Un des grands albums de cet automne est certainement
l'Hyperrêve, le 7ème tome des surréalistes aventures de Julius Corentin Acquefacques. Marc Antoine Mathieu s'y est déchaîné, comme d'habitude !
Le titre est-il bien choisi ? Il est vrai que les histoires de Julius Corentin Acquefacques semblent toujours un peu rêvées, pour ne pas dite imaginaires, tellement le sens de la réalité et de la logique y sont mis à mal. Mais le début de l'album semble conforme à cette idée d'une exploration onirique du monde. Le héros de la série se réveille dans son lit et, une fois de plus, il constate que le monde environnant est devenu anormal (c'est souvent de cette manière que commencent ses aventures). Cette fois-ci, il s'inquiète de la tête géante de son voisin qui l'observe par dessus le plafond de sa chambre. Et c'est tout de suite le délire !
Corentin Acquefacques s'est-il rendormi ? Probablement que oui puisque commence alors aussitôt un second chapitre ! Acquefacques s'y réveille à nouveau dans son lit mais cette fois, la chambre est devenue gigantesque. Les dimensions des meubles sont également énormes et le héros, devenu comparable à un lilliputien, décide d'explorer sa maison. Son voisin est lui aussi devenu minuscule et la sortie de l'immeuble géant devient tout une aventure.
Acquefacques se rend chez le Professeur Ouffe qui annonce un diagnostic déjà entendu dans les albums : "Julius, vous avez rêvé trop fort, une fois de plus !" Le héros se retrouve ainsi coincé dans un monde onirique, ou plutôt dans un rêve idiot. Heureusement, il ne peut s'empêcher de philosopher là dessus avec son voisin, et c'est alors que l'infini commence à faire son apparition.
Mais de quel infini parle t-on ? De l'infiniment grand ? Ce serait vraiment trop simple, car il suffit au fond de contempler un ciel étoilé pour appréhender cette énigme. Il existe d'autres infinis bien plus intéressants, tels que les décimales infinies du nombre Pi, ou alors toutes les variations infinies d'un même objet. Et c'est ainsi que le jeu avec l'infini (et ses difficultés logiques) finit par remplacer les accidents du rêve.
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Je ne vais bien sûr pas vous dévoiler tous les gags que l'auteur invente au sujet du "non fini", mais il m'est impossible de passer sous silence les astuces et bricolages que Marc Antoine Mathieu insère dans son ouvrage. C'est ainsi qu'il peut y avoir un nombre infini de pages dans un album, en particulier si les pages se rapetissent et qu'elles ne correspondent plus qu'à des décimales d'une nombre fini. C'est exactement ce qui se passe avec la page 41 qui est un peu plus petite que la précédente, et qui passe à la page 41,1, puis 41,2 tout en continuant a rapetisser d'une façon continue jusqu'aux chiffres 41,9, puis 41,91, 41,92, 41,93 et ainsi de suite jusqu'à 41,99. Les pages deviennent de plus en plus petites et le processus pourrait ne pas avoir de fin !
Voici donc ces curieuses pages "décimales", incluses dans un chapitre intitulé "le quasi-tout. Vues de face, lorsque qu'on tourne les pages dans le sens de la lecture, ce n'est pas spectaculaire.
En le feuilletant à partir de la fin, le chapitre est déjà un peu plus amusant. Voici d'abord l'aspect global !
Et voici ce que donne le feuilletage !
Mais plus que l'infini des dimensions, c'est bien l'infini des possibilités qui se révèle le plus amusant. Et l'auteur le démontre au moyen d'un simple (enfin presque simple) pliage ! La page 44 est en effet pliée plusieurs fois sur elle même et le dessin change à chaque fois que l'on défait un pli. Voici l'aspect de départ de la page pliée !
Lorsque l'on enlève le premier pli, le titre disparait, mais c'est toujours la même page !
Il est difficile de photographier tous les plis, mais j'ai essayé de le faire avec mon portable. Voilà ce que cela donne !
Et voici la même page lorsqu'on a enlevé tous les plis ! Le titre réapparait .... mais il a changé !
Tel est donc le contenu de
L'Hyperrêve, une sorte de jeu avec l'infini qui propose non seulement un jeu avec les mots et la logique, mais aussi d'ironiques bricolages qui bousculent malicieusement le confort intellectuel du bédéphile moyen. Ce n'est pas la première fois que Marc Antoine Mathieu nous déroute avec ses montages hétéroclites, mais il arrive encore une fois à nous surprendre par son inventivité et et son refus des conventions.
Est-il besoin de préciser que la conclusion est joyeusement délirante ! Elle se situe d'ailleurs sur le 4ème plat de l'album car l'auteur ne semble pas pouvoir définir une place pour marquer la fin de son histoire ... mais il est vrai qu'il nous parle de l'infini.
Avec Marc Antoine Mathieu, la bande dessinée peut vraiment tout faire !
C'est en fait tout simplement ce que l'on appelle le Neuvième Art !