurs vrais corps. Et pour ce faire, il faudra bien évidemment l'aide d'une princesse dont le baiser les guérira de leur malédiction. Justement, le roi de Brandelune souhaite marier sa fille Héphilie ! Et il l'a confié à son beau-frère, le suzerain de Lambrusquet, qui a décidé d'organiser un grand tournoi dont la jeune femme sera le trophée. Sauf qu'un ogre terrorise la contrée et que les tous les chevaliers partent le combattre. Du coup, ne joutent que quelques jeunes gens dont Garulfo sous sa forme humaine... Pendant ce temps, Héphilie découvre que sa chambre cache un passage secret qui conduit au château de l'ogre...

Avec cette tétralogie, Ayroles renverse les us des contes. Aussi le héros n'est plus une grenouille se transformant en prince mais un fils de roi se changeant en un batracien. Et dans ce monde à l'envers, le scénariste s'amuse à intervertir tous les archétypes de Perrault. Ainsi, l'ogre fait preuve de sensibilité et de gentillesse, un chat botté antipathique mène son bêta de maître par le bout du nez et certains chevaliers font preuve de lâcheté. Le lecteur ne peut que sourire devant tant de malice. Sourire et pas rire car l'humour apparaît moins présent dans une suite se voulant plus épique et plus héroïque.
J'émettrais aussi un bémol concernant les références aux contes, beaucoup plus lourdes que dans le premier cycle. Trop de contes tuent le conte pour parodier l'économiste Laffer. Et l'intrigue semble prisonnière des modèles. Sans compter que Leprince de Beaumont rejoint Perrault et Grimm.
De même, l'auteur se répète un peu avec une critique sociale devenue lourde. Les paysans souffrent toujours autant sous le joug de monarques absolus dont le fantasque n'a d'égal que la bêtise. Heureusement, l'ogre apporte une note de fraîcheur si l'on peut parler ainsi !



La bonne surprise du  cycle vient du graphisme. Clairement, Maïorana franchit un stade et les planches (muettes) où Héphilie se promène dans le château du monstre arborent une grande beauté. Les détails foisonnent et tous contribuent à la magnificence de l'édifice qu'Ayroles décrit comme une cascade figée dans le cristal. De même, le dessin des personnages a beaucoup progressé. Ainsi Héphilie n'est plus une "bombe sexuelle" sculpturale mais une charmante princesse. Et la représentation du visage de l'ogre, tantôt effrayant, tantôt larmoyant, tantôt tendre, constitue une belle prouesse artistique. De même, on ne peut qu'admirer la maîtrise des perspectives où Maïorana fait cohabiter le géant et sa prisonnière.

Au final, l'ouvrage reste de belle facture et toujours un chouïa en dessous de De cape et de crocs.

Entre EEE et EEEE

Eléanore

Bonjour

En prérequis à mon billet de ce jour, puis-je suggérer à Raymond de renommer ce fil de discussion ? Par exemple en Ayroles et l'Ancien Régime ?

Maintenant et pour en venir à mon propos, je vais commenter L'ennemi du genre humain, une BD scénarisée par Alain Ayroles, dessinée et coloriée par Richard Guérineau. Elle constitue le premier tome d'une trilogie appelée L'ombre des Lumières.



En France, au 18ème siècle, une jeune aristocrate, mariée et heureuse dans son couple, Eunice de Clairefont, est courtisée par le Chevalier de Saint-Sauveur. Elle reçoit maintes et maintes lettres, enflammées et de plus en plus crues, qu'elle détruit les unes après les autres. Lors d'un voyage de son époux, la jeune femme fait la connaissance de Corentin de la Tournerie, un bel homme, qui semble partager sa passion pour les Lumières. Leur amitié se développe et bascule insidieusement dans l'amour lorsque Corentin sauve Eunice d'une agression. Mais le si séduisant garçon est-il vraiment ce qu'il parait être ?

Avec cette BD, nous retrouvons l'Alain Ayroles que nous apprécions tous, celui de Garulfo ou encore celui de De Cape et de Crocs. Après Les Chimères de Vénus où l'auteur se noie dans l'univers d'Alex Alice, le grand scénariste retrouve ici sa liberté, son talent, son amour de la langue française et sa passion pour l'Ancien Régime.

