Alain d'Orange

Draculea a écrit:Pour clore ce petit débat, je vous invite à lire La vraie vie de Sebastian Knight de Vladimir Nabokov, court roman dans lequel le narrateur, frère d'un poète récemment décédé, accomplit la tache a priori impossible de raconter la vie du défunt dont il ne sait pour ainsi dire rien. C'est un chef d'oeuvre de poésie et d'ironie.

Hum... J'ai un gros doute qu'on ait affaire à un livre racontant la "vraie" vie de ce Sebastian Knight, comme son titre l'annonce de façon présomptueuse... :
- tu dis que c'est un roman (ce n'est donc pas un documentaire)
- un chef d'oeuvre de poésie et d'ironie (qui dit "poésie" et "ironie" ne dit pas forcément "documenté" ni "sérieux")
- sur la page Wikipedia concernant ce "roman", il est dit : "Ceci laisse entendre que l'histoire serait vraie, un jeu récurrent de Vladimir Nabokov." Ces mentions successives ("laisse entendre", "serait", "un jeu") démontrent qu'il faut s'accrocher si on veut avoir quelque chose de réellement "vrai".
Bref, on est loin du documentaire costaud.

Par définition, un roman n'est pas un "documentaire costaud" !  Les intentions sont totalement différentes (Nabokov est d'ailleurs un romancier très ironique).  

Mais pour en revenir au sujet de départ, qui touchait en particulier de la vie de Mermoz, je ne crois pas qu'il y ait eu de grandes différences sur les sources qu'ont utilisées Jean-Michel Charlier puis Attilio Micheluzzi pour scénariser la vie du héros. Au début des années 50, la meilleure source utilisable sur Mermoz était certainement la fameuse biographie de Joseph Kessel (il n'y avait quasiment pas d'autre livre publié sur l'aviateur à ce moment-là) et je pense que c'est bien ce livre que Charlier a utilisé comme source principale. Il y a sélectionné ce qui l'intéressait (les aventures et les exploits) en oubliant un peu le reste (les errances, les engagement politiques douteux etc.). Le résultat est une belle BD "d'aventures authentiques", bien dessinée par Hubinon et destinée aux jeunes et c'est exactement ce que le scénariste voulait obtenir. Charlier ne voulait pas écrire une œuvre de type analytique, et son éditeur ne le lui demandait pas non plus.

De son côté, Micheluzzi a dessiné son Mermoz une vingtaine d'années plus tard, et le dessinateur précise d'emblée (dans la préface de son album) quelles ont été ses sources. Sans surprise, c'est à nouveau le livre de Joseph Kessel (que Micheluzzi a lu et relu pendant da jeunesse) qui est sa source essentielle, car il n'y en avait pas beaucoup d'autre en Italie. Et avec cette même source, Micheluzzi a construit une biographie complètement différente, laissant plus de place à la réflexion qu'à l'aventure. Ce qui intéresse Micheluzzi, en fait, c'est plutôt de réfléchir sur les mystères de la destinée, et toutes ses images sont ainsi accompagnées de longs narratifs, qui nourrissent une certaine réflexion sur le héros et qui sont à la longue un peu pénibles. Il en résulte une BD qui est sans doute très sérieuse, mais qui n'est en revanche pas toujours très passionnante à lire.

En conclusion, les sources peuvent bien sûr avoir de l'importance, mais ce sont d'abord les intentions du scénariste (ou de l'écrivain) qui définissent les priorités (et l'intérêt) d'une oeuvre. Il n'y a pas que les documentaires sérieux qui ont de l'intérêt. C'est parfois même le contraire.  

Si les deux BD sur Mermoz sont inspirées du livre de Kessel, autant lire directement le livre de Kessel si on veut connaître la vie de Mermoz. Du coup, le seul intérêt des BD, c'est le dessin. Et les passionnés de Hubinon d'un côté, ou de Micheluzzi de l'autre, peuvent se procurer un album ou un autre. Mais ceux qui veulent connaître la vie de Mermoz feraient mieux de se tourner vers des livres documentés.
Je signale qu'un livre sur Mermoz est sorti il y a longtemps, après la BD de Micheluzzi, écrit par un certain Bernard Marck, un gars qui fait autorité dans le domaine des livres sur l'aviation, et cet ouvrage est reconnu comme "la" référence. C'est plutôt lui qu'il faut lire pour en savoir le plus possible sur Mermoz. Par ailleurs, une belle et vieille revue d'aviation, Icare, la revue de l'Association des pilotes de ligne, a sorti plusieurs numéros sur Mermoz, illustrés avec une formidable iconographie. J'ai la chance d'avoir la plupart des numéros sur Mermoz et si j'ai un conseil à donner, c'est de lire cette revue (mais les numéros sont difficiles à trouver de nos jours). Quitte à avoir un ouvrage fortement illustré sur Mermoz, plutôt qu'une BD, ces numéros d'Icare valent le coup, haut la main.
Je continue à mettre en doute, comme dans un précédent post, l'intérêt d'une BD historique sur la vie d'un homme célèbre. A mon sens, jamais un auteur de BD ne prendra le temps de réaliser une enquête longue et précise pour se documenter et écrire une biographie ; il se contentera (ce que je comprends) d'adapter un livre existant, déjà écrit par un historien ayant eu accès à plein d'archives et ayant réalisé l'enquête solide qu'il fallait. Au mieux, une BD biographique serait une sorte de "Digest", mis en images avec plus ou moins de bonheur (en plus, un dessinateur de BD ayant ses tics de dessins, peut ne pas représenter exactement le portrait du personnage principal ; autant de dessinateurs, autant de portraits un peu changeants d'un héros ; pour une question d'authenticité, rien ne vaut la photo). Evidemment, si une biographie en BD raconte des faits remontant à des temps anciens où la photographie n'existait pas, une BD est un pis-aller, mais jamais un dessinateur ne rendra l'authentique portrait du personnage : ce sera un portrait "vu par" tel ou tel dessinateur, en fonction de son style habituel et de ses tics.

