« L’album suivant » qu’évoque Zéphyr à la fin du
Grand mur blanc, c’est
La montagne de l’oubli, qui est paru dans
Fripounet et Marisette entre juillet 1954 et mars 1955, sur l’équivalent de 38 planches de 4 bandes.
Je dois avouer que j’ai pour lui les yeux de Chimène, car c’est le premier album de la série que j’ai eu, très jeune, entre les mains – et toute la première partie se passe en Bretagne… Pierre Brochard devait aimer cette région, car on la retrouve chez Alex et Eurêka (voir le bel « épisode Belle-Île » dans Appel à X…Y…Z…, que j’ai évoqué au post 176, page 7), et son personnage de Saint-Clair est le hobereau sans le sou de « l’humble village breton de Kervelen »… (bien que Kervelen puisse venir du vieux-breton « château couleur de l’or » !) :
L’histoire est construite en deux épisodes, comme
Le ravin aux loups.
Le premier, « L’héritage Le Couédic », se déroule en Bretagne, plus précisément au large du Golfe du Morbihan, sur une île qui fait évidemment penser à l’île d’Hoëdic – bien qu’elle s’appelle Enez Anken = l’île de l’angoisse, ce qui est assez loin du vannetais hoedig (houadig) = caneton…
Le second, « Le pays du boomerang », se passe sur une autre île, l’Australie, et plus précisément sur une île de grès appelée « Red mountains » qui, elle, fait évidemment penser à l’inselberg d’Ayers Rock (Uluru).
Comme dans
Le ravin aux loups, le premier épisode est consacré à la découverte d’un message (ici sous la forme d’un fil magnétisé caché à l’intérieur d’un chat noir empaillé), et le second à la recherche du trésor révélé par le message – le « trésor » étant ici Gildas, le petit-fils de la vieille Noluen, qui a été enlevé (et séquestré dans une mine d’or du Grand Désert de Sable australien !) afin que sa grand-mère ne dénonce pas l’activité de contrebande qui se mène sur Enez Anken. Ajoutons que les contrebandiers sont, comme par hasard, des comparses de la bande qui sévissait dans
Le ravin aux loups – la vraisemblance n’a jamais été le point fort des synopsis de la série…
Un autre point commun avec
Le ravin aux loups est l’importance donnée à l’argent – le nerf de la guerre. Ce n’est pas le cinéma hollywoodien fabricant de westerns qui l’apporte ici, mais la presse écrite et la télévision australiennes, friandes des exploits des petits Frenchies qui ont fait le tour de la planète sur un dundée du Morbihan (mais il faut dire qu’il s’appelle Bleimor = loup de mer), bien avant la "longue route" de Moitessier…
La nouveauté par rapport aux titres précédents de la série, c’est que les « méchants » ne sont là que comme prétexte à l’aventure. Les vrais dangers auxquels sont confrontés les héros sont les éléments naturels : une tempête en mer au large de Tanger et la soif dans le Great Sandy Desert.
On peut aussi remarquer la persistance d’une volonté didactique, peut-être inscrite dans le cahier des charges des journaux de la rue de Fleurus à cette lointaine époque d’avant Wikipédia : dans
Cap au Sud, on apprenait tout sur le fonctionnement d’un sous-marin et le pack-ice antarctique ; dans
Le grand mur blanc, rien ne nous était épargné du fonctionnement d’un barrage; c’est ici l’histoire et la géographie de l’Australie qui nous sont brossées à grands traits.
Mais on apprend bien d’autres choses, notamment que Zéphyr est Zéphyrin Grosbiquet pour l’état-civil (ce que même Tony et Clara ignoraient !) et que ce poulbot de Ménilmuche a une mère normande, un père poitevin, un grand-père franc-comtois, une grand-mère provençale, un oncle auvergnat et une tante du Nord – bref, vraiment tout pour devenir le héros emblématique d’un journal destiné aux « garçons et filles des villages de France »…
On cherchera en vain un sémaphore, même en ruines, sur l’île de Lord Howe…
… mais les images de la Bretagne que nous donne Pierre Brochard dans « L’héritage Le Couédic » sont remarquables de justesse, à commencer par la jeune femme en coiffe à longs rubans (qui pourrait bien être une « queue de langouste » de Morlaix – mais en tout cas pas la borleden de Quimper ou la penn-sardin de Douarnenez !) qui prend l’escalier des grandes lignes à Montparnasse :
La crêpière de Vannes, elle, porte bien la coiffe plate de son pays, « l’aéroplane » …
… Et sur Enez Anken on parle le breton que mon père – qui était de Saint-Avé - entendait quand il était enfant (voir, dans la discussion « Du côté de François Bel », le post 115 page 5) – ce qui n’était vraiment pas à la mode dans les BD des années cinquante :
Cela dénote chez PB (comme nous l’avons déjà vu au post 140, page 6, à propos d’Eurêka) une volonté de camper un univers réaliste autour du personnage de comédie qu’est Zéphyr – pour en accentuer l’effet comique, mais aussi pour « accrocher » ses jeunes lecteurs, afin qu’ils puissent s’immerger dans l’histoire.
Et cela rejoint le don qu’il avait, difficile à expliciter mais bien réel, de « rendre une ambiance », comme nous l’avons aussi déjà vu à propos du
Trompettiste du Strasbourg-Paris : ceux qui connaissent la baie de Carnac et les îles du Morbihan, et en particulier Hoëdic, ont certainement eu la sensation quasiment physique « d’y être » en se plongeant dans
La montagne de l’oubli.