Voilà, j'ai lu ce week-end
Le Sang des Cerises, un titre qui démarque ironiquement une célèbre chanson, créée à l'époque de la "Commune" en 1870.

C'est très beau ... et Bourgeon a fignolé son oeuvre à l'extrême, comme d'habitude, mais j'en suis ressorti avec un sentiment d'inachèvement. Cela s'explique peut-être par le fait que c'est le premier tome d'un diptyque, mais ce n'est pas sûr.
Bien qu'elle se place entre 1885 et 1889, cette BD veut avant tout parler de la révolution de 1870, dénommée "la Commune". Et pour cela, Bourgeon nous raconte d'abord la rencontre de deux femmes. La première est Zabo, l'héroïne du précédent "cycle du Bois Caïman", qui est venue en France à la fin du règne de Napoléon III et qui a participé à l'insurection de 1870. Elle a été déportée en Nouvelle Calédonie puis grâciée par la 3ème République quelques années après. Au début du récit, elle recueille chez elle Kervi, une paysanne bretonne qui n'a pas suivi d'école, qui ne parle que son patois et qui survit comme elle peut dans les faubourgs parisiens. Elle est poursuivie par son ancien souteneur qui veut la punir ... et c'est en fait l'unique et ténu fil narratif de ce premier album.

Mais que se passe t-il alors, dans cette BD ? Peu de chose, en fait ! On rencontre de nombreux personnages (pas toujours identifiables) qui parlent, et qui reparlent, presque toujours de la Commune et de ses malheurs, de ses massacres, de ses anecdotes, ou de ses conséquences. C'est une BD très bavarde donc, qui me fait beaucoup penser au "Cri du Peuple de Tardi, une autre BD consacrée elle aussi à la Commune, où les discours (et parfois le prêchi-prêcha) avaient tendance à remplacer une véritable intrigue.

Cependant,
le Sang des Cerises est quand même une BD historique réalisée d'une manière impeccable. Les efforts de documentation sont impressionnants et Bourgeon restitue à merveille les costumes, les décors, les classes sociales et le langage parisien de l'époque. L'œuvre commence par le récit de l'enterrement de Jules Vallès, événement historique mineur de l'époque, et la description des lieux, le défilé des personnages célèbres ou la gouaille parisienne sont restitués avec une remarquable précision. Pour paraphraser la fameuse phrase du maréchal Le Bœuf avant la guerre de 1870, on pourrait dire "qu'il n'y manque pas un bouton de guêtre" ! Le dessinateur connait son métier et nous offre une fresque historique remarquable.

Et puis, le travail graphique est également à la hauteur des attentes. Travaillant généralement avec de grandes cases, et parfois même avec une page entière, Bourgeon alterne à merveille les gros plans expressifs avec les descriptions des lieux parisiens. Les paysages sont séduisants, les couleurs sont comme toujours chatoyantes et l'on s'arrête parfois devant certaines cases qui semblent inspirées, en saisissant une lumière magique ou une beauté fugace,

A la fin de ce premier épisode, les deux femmes prennent le train et Zabo promet à Kervi de lui raconter son histoire. On peut imaginer que ce sera en partie le récit de "la Commune" et que les événements seront plus nombreux dans la seconde partie de cette œuvre qui semble prendre tout son temps. Et si c'était cela la grande intention de François Bourgeon : réaliser un très long roman en BD à la manière d'Honoré de Balzac, ou d'Emile Zola, en consacrant une lente introduction à la description des lieux, de l'époque et des personnages avant de raconter son drame ? La réponse nous apparaîtra dans deux ou trois ans, dans le tome 2 … qui va sûrement se faire un peu attendre.

C'est probablement aussi un album à relire, si l'on veut en comprendre tous les détails, et savourer cette fresque d'une 3ème République encore incertaine de ses fondations, et cherchant un peu sa légitimité. Et puis, il est tout de même agréable de voyager dans le temps et de découvrir une ville parisienne à la fois proche et éloignée de celle que l'on connait, légèrement anarchique et vibrante de vie, et capable de tous les bouleversements.
C'est donc très beau, et j'ai hélas moyennement aimé, mais c'est aussi un avis qui pourrait changer au cours du temps. Alors, ne vous privez pas du plaisir de découvrir cette histoire par vous même.

Bourgeon est un grand auteur.