Draculea a écrit:

On observera quelques très beaux lavis dans cette dernière séquence, notamment l'évocation des grands manteaux blancs aux cases 139 et 140, les portraits de l'ermite vieilli et  d'Ouksem aux cases 145 et 146, la très belle vue de la tour Eiffel à la case 148, la lancier touareg à dos de dromadaire de la case 155, le fort de la case suivante, le moment du drame puissamment et sobrement évoqué à la case 161 quand Charles de Foucauld ouvre sa porte au traitre Madani "nouveau Judas" (sic) selon le texte de l'abbé Vignon. Notons que si l'assassin appuye le canon de son arme sur la tempe de sa victime à la case 165, la case suivante montre plutôt une blessure au niveau de la poitrine ensanglantée , même si une forme noire entoure le bas de la tête à droite, mais participe plutôt d'une ombre. Sans doute jugeait-on préférable d'éviter l'excès de réalisme. Symboliquement, c'est toujours le coeur qui est atteint ! Je donne enfin la table des matières pour la mention du bas qui précise la perspective romaine dans laquelle se situe cette lecture de la vie de Charles de Foucauld.

Merci vraiment pour cette belle publication. Il est clair qu'Alain d'Orange s'est beaucoup investi dans ce travail sur son compatriote alsacien (dans un tout autre registre, il illustrera plus tard, en 1959, "Ceux du château mènent l'enquête", pour le compte... des biscuits L'Alsacienne!). Chacune des vignettes est un véritable petit tableau, la plupart du temps capable de tenir le grand format (32 et suivantes avec les hussards dans le Sud Oranais, 56 et suivantes sur les lieux saints de Palestine, le "nouveau Judas" Madani 158 et 161...)  - et il y en a 176!
C'est d'autant plus remarquable que ce travail date de 1952, à une période où ses illustrations dans les journaux de la Rue de Fleurus n'étaient pas encore très assurées. En recherchant (vainement!) le vélo sur la cathédrale ND de Paris, j'ai retrouvé, par exemple, une BD traitée aux lavis, "Nicole au pays des sapins" (Âmes vaillantes 1954), qui est assez médiocre.
C'est vraiment à l'encre que l'énergie de son trait et sa maîtrise de la lumière ont trouvé à s'exprimer, comme le montrent ces deux couvertures réalisées pour Âmes Vaillantes :

- une évocation de l'astrologue dinanaise Tiphaine Raguenel, qui fut l'épouse de Du Guesclin, en 1957 (n° 43),



- une couverture pour la rubrique "La bande à Viviane" en 1960 (n° 41) : Alain d'Orange illustra pendant une douzaine d'années cette rubrique qui fut à Âmes Vaillantes ce que furent "Les indégonflables de Chantovent" (Noël Gloesner) à Fripounet et "Les Vive la vie" (Robert Rigot) à Cœurs Vaillants.

Raymond a écrit:C'est une très belle planche, en effet ! Est-ce que tu as l'histoire en entier ?  

"Le chevalier d'argent" se déroule sur 12 planches, dont la 8ème me manque. L'histoire, due à Clara, qui a travaillé assez souvent avec Alain d'Orange pour Âmes Vaillantes dans les années cinquante, est cousue de fil blanc et le sens du rythme fait cruellement défaut (comme le rappelait Raymond, Alain d'Orange trouvait la BD "rasoir" et il le prouve! - il est beaucoup plus illustrateur que dessinateur de BD) - par contre, chaque vignette donne une leçon de dessin et sa jeune Oriane n'a rien à envier aux héroïnes de Jean-Claude Forest ou de Raymond Poïvet.
Voici les 2 premières planches :

J'ai effectivement une petite histoire à proposer, mais cela m'intéresserait de voir auparavant la suite de ce Chevalier d'Argent, même s'îl manque une planche.