L'ennemi du genre humain s'inspire beaucoup des Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos. Saint-Sauveur, son amie la Baronne de Féranville et Eunice de Clairefont nous rappellent le Vicomte de Valmont, la Marquise de Merteuil et la Présidente de Tourvel. La similitude entre les deux ouvrages va jusqu'à leur structure puisque tous les deux appartiennent au genre du roman épistolaire. Néanmoins, Ayroles se veut plus goguenard que Laclos et on retrouve dans les fortunes et infortunes de Saint-Sauveur l'humour développé avec le personnage de Pablos dans Les Indes fourbes.
L'ambition du scénariste le porte à dépasser un simple roman picaresque ou encore le drame de mœurs. Les Lumières ont beaucoup inspiré la BD. La discussion sur le statut juridique de l'indien, esclave ou simple objet   , npus emmène du côté de Voltaire. Et la cour de Louis XV fait aussi l’objet d’une ironie savoureuse. Tant les caprices du souverain que la bêtise des nobles prêts à tout pour un titre font beaucoup rire et réfléchir. De même, le jeu du Pharaon, présenté ici comme un faiseur ou un défaiseur de fortunes, amène à se questionner sur les aléas de la vie, sur la chance qui va et vient telle une plume au vent.
Le scénario se veut aussi féministe et Eunice professe une belle indépendance d'esprit. Tant son goût pour la recherche scientifique que son regard critique sur les injustices sociales de la Royauté témoignent d'une personnalité éveillée. Et la façon de décrire sa déchéance ne peut que soulever la compassion.  
Venons-en d’ailleurs à ce point. La BD met en scène deux anti-héros, Saint-Sauveur et De Féranville, dont le libertinage vise principalement à la destruction des âmes "pures". Eunice fait manifestement partie d’une longue liste de victimes et nul doute que d’autres héroïnes la rejoindront dans les tomes à venir. Et à ce sujet, je regrette la crudité de certaines scènes. En effet, Ayroles ne s’est pas arrêté devant les portes des alcôves et s’est attardé tant sur l’abandon de Madame de Clairefont que sur les relations charnelles entre Saint-Sauveur et ses « amies ». Le message est pourtant clair et il est inutile d’insister.
La trilogie va se déployer sur deux continents, l’Europe et l’Amérique, et l’auteur pose bellement les jalons des futurs tomes. La construction affiche une superbe cohérence et les multiples références confortent un paysage fouillé et totalement crédible. J’ai beaucoup apprécié la magnifique référence à l’opéra Les indes Galantes :





Le graphisme déploie de grandes qualités et des petits défauts. Côté positif, le classicisme du trait se marie très bien avec l'image que l'on peut avoir du XVIIIème siècle. La raideur des postures regarde du côté de Versailles et des sculptures en marbre peuplant ses jardins. Toujours du côté des réussite, Guérineau a parfaitement saisi la beauté artificielle de la noblesse et les rares vignettes où il représente des aristocrates non poudrés ou non perruqués dévoilent des corps ordinaires au diapason de ceux des "petites gens". Les décors magnifiés par des couleurs toujours bien choisies, quoiqu’un tout petit peu trop numériques, nous plongent dans un Ancien Régime crédible. Parfait alors me direz-vous ? Eh bien non. En effet, la caractérisation des visages manque de précision, ce qui peut gêner le lecteur car Ayroles ne se prive pas de recourir à une distribution pléthorique. Cette lacune est d’autant plus surprenante que le dessinateur recourt fréquemment à des semi-caricatures, notamment lorsqu’il dessine les personnages du "petit peuple".

Côté objet-livre, Delcourt réalise un travail soigné, dans la continuité de ce qui fut fait sur Les Indes fourbes. Le format de l’ouvrage ouvre la voie à de grandes vignettes qui font plaisir au regard. Le cartonnage de la couverture est agréable au toucher et son visuel s’inspire des techniques de la toile de Jouy : https://fr.wikipedia.org/wiki/Toile_de_Jouy. D’une façon générale, l’éditeur a voulu réalisé un fac-similé d’un livre du XVIIIème siècle. Le frontispice, l’avertissement et surtout le lettrage participent de la démarche mimétique.



