Bonsoir
Je termine la lecture de Zoo. Je ne connaissais pas cette trilogie et la lire m'a ravie.
Zoo apparait d'abord comme une superbe variation sur le thème du paradis perdu, un zoo en dehors du temps, et qui protège ses occupants de tout mal. Seul l’horreur de la Première Guerre mondiale pourra en franchir les frontières. Manon, la jeune sauvageonne, la petite princesse du zoo, incarne l’innocence d’une Eve qui n’aurais pas croqué la pomme. Sa nudité n'est jamais choquante, comme celle d'Eve. L’absence d’agressivité des fauves à son égard rappelle d’ailleurs la Bible et l’Éden et on pense au Jardin des délices de Jérôme Bosch. Anna et son nez arraché, l’étrangère que le zoo accueille et guérit, représente les croyances populaires, les mythes anciens, cette fois-ci non chrétiens, ceux de la possession des hommes par les animaux et réciproquement. Le sculpteur Buggy est plus complexe à cerner. Son souci perpétuel de reproduire le zoo semble démontrer l’incapacité des hommes à reproduire le divin. Enfin, Célestin, père suprême, petit « dieu » de cet univers en minuscule, seule personne âgée dans le zoo, vrai faux père de Manon, d’Anna et de Buggy, y incarne une douceur et une compassion infinie.
Bonifay aime ses personnages. Et aucun « méchant » ne figure dans la galerie, que ce soient les habitants du village voisin du zoo ou encore les visiteurs (le député!). Le prêtre du hameau fait preuve d'une grande tolérance car les mœurs du zoo sont quelque peu atypiques ! Bonifay fait aussi preuve d'une grande compassion à l'égard des soldats, qu’ils soient français ou allemand. Seuls les moujiks russes, dont la violence a conduit à la défiguration d'Anna, sont stigmatisés.
Le texte se marie parfaitement avec le dessin et s'efface souvent devant lui, au point que des pages entières n'ont aucun lettrage.
Les dessins de Frank sont sublimes et les cases incroyablement variées, grandes, petites, verticales, allongées, biscornues.
Le trait lui-même varie. Avec une justesse et une ligne ronde rappelant le douanier Rousseau, le dessinateur représente le paradis du zoo puis, dans un tout autre style, alternant les angles vifs et les zones floues, l’enfer des tranchées. Les animaux sont superbes et Frank se révèle le digne successeur des dessinateurs animaliers ayant contribué à l'histoire naturelle de Buffon.
La couleur est magnifiquement utilisée. Le recours à la trichromie, un dessin en noir et blanc, auquel se rajoute la couleur du bonheur ou de la responsabilité ou de tout autre fait marquant, est une idée incroyable. On pense à Sambre mais c’est bien plus "fort" car la troisième couleur n’est jamais la même.
Le dernier tome me semble, au final, ouvert. Certes Anna découvre un mort mais Frank nous cache son visage au point que l’on a un petit doute sur son identité (les chaussures…). Est-ce Célestin ? Et le départ de Manon pour l’Afrique ouvre une autre page. Je serais ravie de retrouver le zoo et de découvrir son évolution durant les années folles.
Un très bel ouvrage. Très poétique.
Cordialement
Eléanore-clo