Voici donc les planches 4 et 5 (pour la 3, voir post 26). TB vignette 4-II-1 et, à la vignette 4-IV-1, un profil d'Oriane très B.B. - à l'époque, j'étais fan des BD de Bel et de Brochard mais je rêvais en secret aux jeunes filles d'Alain d'Orange...

6 et 7

... On devine sans peine ce que raconte la planche manquante : nouvelle disparition du mystérieux (?!) chevalier d'argent et rencontre d'un ermite qui va donner aux enfants les clés de son histoire. Voici les 4 dernières planches, qui nous valent encore quelques belles vignettes lumineuses, aux plans audacieux (9-IV-2, 10-I-1, 11-IV-2...).

Draculea a écrit:

Je présente aujourd'hui deux séquences intermédiaires de la vie du grand mystique : la première période militaire où il s'avère en dessous de tout, puis la seconde période où, se ressaisissant, le mauvais soldat change totalement d'existence et devient explorateur, fasciné par le contact avec l'Afrique du Nord et le désert. Nous sommes sur la voie qui conduira par la suite à la conversion.

Notons que déjà à l'époque où Charles de Foucauld est un soldat médiocre et glouton, il y a déjà dans son désir de fuite sur les routes quelque chose de sa vocation de grand voyageur solitaire, allant au bonheur des hasards sur des chemins improvisés. Cela n'est pas sans faire penser au Rimbaud de 15 ans, en 1870 :

Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées ;
Mon paletot aussi devenait idéal :
J'allais sous le ciel, Muse ! et j'étais ton féal ;
Oh ! là là ! que d'amours splendides j'ai rêvées!

Mon unique culotte avait un large trou.
- Petit-Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.
- Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou

Et je les écoutais, assis au bord des routes,
Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ;

Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon cœur !

Contrairement à Rimbaud, Charles de Foucauld finira au désert dans une existence de mystique. On peut dire qu'en un sens, leurs itinéraires suivent une courbe inverse : de l'idéal à la déchéance pour l'un, de la médiocrité qui est une forme de déchéance à l'accomplissement spirituel pour l'autre. La comparaison se justifie d'autant plus que les deux hommes sont de la même génération à quatre années près, 1854 dans le cas de Rimbaud, 1858 dans celui Charles de Foucauld !

... Je reviens sur ce parallèle avec Rimbaud (post 31), déclenché par la vignette 27, assez étrange, où l'on voit le jeune Charles de Foucault déjà bedonnant accoutré en chemineau : je dois dire que ce n'est pas ainsi que j'imaginais le Rimbaud de Ma bohème! Je ne qualifierais pas non plus de "déchéance" sa vie aventureuse après sa courte (et géniale) période de création littéraire : le mot "échec" me semble mieux convenir. Mais ce qui est sûr, c'est que l'attrait de l'Afrique fut très fort pour ces deux contemporains.
Pour sa part, Rimbaud tenait probablement son goût de l'ailleurs (et aussi son goût de l'écriture) de son père absent, Frédéric Rimbaud, qui avait participé à la conquête du Sud Oranais et à l'expédition marocaine contre Abd el Kader en 1841-42, et qui connaissait parfaitement l'arabe. La courbe de vie de Charles de Foucauld n'est donc peut-être pas l'inverse de celle de Rimbaud, mais c'est une belle coïncidence qu'elle emprunte les traces du père de "l'homme aux semelles de vent"...

Quelques belles couvertures de C-V. :

Je n'avais pas vu que vous aviez posté la (presque) totalité du "Chevalier d'argent.
Voici la page qui manquait:

En un peu plus léger, je vous propose une histoire parue dans la semaine de Suzette en 58.
Certains d'entre vous connaîtrons peut-être car j'ai déjà partagé cette histoire sur un autre forum, mais j'aime beaucoup cette histoire à la Enid Blyton. Le suspens est un peu cousu de fil blanc mais il y a de jolies trouvailles comme cette narration à deux voix, et il y surtout un dessin d'Alain d'Orange d'une grande virtuosité.
Il s'agit de "Sept étages et un mystère"




A suivre

Merci merci merci !

Rétro et fort sympa

Suspense... On quitte Martine à la ferme pour Les dix petits nègres... Est-ce que tu sais qui a scénarisé cette histoire?

C'est parfois amusant, la BD pour jeunes filles !

Dantec a écrit:Suspense... On quitte Martine à la ferme pour Les dix petits nègres... Est-ce que tu sais qui a scénarisé cette histoire?

Le scénario est signé Cécile Romancère, pseudonyme d'Henriette Robitaillie qui a beaucoup écrit pour le presse de jeunes filles (Ames Vaillantes, Semaine de Suzette, Bernadette etc...)

Je comprends mieux, car Henriette Robitaillie est sans doute une des scénaristes d'Alain d'Orange les plus inspirées (c'est elle notamment qui a écrit les Frédérique).
Je crois qu'un des handicaps d'Alain d'Orange est de ne pas avoir rencontré un scénariste de BD à la hauteur de son talent de dessinateur.