Finalement, la BD tient toutes ses promesses. Et malgré quelques petites réserves, on ne peut que saluer le retour d’Ayroles.  Il ne reste plus qu’à espérer que Guérineau s’affranchisse de son travail sur Le chant des Stryges et regarde davantage du côté de Boucher ou de Quentin de La Tour.

Entre EEE et EEEE, voire EEEE

En sus de la critique très positive de Gilles Ratier, L'ennemi du genre humain fait la une du Canal BD Magazine n°150 consacré aux publications d'août et septembre 2023.

Eléanore

Merci pour la chronique !

Je pense que les messages se répartiront entre les sujets "Guérineau" et "Ayroles".

En regardant la vitrine de la librairie Bulles en Tête, j'ai découvert une autre facette, fort bien pensée, de la couverture de cette magnifique BD.



L'usage des lois de la perspective permet de représenter le Chevalier de Saint-Sauveur avec une taille double de celle d'Eunice de Clairefont. Cette domination graphique illustre parfaitement le caractère prédateur de l'anti-héros.

Eléanore

Et voici le commentaire de Jean-Christophe Ogier sur France Info :
https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/bd-bande-dessinee/un-mechant-au-siecle-des-lumieres_6053612.html
Cerise sur le gâteau : un petit commentaire d'Ayroles a été inséré dans la chronique.

Eléanore

Et voici maintenant l'avis de Télérama : https://www.telerama.fr/livre/une-bd-commentee-par-son-auteur-l-ombre-des-lumieres-plongee-mouvementee-dans-la-france-du-xviii-siecle-7017311.php?fbclid=IwAR3VeYSm3Rfn1DushUbFrzFltVHS31b2TzTPQS3463AfV3cWSumuQGoZ0uo.

J'ai apprécié le rapprochement entre Gonzague, le valet de Saint-Sauveur, et ses illustres modèles, Figaro ou Scapin

Eléanore

J'ai lu pendant mes vacances le tome 1 de l'Ombre des Lumières et ... mon plaisir a été un peu plus mesuré que le tien.

Même si Alain Ayroles invente une nouvelle histoire, c'est indiscutablement une reprise un peu modernisée (et en BD) des fameuses Liaisons Dangereuses de Choderlos de Laclos. Le scénariste reprend en fait le profil du personnage principal (le chevalier de Saint Sauveur qui est présenté comme un séducteur de femmes et un véritable prédateur), de même que le contexte social (la noblesse désœuvrée et pervertie du XVIIème siècle) et surtout la méthode de narration de Laclos. Il s'agit en effet d'un récit épistolaire qui permet au scénariste de jouer malicieusement avec le texte et avec les personnages. L'intrigue est racontée "au second degré", dans la mesure où les récitatifs commentent les images plutôt que de les expliquer et c'est bien sûr très malicieux. Le lecteur doit d'ailleurs "rester sur le qui vive" pour bien comprendre, puisque le narrateur n'est jamais le même de page en page. C'est un bon exercice intellectuel et c'est peut-être une des particularités de cette BD qui a plu à eleanore.  

Le dessin de Guérineau est semi-caricatural et très expressif, ce qui accentue le caractère caustique de l'intrigue. Les personnages ressemblent un peu à des marionnettes et même la presque innocente Mme de Clairefont ne suscite qu'assez peu de sympathie. Le monde du XIIIème siècle devient une scène de théâtre dans lequel rien ne doit être pris au sérieux, et les scènes de nu et de sexe (que déplore eleanore) apparaissent finalement très logiques. Le récit se veut immoral et divertissant, et il n'est donc pas malséant de choquer un peu les lecteurs.

Je n'ai pas été enchanté par tous ces déploiements de méchanceté élégante et de séduction, mais il est clair que ce monde a existé et que la reconstitution historique est  exacte. L'œuvre ne me donne pas envie de rire ni de rêver mais elle fait preuve d'un certain réalisme et on peut en tout cas la considérer comme une très bonne BD historique. Il me manque tout de même un petit quelque chose (je n'arrive pas encore à dire quoi) qui serait propre à soulever l'enthousiasme. C'est un beau travail de professionnels mais il y manque un peu d'émotion.

