Merci Eleanore, je ne connaissais pas ce site, qui est une mine d’informations sur S.O.S. Météores et complète celles qu’on peut trouver sur les autres sites jacobsiens, tels que le Centaur Club ou Blake, Jacobs et Mortimer – et j’ai pourtant pas mal surfé sur la toile avant d’envoyer mon premier post !
Les deux sujets régulièrement traités sont les lieux réels où se déroule l’histoire (sur lesquels Jacobs s’est lui-même étendu dans son Opéra de papier) et les clés de la fameuse planche 54 – 56 dans l’E.O. du Lombard - , données par Viviane Quittelier, sa petite fille par alliance, dans ses Témoignages inédits. On trouve aussi beaucoup d’informations sur la façon dont Jacobs a travaillé sur cet album (par exemple, grandes planches et double encrage – voir ici - ; les infos du site d’Emmanuel Mailly sur les couleurs sont également passionnantes).
J’ai par contre été surpris de ne rien trouver (mais peut-être n’ai-je pas assez cherché) sur le récit lui-même et comment s’y exprime la virtuosité de conteur d’E-P. Jacobs.
S.O.S. Météores se présente comme l’emboîtage de trois récits :
Le premier tiers (jusqu’à la planche 21 incluse) nous raconte l’aventure de « Mortimer à Paris » (premier sous-titre – trompeur – de l’album). Il est lui-même constitué de trois séquences d’importance égale :
- planches 1 à 7/8 : les aventures (très mouvementées) de Mortimer sur la route de Jouy,
- planches 8 à 14 : le mystère du taxi englouti,
- planches 15 à 21 : Mortimer tente d’élucider le mystère en revenant sur ses pas -> c’est aussi, pour le lecteur, un retour sur la première séquence, qui montre que la réalité peut revêtir plusieurs visages selon le point de vue avec lequel on l’appréhende (Jacobs ici nous montre ainsi que tout récit est un miroir déformant).
Cette partie se clôt sur l’échec de Mortimer et annonce les séquences fantastiques de la fin, avec la fameuse vignette 21-IV-4.
Mortimer disparaît pendant tout le second tiers de l’histoire (jusqu’à la planche 41 incluse) – il ne réapparaît même qu’à la vignette 47-III-3, qui en dit long sur sa peu reluisante situation (bien qu’il soit au centre d’un faisceau lumineux…) - pour laisser toute la place à son ami Blake. Commencent alors en effet les aventures de « Blake à Paris » avec, sur 13 planches, l’extraordinaire course poursuite entre la rue du Docteur-Kurzenne à Jouy-en-Josas (la maison d’enfance de notre Nobel Modiano…) et le 69bis de la rue de Vaugirard, les deux demeures du Professeur Labrousse : avec cette situation inhabituelle (reprise dans « Duel », le film de Spielberg, 13 ans plus tard…) que c’est le « bon » qui est poursuivi par les « méchants ». Blake à son tour, comme Mortimer, semble devoir échouer (vignette 41-IV-2).
Mais ce n'était qu'une feinte : il se ressaisit à la vignette suivante, au seuil du dernier tiers, où la chance enfin change de camp. De poursuivant, Olrik devient le poursuivi.
Cette dernière partie est plus complexe, car les parcours de Blake et de Mortimer s’y intriquent (ils ne se retrouvent qu’à la toute dernière planche), tandis que la tension monte jusqu’au climax de l’attaque du SHAPE.
Je l’analyserai dans un prochain post.
Auparavant, je voulais revenir sur ce qui relie les deux premières parties et fait que le lecteur, bien qu’il assiste à deux histoires différentes vécues par deux héros différents, n’éprouve aucune sensation de rupture : ce fil rouge visuel, c’est… la Ford Custom bleue des méchants ! Elle apparaît dès la première planche, au carrefour de l’église de la Madeleine, pour ne disparaître qu’à la dernière vignette de la planche 38, devant les grilles du jardin du Luxembourg.
Le moins qu’on puisse en dire est qu’elle ne passe pas inaperçue. En première lecture, on peut même penser que cet attribut des méchants est un peu gros et tire l’histoire vers les clichés. Mais à la réflexion, elle apparaît au contraire comme une belle trouvaille (involontaire ?) :
- elle correspond parfaitement à la personnalité d’Olrik, qui certes agit dans l’ombre, mais toujours avec superbe et insolence (voir à ce sujet le post de Spalding dans « le portrait d’Olrik » : « … Olrik ne peut supporter de se trouver dans une position subordonnée… Olrik, c'est le fou du roi ! »),
- elle est « voyante » aussi par sa couleur, bleu ciel dans une histoire qui se passe quasi-entièrement sous la pluie ou la neige, à la différence des autres véhicules de l’histoire (l’aronde ocre d’Ernest, la fourgonnette vert bouteille de la poste, la traction de Labrousse et la Frégate de Pradier, bleu nuit), et donc paradoxalement lumineuse, bien qu’elle soit le véhicule du « mal », parce qu’elle permet de « voir clair » dans le déroulement du récit,
- mieux même, c’est par elle – par ses deux feux rouges confondus avec ceux du fourgon postal - que tout se déclenche…