Bon, une petite réponse. Je vais essayer de faire court.
JYB a écrit: Je vois surtout qu'on ne parle toujours pas de la même chose...
Ce que tu présentes est un bric à brac de publications disparates. Tu t'en tiens à une pagination conséquente (plus de 100 pages, voire plus de 200) pour me démontrer que des albums copieux existent - donc que j'ai tort. Or, qu'en est-il du contenu de ces albums ?
Je t'ai en tout cas montré que les albums de plus de 100 pages (ou plus) ne sont vraiment pas rares.
JYB a écrit:Dans ta liste, il y a des albums Noir et blanc (où est la couleur ? ; STP, ne cite pas les albums N&B ; les projets couleur sont les plus onéreux, donc les plus difficiles à mettre sur pied, or c'est des gros "pavés" en couleur dont, me semble-t-il, nous parlons) ; il y a des récits autobiographiques ou documentaires (où est la fiction ? ; ne cite que des fictions, c'est plus difficile là aussi à mettre au point, il faut des scénaristes qui ont du souffle, de l'imagination, et QUI AIMENT INVENTER DES HISTOIRES, comme Pratt, Charlier...
Pourquoi exclure les albums noirs-blancs ? Aujourd'hui, il s'agit bien souvent d'un choix esthétique et pas seulement une solution économique.
Pourquoi exclure des documentaires ou des autobiographies, qui sont parfois bien plus intéressants à lire que certaines fictions qui n'inventent pas grand chose.
Par ailleurs, même dans un documentaire, il y a une mise en scène et une manière de raconter l'histoire qui joue un rôle important. Il y a une étape préparatoire, avec des dessins de recherche et des essais de mise en page, qui prend souvent beaucoup de temps. Crois tu que Cyril Pedrosa a dessiné les 250 pages de Portugal comme ça, au fil de la plume (ou du pinceau), sans avoir préparé son histoire ?
Même Joann Sfar, qui dessine pourtant à toute vitesse, s'accorde un temps de préparation pour le scénario et une première étape avec des crayonnés.
JYB a écrit:Personnellement, si je veux lire un documentaire, je prends un livre d'histoire ou de géographie, ou un DVD, mais pas une BD comme celles que tu présentes et qui ne sont qu'un interprétation ou une adaptation) ; il y a encore, dans ta liste, des sortes de romans illustrés ou divers essais personnels (y compris graphiquement parlant) (où est la bonne BD traditionnelle ? ; les atermoiements de l'auteur qui se regarde le nombril et se pose des questions existentielles pendant tout un gros album, très peu pour moi ; ça peut plaire à d'autres, mais bon...). Etc.
Les exemples que je cite font partie de la BD traditionnelle, même si ce ne sont pas des feuilletons (westerns, histoires de guerre etc..). Je n'ai même pas considéré les BD qui appartiennent à l'avant garde, dans laquelle on ne trouve souvent pas de récit clairement construit.
JYB a écrit:Evidemment, oui, un puissant éditeur (dans ta liste : Delcourt, Dupuis, Gallimard...), et seul un puissant éditeur, peut financer, et prendre le risque de financer, sur le long terme, la préparation d'un gros album (pour apporter la contradiction, tu vas me reparler de Futuropolis, petit éditeur qui réussit à sortir des gros albums en couleur comme ceux que tu as cités quelques posts plus haut ; oui, mais Futuro, si je ne m'abuse, est depuis 2004 une filiale de Gallimard... Et le premier album Abdallahi dont tu as parlé plus haut date de 2006. Tiens tiens... Quelle coïncidence).
Evidemment, oui, en choisissant comme auteur une vedette médiatique (Sfar), un éditeur met toutes les chances de son côté. Quand Sfar sort un album (ou un film..), la presse en parle. Une bonne campagne promotionnelle, ça aide... Or, pour arriver à une telle notoriété et à une telle couverture médiatique quand il sort un album, Sfar a, comme tout le monde, commencé petit et galéré. Rien ne tombe du ciel comme ça. Ni une telle notoriété, ni - pour en revenir à notre débat - un album de 140 pages tout couleur..
Effectivement, ce sont bien plus souvent les gros éditeurs, et les auteurs connus dans le monde de la BD, qui se lancent dans l'édition d'un gros album "à risque". C'est tout-à-fait compréhensible, mais Futuropolis (que je considère aussi comme un "gros éditeur") lance assez souvent des auteurs peu connus. Pour reprendre un exemple déjà cité, Dabitch et Pendanx étaient quasimment inconnus avant la sortie d'Abdallahi.
JYB a écrit:Evidemment, oui, si on accepte, dans la liste des albums à prendre comme exemples à l'appui de ton argumentation, n'importe quel thème, n'importe quel type de dessin, n'importe quel type de narration, si on "ratisse large", on trouve des albums de plus de 100 ou 150, voire 200 pages. Mais ces exemples ne feront qu'approcher de ce dont je parle.