Il faudra que je le relise cet album plus tard, peut être lorsque sortira le tome 2.  

Au bout du compte, ce sera seulement un EEE !

Hum
Par rapport à Laclos, Saint-Sauveur est un perdant bouffon. Nous sommes très loin de Valmont. Et puis, comme vous le dites si bien, le tome 2 va nous emmener en Nouvelle France, ce que n'a pas fait Les liaisons dangereuses. Par contre, il faudra effectivement voir si le mariage entre Fenimore Cooper et Choderlos de Laclos vu par Ayroles est harmonieux !

Eléanore

Dans le dernier numéro paru de dBD magazine, le 177 d'octobre 2023, Juan Garnido annonce qu'il va de nouveau travailler avec Alain Ayroles. Vu que le "couple" semble parfaitement fonctionner, comme en témoigne l'immense qualité des Indes Fourbes, on ne peut que se réjouir de la nouvelle.

Eléanore

Ayroles et Guérineau sont interviewés par Planète BD. C'est une petite vidéo de 10 minutes.

https://www.planetebd.com/interview/ayroles-guerineau/1496.html#image

La galerie 9ème art expose et vend du 14 juin au 6 juillet 2024 des dessins de Jean-Luc Masbou ! Et bien sûr, les images de De Cape et de Crocs y tiennent une belle place !

ActuaBD apporte quelques précisions sur cette page !

https://www.actuabd.com/+Les-actualites-immanquables-de-la-bande-dessinee-du-17-juin-2024+

J'ai visité l'exposition, surtout pour y contempler les planches de la célébrissime série De Cape et de Crocs. Le pinceau de Masbou m'a impressionné par sa précision, par la variété infinie de sa palette, par sa stupéfiante capacité à restituer les reliefs et les jeux de l'ombre et de la lumière. Un immense artiste. Vous pourrez vous en rendre compte sur cette vignette photographiée de près.

J'ai lu le tome 2 de la série L'ombres des lumières par Ayroles et Guérineau, intitulée : Dentelles et Wampum.



Saint-Sauveur, obligé de quitter la France, embarque pour une traversée de l'Atlantique, à destination de la Nouvelle-France. Un des nombreux ennemis de chevalier lui demande de compromettre la fille d'un futur "gouverneur" contre l'abandon de poursuites. Le défi imposé au libertin apparaît d'ailleurs fort difficile puisqu’il lui est demandé de "pousser" la jeune femme dans les bras de son domestique indien, l'iroquois Adario. Saint-Sauveur va construire ses intrigues durant la navigation puis à Québec....

L'intrigue ressemble beaucoup à celle du tome 1, et nous retrouvons les mêmes recettes ce qui peut lasser. En même temps, la Nouvelle France apporte une touche d'exotisme, renforcée par des indigènes farouches et bariolés à souhait. Et bien évidemment, les deux auteurs mettent en scène les décors sublimes de la colonie, que les saisons colorient merveilleusement. L'ombre des Lumières recouvre bien évidemment les agissements amoraux de Saint-Sauveur mais aussi les us de toute une société, hautement hiérarchisée, où les "petites gens" courbent le dos pour échapper de leur mieux à l'arbitraire des nobles. Et les indiens sont bien loin de l'image de l'innocent sauvage et leur férocité n'a d'égale que leurs coutumes patriarcales.



Le graphisme de Guérineau nous emmène dans un beau voyage même si Patrice Pellerin ou Hal Foster ont fait mieux, l'un sur mer et l'autre sur terre.

Au final, je confie rester sur ma faim.
Entre EE et EEE

Eléanore

Quelques compléments :
- il convient de souligner le travail de Delcourt sur l'objet livre. Toucher l'album et ses reliefs apportent un vrai plaisir à l'amateur,
- la BD porte un soupçon de vulgarité et de machisme et je ne supporte pas ce type d'ouvrage.

Eléanore

Tu ne vas donc pas le garder !

