JYB a écrit: A mon tour de donner mon point de vue (que j'ai d'ailleurs déjà donné ailleurs sur ce forum, mais allez retrouver ça rapidement, dans le flot des posts et des sujets...).
C'est pour cette raison que je crée des sujets avec un titre explicite, que je déplace parfois des posts et que je réorganise de temps en temps le forum.
JYB a écrit:1) le héros d'une BD a un statut à part. Je dis bien : le héros, et je dis bien : d'une BD ; je veux dire par là que ce n'est pas un être humain ordinaire qu'on rencontre au coin de la rue, et une BD a toujours eu un caractère de fantaisie, comme dit plus haut, même si certaines séries sont très réalistes, ou se veulent très réalistes. Ce statut à part veut que, dans le cadre d'une série, on le retrouve à chaque nouvel épisode, et qu'à chaque fois, il s'en sort victorieux et haut la main. Et à la longue, un peu comme un demi-Dieu, il s'affranchit de certains aléas humains, comme les problèmes de santé (le nombre de coutures sur tout le corps, de fractures réparées partout, de brûlures, etc., que devrait avoir un héros qui en voit de toutes les couleurs au fil de ses aventures...). Dans le même ordre d'idée, s'il échappe à la mort accidentelle, il échappe aussi à la mort naturelle, donc au vieillissement. Comme je l'ai dit ailleurs sur ce forum, c'est un code convenu.
Tout à fait d'acord, cela correspond au héros d'aventure classique mais il y a quand même d'autres modèles de personnage central. On en trouve non seulement dans la BD comique (Gaston, Lapinot ...) mais aussi dans la BD réaliste (je pense à Ian Mac Donald de Vidal et Parras, que les auteurs ont fait mourir après 3 ou 4 aventures).
JYB a écrit: 2) en outre, son physique reconnaissable en fait un point de repère pour le lecteur, un point d'ancrage, et parfois un peu comme la lueur d'un phare dans la nuit. Quand un problème arrive dans l'histoire, on sait automatiquement que le héros va intervenir et va sauver tout le monde... Et on peut difficilement ne pas tenir compte de cet automatisme : de façon inconsciente, le lecteur habitué à lire une BD avec un héros, apprécié, défini et physiquement connu, attend que ce soit CE héros qui intervienne, dans le 5e épisode, dans le 10e épisode, dans le 20e épisode, etc.
Il me semble que c'est de moins en moins vrai. Les grandes séries actuelles présentent volontiers des personnages ordinaires, faillibles, qui rencontrent des échecs et qui ne représentent pas toujours le bien. La liste serait trop longue pour être énumérée ici.
JYB a écrit:3) on sait aussi - enfin, je devine et je considère après mon expérience de scénariste - que plus les personnages principaux sont nombreux, plus le lecteur se perd et moins il accroche à l'histoire. Il faut un héros principal, deux maximum. Quand il y en a trois ou plus, c'est d'abord plus difficile pour le scénariste de les mettre tous en scène ; et s'il en met un en valeur, les lecteurs se disent : mais alors, l'autre ou les autres héros, ce sont des faire-valoir, ils ne servent à rien, dans certains épisodes, ils n'ont pas de rôle de premier plan, etc.
Pas vraiment d'accord. C'est probablement un bon principe pour le scénariste de concentrer l'action sur deux ou trois héros pour ne pas se perdre, mais il y a aussi d'excellentes séries qui font intervenir de multiples personnages (on pourrait citer des BD américaines récentes comme les
Watchmen, pour prendre un exemple réussi). La prolongation d'une série amène par ailleurs souvent une multiplication des intervenants, qui se présentent d'abord comme des personnages secondaires avant de devenir des personnages principaux. On constate bien ce phénomène dans les séries de Milton Caniff ou Hal Foster, par exemple. Il y a enfin de grandes séries classiques, comme
Gasoline Alley, dont les héros sont très nombreux.
JYB a écrit:4) il y a un problème avec la BD, c'est que c'est visuel, donc que le lecteur voit dans chaque case, dans chaque album, le même héros. Que le héros ne vieillisse pas d'un album à l'autre, ça n'est pas gênant. Mais si de nombreux albums existent, quand on considère cette longue période, là ça peut choquer que le même personnage ne vieillisse pas. Comme je l'ai dit dans le premier post de ce sujet, plus haut, et comme l'a dit aussi Jean-Marc, s'il faut être réaliste, il faudrait faire des séries courtes, le héros vieillissant et finissant par ne plus être opérationnel (comme les pilotes de chasse tels Buck Danny, Dan Cooper, etc.) ou par prendre leur retraite (et on ne les voit pas être mis en scène dans des aventures trépidantes alors que l'arthrose menace). Dans un roman, avec un héros qui a vécu de très nombreuses aventures (SAS par exemple), je n'ai pas l'impression qu'on se pose ce genre de question sur le vieillissement ; car au moins, on ne voit pas son physique ; et 50 ans après sa création (ou environ), SAS est toujours aussi fringant avec les jolies femmes ; personne n'a fait la réflexion : ben non, vieux comme il doit être...
N'étant pas un amateur de SAS, je ne ferai pas de jugement sur la crédibilité de ces livres, mais il me semble que le problème du vieillissement du personnage est en effet plus fort dans la BD, car le lecteur voit le personnage. Dans un roman, il se contente de l'imaginer, en lui donnant le visage qui lui convient (plus jeune ou plus vieux, à sa guise).
