Tout d'abord, j'ai lu
Arzach et
L'enfant penchée. Le premier ne m'a guère séduite : un style graphique que je goûte guère et surtout un scénario que je me permettrais de qualifier de nihiliste, sans compter la place de la femme qui est tentatrice ou monstrueuse, un choix bien restreint
.
Le livre de Peeters et Schuiten relève du pur chef d'œuvre. L'alternance de styles et de lieux, l'Aubrac et les cités obscures, rythme une narration riche qui aborde de nombreux thèmes. Raymond a cité celui de la différence. J'y vois aussi ceux de la famille, du capitalisme ou encore des regrets. Le scénario et notamment le passage dans le cirque m'a fait pensé à
Sans famille. Et puis le pari artistique un peu fou de juxtaposer des clichés et des dessins tire l'œuvre vers le haut. La fin douce-amère me convient parfaitement. Merci pour cette découverte qui ne va tarder à rejoindre ma bibliothèque
.
Voici maintenant la liste des accessits.
32)
Le calvaire du mort penduLa patrouille des castors respire la jeunesse, l'entraide et la nature. Cet opus démontre en sus les talents graphiques de MiTacq. Je confie mon admiration pour les scènes de la bataille des Ardennes toutes dessinées au lavis. Et quel bel orage. On s'y croirait. L'engagement de l'auteur en faveur du scoutisme ne doit pas conduire à des moqueries simplistes et empreintes d'intolérance. L'internationalisme et l'écologisme du scénario révèle la modernité d'une narration imaginée voilà plus de trente années. une belle performance !
33)
Donald au pays des œufs carrés Carl Barks, auteur prolifique s'il en est, a révolutionné l'univers Disney. Grâce à Barks, le fantastique sous toutes ces formes, le mystère, l'aventure exotique et surtout l'absurde ont acquis des lettres de noblesse. Les dessins inspirés du
National Geographic nous emmènent dans des lieux magiques dont on ne peut que rêver. Et surtout, les personnages de Donald et Picsou ont acquis une belle épaisseur durant la vingtaine d'années d'activité du dessinateur.
Lost in the Andes est peut être l'œuvre la plus célèbre de l'homme au canards mais on pourrait en citer tellement d'autres comme
Le casque d'or (https://inducks.org/story.php?c=W+OS++408-02),
Le plus bel habit du monde (https://inducks.org/story.php?c=W+US+++12-02),
Un Noël à Pauvreville (https://inducks.org/story.php?c=W+OS++367-02) ou encore
Sous le signe du capricorne (https://inducks.org/story.php?c=W+DD+++54-01)
34)
La tribu terribleGreg fut un immense rédacteur en chef. Au même titre que René Goscinny ou Yvan Delporte. Et parmi ses réussites, on peut citer la découverte de cette série humoristique et ubuesque. Dans un Far West de pacotille, un homme médecine adepte du golf soigne un sachem toujours en lutte contre l'occupant blanc. Les guerriers indiens brillent par leur lâcheté et la cuisine de l'épouse du chef relève clairement des armes de destruction massive ! On rit beaucoup et je regrette qu'un seul album eut été consacré à cette série.
35)
Angel Rock J'apprécie le féminisme de
Caroline Baldwin. Cet épisode raconte la renaissance de la détective après qu'elle ait découvert sa séropositivité. L'intrigue met d'ailleurs en parallèle deux résurrections, celle de la détective au premier chef, mais aussi celle d'un vieil homme qui se découvre un petit fils. Des paysages sublimes offrent un superbe décor à l'intrigue. Et il convient de noter qu'André Taymans a complété son ouvrage par un décor en 3D réalisé par un atelier de réinsertion.
36)
Undertaker - SalvajeLa campagne de lancement de la série, savamment orchestrée par Dargaud, mentionnait le plus grand western depuis
Blueberry. Et bien, cinq tomes plus tard, nous ne pouvons qu'opiner. Le faconde de Dorison, sa capacité a susciter l'émotion, l'originalité des thèmes, tous ces ingrédients se marient parfaitement avec le trait précis, dense et porteur de relief de Meyer. Le sixième tome parle à mon cœur. Et le personnage de Salvaje traduit parfaitement ma vision des multiples vies d'une femme : l'épouse mène sa vie professionnelle tout en assurant l'éducation des enfants, tout en programme ! Les décors splendides et notamment cet hôtel grandiose implanté au milieu de nulle part caressent les yeux. La folie voisine ici avec la sagesse de même que l'espérance et le désespoir se côtoient intimement. Un chef d'œuvre.
37)
Guérilla pour un fantômeDurant les années 1970, Hermann était sans conteste le plus grand dessinateur de la BD. Son réalisme des personnages et des décors donne une crédibilité incroyable aux intrigues, aussi folles soient elles. Et puis, mener de front
Comanche et
Bernard Prince, dans des lieux et des époques forts différents, relèvent du prodige. Quel talent.
J'aime beaucoup ce titre car les vignettes représentant la jungle font penser à des peintures et le regard désabusé de Greg sur les républiques bananières mérite le détour. Sans compter le moment fort du sacrifice de Prince pour Jordan. Un bien joli titre.
