Bonjour
J'ai lu
Carbone et Silicium. Ce sera clairement une des BD phares de 2020.
Carbone et Silicium sont deux intelligences artificielles dont nous allons suivre le parcours sur plus de trois siècles et à travers plusieurs "corps" d'emprunt.
Silicium voyage tout au long de l'intrigue et nous emmène dans chacun des pays visités. On découvre ainsi des images touristiques (le Taj Mahal), mais aussi et surtout des sociétés minées par le réchauffement climatique (le Japon en partie submergé), les crises économiques (la pauvreté omniprésente) et migratoires (un mur entoure l'Europe). Cette histoire du futur est donc très sombre et nous assistons à la mort lente de la civilisation humaine.
Bablet aborde aussi l'éternel sujet de la frontière entre l'humain et l'androïde. Ce thème est très ancien. Pensons au test de Turing (https://fr.wikipedia.org/wiki/Test_de_Turing) qui explore la frontière entre l'organique et l'artificiel, pensons aussi aux ouvrages d'Isaac Asimov et plus particulièrement à son
Cycle des robots. (https://fr.wikipedia.org/wiki/Cycle_des_robots). Dans la BD, nous voyons les deux "espèces" se rapprocher progressivement : les androïdes acquièrent des qualités comme la bonté ou la générosité tandis que le corps des êtres humains se mécanisent de plus en plus. Où est la machine ? Où est l'homme ? Et il n'est pas innocent que Carbone appelle maman l'ingénieur l'ayant créée. Et Silicium, tel Damiel dans le film
Les ailes du désir (https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Ailes_du_d%C3%A9sir), est fasciné par la culture humaine au point qu'il se lance dans un tour du monde.
La relation entre les deux intelligences artificielles est riche. Sachant que Carbone va revêtir un corps de femme et Silicium un corps d'homme, on peut s'interroger. Sont-elles sœur et frère ou amants ? La scène quelque peu ridicule où Silicium enseigne le plaisir sexuel à Carbone renforce la deuxième hypothèse. Peu importe la nature de leur relation, le plus intéressant est la danse entre ces deux êtres. Ils s’éloignent pour mieux se retrouver, font un pas en direction de l'autre puis reculent. La toute dernière vignette du livre (n'attendez pas que je vous la décrive
) conclut magnifiquement le ballet.
Un autre thème important me semble la question du réel. Empruntant à Matrix (https://fr.wikipedia.org/wiki/Matrix_(film)) ou à l'auteur de Science-Fiction Philip K.Dick (https://fr.wikipedia.org/wiki/Philip_K._Dick), Bablet pose la question du support de l'être : physique ou virtuel. Et il est cocasse de voir que l'esprit de l'ingénieur ayant créé les deux héros se déverse dans l'Internet à sa mort. On touche là à la religion. L'au-delà existerait et serait donc numérique...
Les dessins sont somptueux avec des couleurs fortes, puissantes. On se promène dans le monde entier et de grandes vignettes nous invitent à contempler la beauté ou plutôt la laideur car
Carbone et Siilicum est une histoire de fin du monde. Bablet dessine toujours aussi mal les visages mais il se rattrape magnifiquement par des représentations émouvantes des androïdes. Je joins ci-dessous trois pages consécutives de la BD qui la résume parfaitement.
Au final,
Carbone et Silicium est une BD grande, forte, touchante. Et je suis certaine qu'elle va gagner plusieurs prix (Canal-BD ?). Néanmoins, je reste réservée. Pourquoi me direz vous face à tant de qualités ? Tout simplement parce que cette fresque manque de légèreté. Elle est parfois douce-amère, parfois désespérée. Je conseille donc sa lecture en 2022, lorsque l'ambiance actuelle se sera dissipée.
Eléanore