Lucas, Lucien, Luigi et Ludwig sont quatre des pensionnaires de l’orphelinat de l’abbaye de Valencourt en Picardie. Tout le monde les surnomme les Lulus. En cet été 1914, lorsque l’instituteur est appelé comme tant d’autres sous les drapeaux, personne n’imagine que c’est pour très longtemps. Et les Lulus ne se figurent évidemment pas une seconde que la guerre va déferler sur le monde finalement rassurant qu’ils connaissent. Bientôt, le fracas de l’artillerie résonne dans le ciel d’été. Il faut partir, vite. Mais lorsque la troupe évacue l’abbaye manu militari,les Lulus, qui ont une fois de plus fait le mur, manquent à l’appel. Sans l’avoir voulu, ils se retrouvent soudain à l’arrière des lignes allemandes.
C ’est par un sourd grondement débordant l’horizon que la guerre s’invite à l’orphelinat de Valencourt, petit bourg aux confins de la Picardie, en ce mois d’août 1914. Il faut dire que l’abbé a soigneusement évité d’évoquer le conflit auprès des enfants dont il a la charge. À quoi bon effrayer les petits, et puis les Allemands seront rentrés chez eux avant la fin de l’été, n’est-ce-pas ? Mais quand l’armée française évacue le village et l’abbaye dans la confusion et la précipitation, les Lulus sont, comme à l’accoutumée, à faire les quatre-cents coups dans la forêt voisine. Les Lulus : Ludwig, Luigi, Lucien, Lucas, quatre petits gars réunis dans la même chambrée par le hasard de leur prénom, et finalement liés par une amitié infrangible. Toutefois, quand l’ennemi s’installe dans leurs murs, les drôlets doivent apprendre à survivre par eux-mêmes, tromper la faim, vaincre le froid, rester invisibles…
En ces temps de pré-commémoration du centenaire de la Der des Ders, qui s’annonce riche d’hommages en tous genres, les ouvrages fleurissent déjà dans les rayons des bédéthèques. Un sujet inspirant pour les auteurs semble-t-il, vu la qualité générale de ces publications. La présente série initiée par Hautière et Hardoc, si elle s’inscrit dans cette tendance, s’en démarque pourtant notablement par bien des aspects. Par ses protagonistes, une joyeuse bande de garnements remplaçant ici les habituels poilus, par sa situation géographique, à l’arrière des lignes ennemies, et par son lectorat résolument tout public, économie étant faite des âpres visions des carnages. Prévue en quatre ou cinq tomes, cette Guerre des Lulus démarre comme une robinsonnade, mais la fin ouverte de ce premier volume laisse augurer une orientation différente. Et instaure un suspense suffisant pour créer l’attente en tous cas.
Habilement, Régis Hautière dote ses héros de personnalités complémentaires, diversiformes, ouvrant pour le lecteur le champ libre à l’identification à tel ou tel Lulu - sans compter l’irruption d’un cinquième comparse en milieu d’album. Autre marque évidente de réflexion, le soin apporté aux dialogues : truculents, imagés, avec ce qu’il faut de charme poétique enfantin pour sonner juste, et de douce patine surannée pour s’ancrer dans leur époque. Après l’enchantement d’Abélard, l’auteur s’affirme derechef comme un subtil jongleur de mots. Reste cependant à confirmer sur la longueur la densité et la cohérence du récit, tant les thèmes brassés par ce tome introductif sont nombreux.
Déjà compagnon de route du scénariste sur ses précédents opus, Hardoc illustre avec éclat ces aventures, d’un trait semi-réaliste d’une grande précision. Les portraits sont expressifs, les décors soignés – et documentés –, les compositions variées mais sans emphase artificielle, pour une lecture parfaitement fluide. Autre grande réussite visuelle, les couleurs : réalisées en collaboration avec David François, elles sont particulièrement belles, donnant profondeur et matière au dessin, des coudées au-dessus des mornes teintes formatées qui prévalent bien souvent.
Impeccablement servies sur le plan graphique, les tribulations des Lulus s’annoncent passionnantes à suivre pour un large auditoire. Une belle série aux héros chaleureux conjuguant tension dramatique et tendresse humaniste.
Par O. Boussin