Sinon, je vais bien sûr m'y intéresser puisque j'ai lu le tome 1.

Oui. Je ne garderai pas. Mon très modeste avis, sachant que je n'ai pas le centième du talent d'Ayroles, est qu'il eut fallu un volume unique et pas une trilogie.
Après, peut-être que le dernier opus apportera de nouveaux éléments ?

Eléanore

Je sors de la lecture du tome 2.
Je ne sais plus si j'avais donné mon avis sur le tome 1 quelque part sur ce forum, mais je ne crois pas. A l'époque, je l'avais apprécié sans le trouver exceptionnel.
Pour l'avoir relu avant ce 2e volume, j'ai revu mon avis quelque peu à la hausse. Je trouve le tome 1 vraiment bien construit, maniant avec un art certain les mécaniques du roman épistolaire et les intrigues tortueuses. J'avais trouvé que cela me faisait trop penser aux Indes fourbes (que je considère après 2 lectures comme un quasi chef-d'œuvre), mais finalement, cela ne m'a plus tant sauté aux yeux. Il y a du complot, de la manipulation, de l'ironie, mais ça s'arrête là.

Fort de cette petite remontée dans mon estime, j'ai donc attaqué le tome 2, bien dans le bain. Et je suis encore plus entré dedans !
L'ajout non négligeable de ce 2e volet est l'atmosphère canadienne et l'aventure à la Fenimore Cooper, qui vient compléter (et non supplanter) les marivaudages du 1er tome.
J'admire l'art avec lequel Ayroles parvient à conserver les intrigues manipulatrices qui fondent la saga et à y marier avec une aisance déconcertante les péripéties d'un récit d'exploration. Contre toute attente, les deux s'accordent à merveille et nous emmènent vers une destination très différente du 1er volume tout en réussissant à nous garder en terrain connu, si j'ose dire.

Le dépaysement est toutefois garanti, l'immersion dans les terres du Grand Nord est somptueuse, et une nouvelle fois magnifiée par un dessin de Guérineau que j'apprécie davantage page après page.
C'est fascinant, envoûtant, et toujours surprenant, car évidemment, le scénariste Ayroles ne nous laisse pas un répit pour nous amener à un retournement de situation d'autant plus jouissif qu'il est sans cesse amené par la nécessité d'une narration cohérente et exigeante, bien davantage que par la volonté gourmande de nous jeter de la poudre aux yeux. On sent un auteur en pleine possession de ses moyens qui n'a pas besoin de jouer au petit malin pour nous épater, et on ne peut qu'en remercier Ayroles.

La vulgarité est moins présente, mais la seule scène de sexe explicite est toujours trop racoleuse à mon goût. J'approuve le recours à la sensualité voire à la sexualité pour évoquer l'atmosphère libertine de l'époque des Lumières sans pudibonderie, mais je trouve que le dessin est souvent à la recherche de la pose la plus provocatrice et je ne crois pas que ce soit nécessaire.
Mais c'est vraiment un micro-détail puisque le sexe n'occupe ici plus qu'une demi-page.

En-dehors de cela, je serais moins négatif qu'eleanore, et c'est pour moi un grand oui ! J'attends le 3e et dernier tome avec une avidité non dissimulée.

Oui. On peut dire que ce deuxième récit cultive l'aventure avec un grand A. Et les intrigues tortueuses et perverses de Saint Sauveur se conjuguent donc avec une exploration épique et farouche du nord canadien.
D'un autre côté, n'est pas le mariage de la carpe et du lapin ?

Eléanore

eleanore-clo a écrit:Oui. On peut dire que ce deuxième récit cultive l'aventure avec un grand A. Et les intrigues tortueuses et perverses de Saint Sauveur se conjuguent donc avec une exploration épique et farouche du nord canadien.
D'un autre côté, n'est pas le mariage de la carpe et du lapin ?

Eléanore

C'est une question qui mérite clairement d'être posée. Pour ma part, dans la mesure où je trouve qu'Ayroles sait parfaitement manier les deux, ça ne me dérange pas, mais je peux tout à fait comprendre que d'autres n'apprécient pas.