38)
Destins croisés Jarbinet s'inscrit clairement dans la continuité d'Hermann : même amour pour les Ardennes, style réaliste, dynamique des personnages. Et la série
Airborne 44 démontre que l'on peut écrire avec justesse et sensibilité sur la tragédie que fut la Seconde Guerre mondiale. J'apprécie beaucoup les tomes 3et 4 du fait de la magnifique personnalité de l'héroïne Joanne : généreuse, positive, compétente, engagée,.. D'un point de vue scénario, le chevauchement entre le premier dytique et le second traduit une grande habilité scénaristique et sonne parfaitement juste.
39)
L'orgue du diableChoisir ou pas
Yoko Tsuno fut un dilemme cornélien. Car en fait, je n'apprécie en tout et pour tout que deux titres de la série : celui-ci et
La frontière de la vie. Le graphisme et les intrigues de Roger Leloup sont allés en s'épurant / s'amincissant. Mais au sein d'une production de série B, deux titres émergent, notamment du fait de l'amour inconditionnel de l'auteur pour le romantisme allemand. On se croirait outre-Rhin et le gothisme tarif illumine et magnifie des intrigues solides et émouvantes.
40)
Adieu AariciaJe pressens que Raymond va m'en vouloir. Aussi, je le prie donc de bien vouloir pardonner ce choix
. Mais je ne peux pas m'empêcher d'admirer ce
Thorgal. Sur le fond, je m'approche tout doucement du crépuscule de ma vie, et Robin Recht, tel le diable dans Faust, m'a redonné la jeunesse. Grâce à l'auteur, j'ai replongé dans de vieux souvenirs, ceux de formidables BDs dont la découverte a coïncidé avec la naissance de mes enfants… Le graphisme de Recht est prodigieux et égale celui du maître Rosinski avant qu'il ne bascule en couleurs directes. Et quelle intelligence dans le scénario. L'auteur pense, réfléchit, construit et polit chaque articulation et chaque scène. Une BD de série B du niveau d'une BD de série A. Que demander de plus ?
41)
Ce qui est précieuxLarcenet est merveilleux, tel est le titre du fil de discussion relatif à cet auteur sur le forum. Et bien, je partage en grande partie l'épithète. L'auteur a l'art et la manière de nous faire réfléchir sur la vie, sur son sens, sur sa fragilité, sur les hauts et les bas de l'existence, etc. Et derrière l'apparente simplicité se cache un graphisme léché. Dans mon EO se trouve un DVD détaillant les coulisses de la création de ce tome 3 du
Combat ordinaire. Il confère une densité et une beauté encore plus grande à ce qui relève clairement de jalon dans l'histoire de la BD.
42)
120, rue de la gareJ'ai beaucoup hésité à faire figurer Tardi dans mon classement mais éviter un auteur phare de cet acabit eut été me semble-t-il une faute de goût. La transcription du roman de Léo Malet démontre une parfaite maitrise des techniques scénaristiques. Et le graphisme tout en noir et blanc nous plonge avec une grande efficacité dans les années noires de l'Occupation.
Plus que 8 titres, cela devient de plus en plus délicat !
43)
La corne de brumeChevalier Ardent est une belle série historique. Sans prétention mais avec un certain talent et beaucoup de métier, Craenhals nous emmène dans un moyen-âge rêvé, plein de fureur et de romantisme. Mais
La Corne de Brume appartient à un autre univers. Le souffle du génie s'y manifeste. La performance ne se renouvellera plus mais peu importe car ce seul opus suffit à saturer nos sens et notre intellect. Nous avons là une grande BD, tragique à souhait, avec des personnages aux caractères exceptionnels. L'opposition entre Ardent et Elli ne peut laisser indifférent. Et j'ai été bouleversée par le duel final où Ardent doit tuer pour vivre. Quel magnifique âpreté. Dans un autre registre, le graphisme mélange avec beaucoup de bonheur le réalisme et l'onirisme, la grandeur et le détail.
44)
Blitz Vous l'avez tous deviné. Je suis très réticente à lire des BD d'art et d'essai car j'y perçois une forme d'exclusion. Mais toute règle admet une exception. Partant de là, j'ai beaucoup apprécié cette pièce de théâtre en bande dessinée. Rivière monte sur les tréteaux avec une habileté méphistophélique qui lui permet de multiplier à l'infini les dimensions de la scène, pour nous projeter dans l'espace autour et nous plonger dans l'enfer du Blitz. De son côté, Floc'h pousse au maximum le curseur de la ligne claire sans aucune faute de goût.
45)
Le retour de Steve WarsonChoisir cette BD témoigne de ma reconnaissance envers le forum. Ayant une piètre opinion des courses automobiles, je ne faisais que survoler les ouvrages les dépeignant. Et puis, un jour, Draculea et Raymond m'ont convaincue de faire le pas. Et ma fois, si je reste toujours profondément hostile à la F1, je ne puis que reconnaitre que la série
Michel Vaillant comporte de belles pièces. L'opus choisi nous emmène à Amsterdam, sur les traces de Jacques Brel
et on ne peut que saluer la qualité de la reconstitution. Et puis, grâce à sa barbe, pour une fois, le menton de Steve Warson ne ressemble pas à celui de Michel Vaillant ! Les nombreux rebondissements de l'intrigue font que le lecteur ne s'ennuie jamais et tourne avec délectation les pages
.
