Eleanore-clo nous a déjà presque tout dit au sujet
de Perpendiculaire au Soleil (au post 763 et à la page 31), un livre qui décrit avec justesse la situation d'un condamné à mort aux USA. Mais voilà, j'ai tellement apprécié cet album qu'il me faut bien y ajouter quelque chose, afin d'enfoncer un peu plus le clou !
La séduction
de ce livre provient d'abord
de son authenticité. L'autrice, Valentine Cuny - Le Callet, s'est inscrite il y a quelques années dans une association qui soutient les condamnés à mort américains, en échangeant avec eux une correspondance régulière. Elle est ainsi entrée en contact avec un meurtrier présumé, qui proclame son innocence et qui attend désespérément la révision
de son procès. La narration du livre suit dès lors scrupuleusement le déroulement
de leurs échanges épistolaires et le lecteur se retrouve bien sûr devant les situations et les impressions que la narratrice a vécues. On lit ainsi les lettres intelligentes et souvent touchantes qu'elle reçoit du condamné, ce qui réveille en nous une sorte
de malaise. Quel parti faut-il donc prendre ? Ce condamné ment-il ? Et même s'il ment, est-il juste
de le faire souffrir en lui faisant interminablement attendre la mise en œuvre
de sa peine ? Et face à ces questions, il est impossible
de rester indifférent.
Contrairement à eleanore,
je n'ai pas eu l'impression que l'autrice cherchait à nous convertir. Son récit reste très factuel et ce sont bien les faits eux-mêmes qui sont provoquants. Même si on est favorable à la peine
de mort, et c'est mon cas, est-il humain
de faire attendre un condamné pendant 10 ou 15 ans, et
de lui donner possibilité
de redevenir un brave type, avant
de procéder à l'exécution
de sa peine. Par ailleurs, cette détention prolongée (et généralement sans espoir) se révèle destructrice sur le psychisme
de la personne emprisonnée. Le lecteur découvre donc dans ce livre le long supplice d'un condamné et cette réalité est difficilement supportable.
Le récit fait plus
de 400 pages et j'ai craint que cela ne devienne à la longue un peu ennuyeux. Mais cela n'est jamais le cas ! D'abord parce que l'intrigue et les personnages évoluent, et ensuite parce que la dessinatrice fait preuve d'une constante créativité sur le plan graphique. Les images symboliques,
de même que les représentations caricaturales ou poétiques sont fréquentes et j'ai beaucoup apprécié leur justesse. La dessinatrice est clairement contre la peine
de mort mais on devine que par moment, elle s'interroge quand même sur la sincérité
de son correspondant.
Le point central du livre se place au moment des rencontres
de la dessinatrice (qui s'est déplacée aux USA) avec le condamné. Ce dernier se révèle intelligent, sensible et d'une profonde humanité. On a dès lors envie qu'il soit réellement innocent, afin que l'on puisse "s'indigner en paix", mais ce serait trop simple. La réalité est bien sûr plus trouble. Le condamné s'est conduit comme un vrai délinquant et il nie seulement le fait d'être le meurtrier (il accuse ses complices). Et
de fait, on peut se présenter comme un brave type tout en ayant commis des méfaits plus ou moins indignes dans le passé. Pour moi, ce condamné à mort garde tout son mystère, mais ce n'est pas une excuse pour le rejeter.
Ce qui est certain, c'est que l'humanité
de ce condamné est aussi touchante que troublante. Il est par exemple capable
de comprendre et
de commenter un poème
de Baudelaire avec beaucoup
de justesse et
de pénétration, tout en utilisant ses propres références
de délinquant américain. Mais au fond, c'est bien l'une des caractéristiques
de l'être humain, que
de savoir présenter
de multiples facettes. Et la fréquentation régulière d'un condamné (
de même que la lecture
de ce livre) nous amène inévitablement à cette conclusion.
La fin du livre est marquée par une sorte
de décomposition psychique (probablement due à une dépression) du condamné, car il devient à la longue incapable
de poursuivre sa correspondance avec la dessinatrice. Ce processus est assez compréhensible, mais il est quand même émouvant. La simple privation
de liberté peut aussi amener à ça, et ce livre nous le fait découvrir avec simplicité, sans pathos. Une célèbre chanteuse fredonnait au siècle passé "ta douleur efface ta faute", et c'est un peu ce que l'on ressent en terminant ce livre. Ce type a certainement commis quelque chose
de dégueulasse, mais le système pénitentiaire américain se montre terriblement capable
de lui faire payer la note !
Bref, c'est une splendide lecture, qui flatte en premier notre sensibilité esthétique, grâce à l'incessante créativité graphique
de la dessinatrice, mais qui est surtout propice à susciter
de terribles réflexions sur une réalité complexe celle
de la peine
de mort. A mon avis, il n'existe pas
de réponse simple.
C'est sans aucun doute une des toutes bonnes lectures
de l'année !
EEEE