La seule anecdote personnelle que je peux rapporter concernant Jacques Martin est celle-ci.
Quand je me suis lancé dans la BD, à la fin des années 70, j'ai reçu pas mal de critiques venant d'un certain nombre de personnes du milieu (mes dessinateurs, des confrères, des critiques et journalistes, des lecteurs...) qui ne cessaient de dire que je faisais fausse route en écrivant des dialogues et des textes très longs (selon eux ; car pour moi, ça me paraissait des longueurs normales..) : il fallait faire court, élaguer, abandonner le style bavard des BD des années 50 dans Tintin en l'occurrence, etc., bref il y avait tous les arguments pour me convaincre de laisser en tout cas beaucoup plus de place au dessin. Or, non seulement je n'étais pas d'accord, mais en outre je constatais que les grands anciens continuaient à mettre pas mal de textes dans leurs planches de BD, comme Jean-Michel Charlier bien sûr, et aussi Jacques Martin dont je lisais les histoires dans le journal de Tintin et dans les albums d'Alix et de Lefranc. Ceci n'empêchait pas du tout le succès de ces séries.
En 1982, j'en ai eu un peu marre de ces "pressions" et j'ai envoyé une lettre à Jacques Martin justement. Je n'avais pas son adresse, mais je lui ai écrit via le journal Tintin. Je lui demandais quelle était sa position par rapport à cette question, s'il avait des arguments en faveur de textes copieux tels qu'ils les écrivaient sans défaillir et si la tendance (à l'époque bien sûr) qui voulait qu'on réduise les textes allait le convaincre de s'y plier. Eh bien, il m'a répondu. Et je garde bien sûr précieusement son mot manuscrit, rédigé sur une grande carte de visite (avec son adresse personnelle en en-tête, ce qui fut pour moi une marque de confiance ; il habitait rue de Ferrière à Bousval).
Je vous retranscris ici son texte intégral :
"Cher Ami, (note JYB : c'est JM qui a mis une majuscule à "Ami")
Un bien grand merci pour votre très aimable lettre.
En ce qui concerne la cadence texte-dessin, je crois avoir, en ce qui me concerne, établi une proportion raisonnable permettant un récit convenable et un volume d'illustrations mesuré. Inutile de vous préciser que je poursuivrai dans cette voie. Bien sûr, je comprends votre désarroi devant la tendance "moderne" qui privilégie exagérément le dessin par rapport au récit ; le résultat final étant un rejet du public, dans la plupart des cas... Que faire !? Insister, persévérer et ne pas transiger, quitte à se séparer de collaborateurs qui ne sont pas "sages" même s'il faut être un peu fou pour faire ce métier.
Bien amicalement et cordialement à vous,
J Martin"
Je pense qu'il m'aurait autorisé à dévoiler ces conseils, que je révèle pour la première fois ici, que j'ai suivis bien sûr, et que je garde en mémoire depuis près de 30 ans.