J'étais très attiré par ce
Roman des Goscinny, un biopic dont j'espérais beaucoup et que j'avais déjà annoncé. Vous le savez probablement déjà, j'aime les "BD qui racontent l'histoire de la BD" mais… la déception a malheureusement été à la hauteur de mes espoirs !
Tout semblait pourtant annoncer un grand livre ! Le scénario étant écrit par Anne Goscinny, il était prévisible que cette dernière raconte avec beaucoup d'affection et de scrupules la vie de son père. C'était un récit très attendu. Par ailleurs, une belle amitié s'est développée entre Anne Goscinny et la dessinatrice Catel et c'est devenu un autre des thèmes importants de cette BD. La complicité entre les deux auteures sert même de fil conducteur, et la biographie parait parfois tout simplement résulter de leurs conversations.
Et puis, cette biographie est construite avec un très grand sérieux. Certains chapitres sont bien sûr racontés par Anne Goscinny, et la scénariste se permet alors quelques digressions relative à sa propre vie. Mais la plupart du temps, les cases illustrent simplement les propos de René Goscinny lui-même. Placées comme des récitatifs, ces déclarations sont tirées des multiples écrits et entretiens que Goscinny a laissés tout au long de sa carrière. Il est donc difficile de faire un travail plus authentique, mais voilà ... le résultat a eu de la peine à me convaincre en tant que lecteur. C'est ainsi que j'ai souvent eu l'impression que le récit se contentait trop de généralités, et qu'il y manquait parfois des détails. Et puis, certains propos authentiques de Goscinny m'ont aussi semblé bien sentencieux, et non prévus pour une biographie.
Par ailleurs, de nombreux dessins de Goscinny (ainsi que ses BD) sont insérés dans cet album, qui semble ainsi viser à une relative exhaustivité. Ces images avaient déjà été montrées dans le recueil très complet de Gilles Marmonier et Aymar du Châtenet et leur ajout dans le biopic de Catel n'était pas vraiment indispensable. Mais j'imagine que certains lecteurs ont tout de même apprécié la présence de ces images.
Il y a aussi en plus dans ce livre un regard original sur Goscinny, en particulier sur sa judéité. La scénariste s'attarde longuement sur son histoire familiale et il est clair que cet aspect peut éclairer de façon intéressante certaines réactions du père d'Astérix. C'est peut être l'apport le plus original de cette BD.
Tout cela est très beau et très juste, mais pourquoi Goscinny est-il devenu si célèbre ? C'est d'abord pour son travail créateur, pour ses formidables scénarios de bandes dessinées, ainsi que pour son rôle prédominant dans la transformation du journal Pilote pendant les années 60. Malheureusement, toute cette formidable épopée est quasiment absente de la biographie, qui raconte surtout les débuts difficiles de Goscinny. Il est vrai qu'en Amérique, il a dû supporter le chômage et se satisfaire de petits travaux avant de partir pour la France, et le livre en parle longuement.
Par la suite, les travaux des années 50, les rencontres avec Morris, Sempé et Uderzo, de même que le conflit avec Troisfontaine et la création de Pistolin ne sont pas oubliés du récit, mais ce n'était que les débuts d'une fantastique carrière. J'ai en fait l'impression que seules ces années difficiles (que Anne Goscinny n'a pourtant pas vécues) semblent vraiment compter pour la scénariste.
Mais alors, Astérix est-il absent de cette biographie ???? Presque, car la biographie semble s'achever en 1959, lorsque Goscinny et Uderzo sont en train de créer leur futur personnage à succès. Ensuite, le livre raconte la rencontre de Goscinny avec son épouse, puis quelques saynètes qui mettent en scène Catel et Anne Goscinny ... et c'est tout ! Ce n'est pas vraiment ce que l'on espèrait !
Ce livre est donc une "demi-biographie", qui est bien loin d'être l'oeuvre que j'attendais. Il y manque toutes les années 60 et 70, qui représentent la période la plus créatrice de Goscinny, et qui comportent quelques moments historiques, ainsi que plusieurs crises (par exemple celle de mai 68) qui influenceront durablement l'oeuvre et l'humour du créateur. Comment Anne Goscinny a t-elle pu passer à côté de tout cela ?
Par ailleurs j'ai une autre réserve à faire sur cet ouvrage plein de bonnes intentions. Il est certes normal qu'Anne Goscinny garde un regard bienveillant sur son père, mais cette optique limite un peu l'ampleur que pourrait avoir ce récit. C'est ainsi que certaines scènes m'ont parues un peu mièvres, et que cette nécessité d'être "gentille" enlève à cette BD l'acuité du regard et la sagacité du jugement qu'aurait choisies un biographe plus objectif. Goscinny avait-il toujours raison ? Bien sûr que non mais ... il faudrait bénéficier d'une plus grande liberté de jugement pour bien en rendre compte. On ne peut bien sûr pas reprocher décemment cette limitation à la scénariste, qui est fidèle à un "devoir familial", mais on pouvait espérer découvrir un peu plus qu'une suite "d'images pieuses" (car c'est à cela que l'ouvrage me fait parfois penser) en lisant la vie du créateur d'Astérix.
Cette biographie est donc une demi-réussite, et ce n'est en tout cas pas l'ouvrage de référence auquel je m'attendais. Elle soulève en moi des réflexions qui sont comparables à celles que l'on peut avoir devant un demi-verre d'eau. Est-il à moitié vide ou à moitié plein ? Chacun en tirera ses propres conclusions.
Et puis, mais c'est une vision toute personnelle, en pensant au formidable blagueur que pouvait être Goscinny, on pourrait espérer que l'humour soit un peu plus présent dans sa prochaine biographie, si celle-ci devait se faire un jour … Mais en écrivant cela, je ne fais aucun reproche. J'exprime simplement une préférence.