JYB a écrit:5) je l'ai dit cent fois sur ce forum (et ailleurs), et je le répète pour la 101e fois : à la disparition de son créateur, un personnage de BD doit aussi disparaître. Je profite de ce débat pour ajouter une autre raison : en maintenant en vie un héros contemporain, après la disparition de son créateur, on est encore plus irréaliste si ce héros a toujours le même âge ou à peu près le même âge qu'au moment du lancement de la série. Donc, rien que pour cette raison, à la mort du créateur, on arrête tout, point final (final, c'est le cas de le dire)..
On en a déjà débattu. Lorsqu'un auteur souhaite que la série lui survive, il est normal de la poursuivre, en admettant que cela entraîne des changements. Ajoutons que les USA nous fournissent de nombreux exemples de séries qui se sont poursuivies plusieurs dizaines d'années après la disparition de leurs créateurs. Il y a souvent un déclin en qualité ou en originalité, il faut bien l'admettre, mais il y a aussi d'étonnantes réussites. Je pense ainsi à la reprise de
Batman par Frank Miller ("Dark Knight") qui est un véritable chef d'oeuvre. Cette BD est même supérieure à la série originale et dans ce cas, on peut se féliciter que l'éditeur ait voulu de continuer la série.
JYB a écrit:6) solution pour éviter ce problème du vieillissement naturel d'un héros récurrent : on fait des "one-shot" : une histoire, un héros, et on passe à autre chose dans l'album suivant, avec un autre héros (qui a un autre nom et un autre physique), qui vit une autre histoire, même si cette histoire est exactement dans le même contexte, le même domaine, que la précédente. Ca va faire drôle, à la longue, cette multiplication des albums, des héros, etc. Et, point très important, du côté des éditeurs, ça ne va pas être viable ; car, il faut tenir compte de ça aussi : un héros fort et qui vit de nombreuses aventures, c'est la "poule aux oeufs d'or". Quelqu'un l'a dit ici, et il faut le redire : oui, un héros récurrent qui vit de nombreuses aventures, c'est la poule aux oeufs d'or. Que l'on trouve cet aspect des choses anti-artistique, anti-créatif, peu ragoûtant ou vexant ou tout ce que vous voulez, tout éditeur normalement constitué est à la recherche de héros récurrents, car c'est le seul moyen de faire rentrer suffisamment d'argent dans les caisses pour que sa boîte tienne et ait pignon sur rue. Vu de l'autre côté de la barrière (le côté des commerciaux et des financiers), c'est aussi simple que ça...! Tout éditeur qui lance un nouvel album, se dit : "pourvu que ça marche, et qu'on puisse sortir l'année prochaine un autre album avec le même personnage - et les mêmes auteurs" . Citez-moi un seul éditeur qui ait tenu le coup financièrement en faisant uniquement des one-shot ? Ne me citez pas L'Association : comme son nom l'indique, ce n'est pas tout à fait un éditeur, mais une association.
Je pense tout de même que l'on peut créer une excellente série en faisant vieillir son héros. Prenons pour exemple
Louis la Guigne, une série historique publiée chez Glénat qui s'est malheureusement arrêtée à la mort de son dessinateur (Dethorey). C'est une BD d'aventure assez classique, dont le personnage principal voyage à travers le monde. Elle est construite avec une sensibilité moderne, car le personnage est bien ancré dans son époque et il mûrit au cours de ses aventures (au passage, j'ai envie de tirer un coup de chapeau à Giroud, un excellent scénariste de BD qui me semble un peu sous-évalué).
JYB a écrit:7) je vais prendre l'exemple (que je connais bien) de Buck Danny, qui existe depuis 1947, et qui va vivre de nouvelles aventures l'année prochaine sans doute, vu qu'une nouvelle équipe a été engagée pour la continuer aprèsles décès anciens de Victor Hubinon puis de Jean-Michel Charlier, et après l'abandon récent du dernier auteur en titre, Francis Bergèse. Le directeur de la maison d'édition Dupuis avait voulu, dans un premier temps, ai-je cru comprendre, stopper définitivement la série. Il s'est ravisé mais pour lui, cet aspect dont on débat (l'âge du héros, 60 ans après sa création dans Spirou) est totalement inconcevable. Il a donc demandé à ce que le personnage se retrouve à vivre des aventures dans les années 50, et qui plus est avec des avions civils comme dans les épisodes des Gangsters du pétrole, Les Pirates du désert, etc. Refus catégorique des ayants-droit, qui argumentaient que la série est connue pour être en prise sur l'actualité (et même - ça, c'est moi qui l'ajoute - parfois en avance sur l'actualité grâce à l'intuition et au talent de prospective de JM Charlier). Donc, ça a coincé au niveau des discussions entre l'éditeur et les ayants-droit, qui ont finalement gagné puisque le prochain album mettra en scène des avions de chasse américains très récents (des F-22, si ça dit quelque chose à quelqu'un).
Résultats des courses : personnellement, et en mettant de côté cette histoire de fric évoquée dans le point 6), j'admets l'intemporalité et l'immortalité du héros, parce que c'est un héros. Et moi, ça ne me gêne pas du tout que le même héros soit toujours là, en activité, à vivre à chaque fois de nouvelles aventures.
Etant un lecteur de Buck Danny depuis mon enfance, je vais suivre cela avec intérêt. Il m'aurait cependant semblé plus judicieux de créer de nouvelles aventures situées pendant les années 50. Cela permettrait de jouer sur l'effet "nostalgie", ce qui n'est pas désagréable, mais aussi et surtout de remettre Buck Danny dans son véritable monde, celui des années 50 et de la guerre froide.