J'ai moi aussi lu ce week-end le dernier Blake et Mortimer (vous remarquerez que la couverture de mon album est un peu différente) ...
... et j'ai bien aimé cette aventure ! Il y a plusieurs raisons à cela. Il y a d'abord le choix du sujet, qui est une malicieuse enquête historique sur la "véritable" identité de William Shakespeare. Je savais déjà que certains critiques anglais assez guindés trouvaient incroyable qu'un simple roturier (considéré à priori comme "inculte") puisse écrire de si belles pièces de théâtre, qu'il révèle une intelligence si raffinée et qu'il fasse preuve d'une si vaste culture. Il y a vraiment des "coups de pied au cul" qui se perdent ... mais passons !
J'ignorais en revanche que cette thèse avait entraîné une aussi longue querelle littéraire, dérapant parfois jusqu'à la violence. Yves Sente nous en apprend beaucoup sur ce sujet, et cela a éveillé mon intérêt. De plus, le scénariste nous gratifie par la suite, au cours de l'enquête du professeur Mortimer (qui découvre peu à peu certains parchemins), de nombreux "flash-back" racontant la "véritable histoire" du dramaturge de Stratford-upon-Avon. Ces plongées dans le passé et dans l'histoire, qui nous rappellent certains effets volontiers utilisés par E. P. Jacobs (voir le Mystère de la Grande Pyramide), m'ont totalement charmé, je l'avoue. L'histoire (vraie ou inventée) de Shakespeare est omniprésente, et c'est un contrepoint captivant au récit de l'enquête de Mortimer.
Autre sujet d'intérêt, qui contraste en l'occurrence avec l'époque de Jacobs, c'est la très grande présence des femmes, qui donne à cette aventure une légère touche romantique. On retrouve ainsi d'anciens personnages créés par Yves Sente, comme Nastasia Wardynska ou Sarah Summertown, mais on fait aussi (et surtout) connaissance avec la fille de cette dernière (*), qui se nomme Elisabeth McKenzie. Cette jeune femme plutôt fascinante va être une très utile collaboratrice de Mortimer pendant toute l'enquête.
Et puis, dans toute bonne histoire, il faut bien sûr des méchants "bien méchants", pour que la lutte (face aux héros invincibles) puisse être presque égale. En l'occurrence, Yves Sente ne se prive pas de refaire appel à Olrik qui, derrière les barreaux de sa prison, arrive toujours à être aussi néfaste. L'éternel ennemi de Blake et Mortimer devient une sorte d'éminence grise, et c'est un malicieux contre-emploi qui m'a bien amusé.
Ajoutons à cela une bande de voyous qui rodent dans la rue pour s'attaquer aux riches passants. Le gouvernement britanique s'énerve un peu et fait appel au MI5 (service du contre-espionnage ???) pour régler ce problème ... en collaboration avec la police, tout de même. Cette décision est plus que bizarre, mais il fallait bien utiliser le capitaine Blake, tout de même.
Le résultat de tout cela, c'est un récit qui s'attarde volontiers sur des débats littéraires, mais qui sait aussi garder un bon tempo. L'exposé historique est en effet souvent interrompu par les sbires d'Olrik, et ceux-ci se livrent à une véritable course-poursuite pour empêcher Mortimer de ramener à temps un manuscrit à Londres. Je ne suis pas un admirateur fanatique des scénarios d'Yves Sente, mais je trouve qu'il a bien réussi son coup, avec cette histoire qui mélange habilement le réel et le fictif, si bien que l'on se demande par moment ce qu'il a vraiment inventé. Il faudra ainsi que je me documente un peu, sur cette controverse au sujet de Shakespeare.
Bref ! Tout comme Draculea, je n'ai pas boudé mon plaisir mais ... j'apprend avec regret que ce serait le dernier opus dessiné par Juillard ? D'où tenez-vous cette mauvaise nouvelle ? Ce serait en tout cas bien dommage, car il faut des dessinateurs de talent pour assumer une telle série.
Sinon, bien sûr, je vous recommande sans réserve cet album.
* mais ne l'avait-on pas déjà vue, dans le "Sanctuaire du Gondwana" ?