La même année (en 2003 bien sûr) paraissait un ouvrage collectif intitulé
GEO - La bande dessinée part en voyage, auquel participaient quelques uns des meilleurs dessinateurs du moment. En dehors de Schuiten, la liste des auteurs comportait en effet des signatures prestigieuses, comme celles de Loustal, Moebius, Munoz, Dupuy & Berberian ou Juillard.
De même que pour le dossier du
DBD, écartons tout de suite un possible malentendu !
Geo est bien sûr un journal, et cet ouvrage était au départ un numéro hors-série du magazine qui s'intitulait "
Le monde dessiné par les plus grands". Publié à la fin 2002, ce numéro spécial a été réédité en album l'année suivante par Casterman, sous un nouveau titre, et c'est de ce livre dont je vais parler.
Chacun des 10 dessinateurs avait la tâche de vivre quelques jours dans un lieu célèbre de la planète, et d'en ramener un journal de voyage. Le livre ne contient donc pas de bandes dessinées, contrairement à ce que le titre pourrait suggérer, mais plutôt un ensemble de peintures ou de croquis témoignant d'une rencontre momentanée, voir même de la confrontation entre un artiste et un site prestigieux.
François Schuiten devait ramener des impressions personnelles du mont Fuji et ... c'était manifestement pour lui un exercice inhabituel. On reconnait en effet assez mal son style parmi la dizaine de dessins qu'il nous montre. A sa décharge, il faut reconnaître que son séjour était contrarié par une météo détestable, rendant invisible la montagne qu'il devait dessiner. Ses premières illustrations montrent donc tout simplement un horizon nuageux, ou une chambre d'hôtel vue à travers les reflets d'un miroir.
Alors que son génie est d'infuser de la magie aux images d'une cité ou d'un monument célèbre, Schuiten semble cette fois pris au dépourvu, devant ce sommet qui se dérobe à son regard. Et c'est ainsi que lorsque le temps s'éclairci, et que le mont Fuji fait son apparition, le dessinateur semble incapable d'en donner une représentation personnelle. Ses illustrations de la célèbre montagne se révèlent assez plates et presque indignes de son talent.
Les images suivantes nous montrent le dessinateur tournant autour de son sujet, afin d'en trouver une perspective originale. Il finit par y arriver, lorsque les rails et piliers d'une montagne russe s'intercalent entre le Fujiyama et le regard du dessinateur. On a fugitivement l'impression de retrouver l'univers des Cités obscures.
Schuiten refuse cependant de "jouer avec son sujet". Il le précise d'ailleurs fièrement dans le texte qui accompagne ses images. L'objectif est de se "glisser modestement dans les pas du génial Hokusai", et l'artiste "s'impose de ne pas retravailler ses dessins, de les livrer brut". Cette honnêteté picturale nous révèle donc un illustrateur inhabituellement démystificateur, et un reporter fasciné par ces japonais pour qui "le Fuji est un dieu", car ils "viennent lui rendre hommage même par mauvais temps".
Cette intégrité est très louable mais j'aurai tout de même préféré un Schuiten moins modeste, qui soit capable d'enchanter son sujet, et d'illustrer les mythes qui se cachent derrière un paysage d'apparence banale.
Ceci étant dit, ce livre collectif est un bel ouvrage qui contient des reportages graphiques superbes, que ce soient par leurs couleurs (chez Loustal et De Crécy) ou leur finesse (chez Juillard ou Christophe Blain). Il vaut la peine de l'avoir, sous la forme d'un album ou d'un journal, car son intérêt dépasse de loin celui de la simple présence de Schuiten. Mais ce dernier y révèle néanmoins un nouvel aspect de son art, et il mérite d'être découvert.
"L'album GEO" n'est bien sûr plus disponible en librairie, mais on trouve encore facilement le journal (voir peut-être l'album) sur les sites de vente en ligne, pour pas très cher !
Pour une fois, c'est donc un "album perdu" qui est loin d'être inaccessible. Les collectionneurs seront contents.