De mon côté, je ne me contente pas de lire un seul genre de BD. L'humour a tout autant de valeur que l'aventure, et le reportage a tout autant d'intérêt que la fiction. De plus, le dessin caricatural peut poser tout autant de problème que le dessin réaliste, souvent basé sur des photos. Il n'y a pas que Buck Danny (que j'aime bien par ailleurs).
JYB a écrit:Evidemment, oui, il y a un public pour ce genre de BD sortant des sentiers battus. Mais moi qui aime la bonne BD de fiction traditionnelle qui me transporte dans des aventures trépidantes et hors du commun, avec des dessins soignés, en couleur, je reste sur ma faim (quand je dis "en couleur", cela ne veut pas dire que je veuille absolument de la couleur, mais un album coûtant 4 fois plus cher à fabriquer s'il est en couleur - sans parler de la rémunération d'un coloriste -, et comme on parlait des difficultés de financement d'un tel projet à cause de la mise en couleur, donc ne parlons pas des BD Noir et blanc).
C'est ton choix. De mon côté, j'aime bien les albums en couleur mais il me semble que, parfois, cette couleur sert plutôt à masquer l'indigence du dessin.
JYB a écrit:Au sujet du public à qui se destinent ces BD, voir aussi ce qu'a dit Damned dans un précédent post : il ne connaît pas un seul des albums que tu as cités il y a quelques jours, et n'a pas envie de les acheter en voyant de quoi il retourne. On est au moins deux. Certes, on est des vieux barbons qui n'y comprennent rien à la BD moderne... Personnellement, je ne la rejette pas ; il faut de tout pour faire un monde, comme on dit.
Ce n'est pas ça ! La réalité, c'est que 3500 "nouveautés" sortent chaque année et que personne n'a le temps (ni l'envie) de tout lire. Nous parlons tous de la BD en ne lisant qu'une petite partie de ce qui sort.
JYB a écrit:Pour arriver à un bon gros album plein d'aventures passionnantes comme ce que j'ai en tête, je constate qu'il faut attendre qu'un éditeur ait patiemment sorti des albums classiques de 46 planches, pendant des années et des années, puis, succès venant, qu'il ait rentabilisé son affaire et qu'il rassemble 3 ou 4 histoires en une seule Intégrale : voir les Intégrales Dupuis, Dargaud... Mais ces intégrales ne sont plus des inédits. Va obtenir le même résultat en une seule fois, en partant de zéro, et en finançant ça sur des années, sans prépublication dans un journal... Autre paire de manches, et je ne connais pas beaucoup d'éditeurs (ni d'auteurs) assez audacieux pour se lancer dans un tel projet de longue haleine... A moins que, encore une fois, tu aies des exemples...?
Effectivement, il y a encore une place pour le "44 pages couleur".
JYB a écrit:Autre point important : as-tu remarqué que les albums que tu as cités dans le post précédent sont (sauf erreur) réalisés chacun par un auteur complet et seul ? De tels projets de longue haleine sont plus difficiles à mener s'il y a deux auteurs (un scénariste et un dessinateur) + éventuellement un troisième larron qui est le coloriste. Curieux, non ? Autre sujet de méditation pour comprendre comment et pourquoi ces albums que tu as cités ont plus facilement pu voir le jour... Sais-tu que le scénariste et le dessinateur de la série Abdallahi dont tu nous as vanté les mérites ont fini par se fâcher et ne bossent plus ensemble ! Ah ben oui... Il en fut de même pour une très bonne série d'aviation avec des gros albums de 74 planches : Fox One. Les deux auteurs se sont fâchés, et il n'y a eu que trois albums, alors que la série était promise à un bel avenir, damant le pion à Buck Danny et Tanguy & Laverdure. Pas de chance, hein...? Voilà une autre condition pour mener à terme un travail de longue haleine sur un gros projet : une complicité et une collaboration à toute épreuve. Pour ce qui est de Fox One, tu sais comment le premier album a pu sortir ? Deux auteurs pas connus, et même totalement inconnus au départ : Olivier Vidal pour le scénario, et Renaud Garreta au dessin. Un premier gros album de 74 planches, tout couleur, couverture carton dur, format plus grand que la classique BD façon Dupuis, chez un tout petit éditeur qui se lançait, Wilco Editions. En théorie, c'est impossible que ça sorte. Eh bien, la BD mettait en vedette l'avion Rafale, et c'est Dassault, le constructeur du Rafale, qui a financé ce premier album. Quand l'éditeur Dargaud a constaté le résultat, il a repris Wilco et les deux albums suivants ont été publiés sous le label Dargaud. Ben oui, quand tu as Dassault derrière toi, tu peux sortir un gros album tout couleur... Voilà un exemple concret qui devrait mieux t'éclairer sur ce que j'essaye de t'expliquer depuis trois ou quatre posts. Mais qui ressemble trop à une opération de comm' de la part de Dassault. Pas sûr que Dassault finance d'autres BD, surtout n'ayant rien à voir avec le Rafale. Ce fut donc une opération unique.