46)
Le batracien aux dents d'orJoël Azara, récemment décédé, fut un auteur discret. Avec son compère Vicq, il a néanmoins produit un petit chef d'œuvre de tendresse et d'exotisme de pacotille :
Taka Takata. Les dialogues savoureux et truffés de jeux de mots (le général Rata Hôsoja ou le savant Kakao Suri !) magnifient des histoires loufoques et désopilantes. Ajoutez à ce cocktail un soupçon de science fiction (la télévision en relief par exemple), une once de comique troupier (le héros est un militaire nippon) et trois grains de folie (les situations toujours folles), vous avez là une des meilleurs séries d'humour des années 70. Et surtout, quelle délicatesse. Aucune cruauté ne traverse les centaines de planches.
Bon. Plus que trois à choisir ! cela se corse comme aurait dit Napoléon à Waterloo
.
47)
Chihuahua PearlComment ne pas mentionner Giraud ? Et aussi Charlier ? La synergie entre le scénario et le dessin atteint ici des sommets. La dureté des personnages se reflète dans des silhouettes abruptes. Du Sergio Leone en BD pour aller chercher un équivalent dans le 7ème art
. Et dans cet univers masculin, la personnalité ambiguë de Chihuahua Pearl apporte un éclairage remarquable : l'héroïne n'est plus un joli pot de fleur mais un être complexe capable du pire comme du meilleur. Les vignettes de Giraud rajeunissent et magnifient les poncifs du western. Quel trait ! Fouillé, détaillé et d'une vigueur incomparable. Quant aux intrigues de Charlier, leur apparente simplicité cache une mécanique parfaitement huilée et une diabolique efficacité. Les rebondissements portent toujours plus haut la narration. Un chef d'œuvre universel. Et il faut bien reconnaitre que
Comanche n'arrive que deuxième dans la compétition entre les deux séries phares de ces années là.
48)
Le dossier Jason FlyJ'ai beaucoup hésité à inclure
XIII dans ma sélection. Certes le graphisme de Vance reste prodigieux de précision sans oublier les merveilleuses couleurs de Pétra. Connaissant bien les Etats-Unis, je les retrouve parfaitement restitués dans la saga. Néanmoins, la série fut un chouïa trop longue aussi n'ai-je gardé que les douze premiers items, en éliminant d'ailleurs les reprises mercantiles et autres greffons. L'opus choisi me semble intéressant parce qu'il affiche clairement la féminité de Jones (sa tristesse face à la blessure de la page 7) et son amour pour XIII (le
Au secours de la page 36). Le duel à distance entre Jones et Judith dépasse les stéréotypes bêtas sur la rivalité entre deux belles femmes pour le même homme : il contribue à la construction de l'ambiguïté générale de XIII.
49)
Quai d'OrsayCette délicieuse parodie du mandat de Dominique de Villepin m'a beaucoup fait rire. La quête impossible du discours parfait rappelle bien évidemment le roman inachevé de Joseph Grand dans
La Peste de Marcel Camus, et surtout pose la question des valeurs essentielles de la vie. Où s'arrête le superflu et où commence l'essentiel ? Une superbe métaphore en tout cas. Le style de Blain choque au premier regard puis séduit le temps passant…
Quel titre choisir pour la cinquantième œuvre ? Et bien je vais m'en remettre à vous, chers membres du forum
. Se limiter à cinquante fut (très)² difficile même si ma bibliothèque ne comporte que 650 références ce qui permet de les balayer d'un coup d'œil. Du coup, je n'arrive plus à choisir entre Druillet, Cauvin/Lambil, Ayroles/Guarnido et Eisner.
Pour le premier, le prodigieux graphisme des
Six voyages de Lone Sloane cache des scénarios améliorables, pour ne pas dire plus.
Quant à la série de
Tuniques bleues, elle constitue un splendide et hilarant réquisitoire contre la guerre. Mais le graphisme de Lambil ne me semble pas au niveau des scénarios de Cauvin.
Toujours dans le domaine de la BD historique et cette fois-ci dans les publications récentes,
Les indes fourbes d'Ayroles et Guarnido constitue une œuvre phare. De mémoire, elle a obtenu tous les prix possibles l'année de sa publication, sauf bien évidemment celui du Fauve d'or mais nous savons tous que le jury d'Angoulême assume un intellectualisme quasi sectaire. Je reste encore sous le charme de cet ouvrage où un scénario diabolique se marie avec un dessin de haute volée.
Pour le
Spirit d'Eisner, derrière le travail original et très convaincant d'une première page en quasi relief se cachent de belles histoires, cruelles, drôles, inquiétantes et sensibles. Des petites merveilles qui s'enchainent avec beaucoup de bonheur.
Au final, lequel de ces quatre titres me conseillez vous de sélectionner dans ma liste des 50 meilleures BD ?
Eléanore