Je ne connaissais pas toute cette histoire, bien sûr ! J'ai par contre lu, il y a quelques années, le premier album de
Fox One et je n'ai pas du tout aimé (en fait, j'ai franchement détesté). J'ai trouvé le dessin grossier et "tape à l'oeil", et le scénario sans grand intérêt. Il vaut mieux lire
Mission Kimono.
JYB a écrit:Un gros album de 150 ou 200 pages en couleur est difficile à créer pour une raison à laquelle les lecteurs ne pensent pas : la lassitude du dessinateur qui n'en voit plus le bout. En effet, faire de tels dessins, attaché à sa table, pendant des mois et même plutôt des années, il faut le supporter. Et quid du dessinateur qui en a marre, qui tombe malade, qui divorce, rencontre des problèmes personnels en cours de route, est sollicité pour réaliser un autre travail plus intéressant, plus rémunérateur, plus rapide, etc ? Il vaut donc mieux avancer au coup par coup, en réalisant l'un après l'autre des albums classiques de 46 planches. Et voilà une des bêtes raisons qui font que l'on a souvent des tomes 1 de 46 planches, débutant une longue aventure avec la suite au prochain numéro !
Tout cela, je le sais. Etant amateur des BD de Schuiten, je me suis rendu compte du temps qu'il mettait (environ 3 ans) pour dessiner de longues histoires (150 pages) en couleurs. Ceci dit, Schuiten fait aussi bien d'autres choses, et c'est la véritable explication de sa lenteur.
JYB a écrit:Encore autre chose : parlant de Joan Sfar : tu as vu sa bibliographie ? Une production phénoménale ! Il doit dessiner très, très vite. Il fait des BD entre la réalisation d'un film et deux romans. Facile, dans ces conditions, de "descendre" un 150 planches en un rien de temps. Que son dessin plaise ou non, soit bon ou non, peu importe, ce n'est pas le propos. Mais demande à Francis Bergèse de "descendre" un Buck Danny de 150 pages. Si on se réfère à sa vitesse de production d'un album classique de 46 planches, ça va lui prendre une huitaine d'années... Dessiner Buck Danny l'a tellement épuisé qu'il a jeté l'éponge et a pris sa retraite en 2006. Car dessiner des planches précises et soignées (et hyper documentées) comme celles de Bergèse dans Buck Danny est réellement, littéralement, épuisant (lire ce que je dis au paragraphe précédent).
Il y a des dessinateurs rapides, et d'autres qui sont lents. Hubinon, par exemple, dessinait facilement deux planches par semaine (Barbe Rouge ou autre chose + Buck Danny) lors de sa grande époque, et le résultat de son travail était excellent.
Joann Sfar est un cas différent. C'est d'abord un bourreau de travail, il faut le reconnaître. Ensuite, il ne s'attache pas à faire de "beau dessin". Par goût personnel, il préfère la spontanéité du trait. Lorsque le résultat ne le satisfait pas, il préfère recommencer la page que le dessin.
JYB a écrit: Sfar doit se fatiguer lui aussi, forcément, surtout au vu de sa production incessante, mais on voit bien que son dessin est plus succinct, plus enlevé, moins achevé, en tout cas plus rapidement réalisé. Tu auras remarqué aussi une "légère" différence de traitement entre le dessin d'un Reiser par exemple, et celui de Bergèse... Donc, des auteurs comme Reiser et Sfar peuvent produire vite et en quantité ; c'est une question de style. Mais, je devrais avoir honte de le dire, je n'ai aucun album de Reiser ni de Sfar chez moi. Je suis un mauvais client... Je ne rejette pas ce type de BD ; comme je disais plus haut, il en faut pour tous les goûts ; mais ne mets pas en avant un album de 150 pages de Sfar pour démontrer qu'on peut faire un gros "pavé" en couleur : ça dépend de quoi on parle, ça dépend de qui dessine, ça dépend du public à qui ça s'adresse.
Il n'y a rien de critiquable à cela. Je ne me suis familiarisé avec le dessin de Reiser (et son humour) que peu à peu, en lisant le journal Pilote. On ne peut pas tout aimer dans la BD, et j'ai moi aussi certains dessinateurs que je n'apprécie pas (Garetta par exemple).
JYB a écrit:Bref, ça en fait, des conditions favorables pour essayer d'arriver à un album d'une vraie et bonne BD classique de plus de 120 ou 150 pages, soignée, en couleur, totalement inédite... Je crains que je vais attendre longtemps un tel ouvrage qui me convienne.
Pour ma part, je n'attends pas de la BD qu'elle soit publiée dans un format standard de 44 pages couleur et qu'elle se limite à des récits d'aventure ou d'humour. Grâce à quelques pionniers (et au travail réalisé dans le journal A Suivre), on admet depuis au moins une trentaine d'années que la BD ne se limite pas au feuilleton ou au pastiche, et que'elle soit publiée sous la forme d'un roman ou d'un essai. La BD traditionnelle garde un certain charme, mais c'est parce que je lis aussi d'autres genres de récits que je continue à être un bédéphile.