Les maisons d'éditions sont souvent reprises dans de grands groupes, qui font d'autres choses que de la Bande Dessinée... Ce n'est pas le conseil d'administration qui va vérifier que tel scénario correspond bien à l'esprit de la série ou s'il y a eu un décalage dans les couleurs au cours de l'impression d'un album
Le genre de décision qu'un conseil d'administration prendra sera d'ordre plus général, comme se débarrasser du secteur BD s'il n'est pas assez rentable...
Ce que je tente de souligner, c'est que les personnes qui prennent les décisions pratiques au niveau d'un album (continuer ou non une série, le choix du format, du tirage, l'orientation de la série, etc...) ne sont pas directement intéressés aux ventes ! Ce sont des salariés. La même personne suit en même temps la production de plusieurs albums, et s'il y a un "couac", cela est noyé, dissout dans l'ensemble de la production. Par contre, les auteurs sont payés en raison directe des ventes de leurs albums. Ils sont donc beaucoup plus sensibles à tout ce qui peut contribuer au succès de leur album : choix de la couverture, PLV, placements en librairies, qualité de l'impression, etc.
Un auteur sait que le travail de toute une année peut être gâché par un décalage des couleurs parce qu'au moment de l'impression l'opérateur sur la machine est sorti griller une cigarette et que l'éditeur ne s'est pas donné la peine d'envoyer quelqu'un contrôler la mise en machine... L'auteur a mis une année pour réaliser cet album, alors que l'éditeur ou le directeur de collection est peut-être en train de suivre l'impression d'une dizaine d'albums dans la semaine...
Je me souviens d'un auteur qui m'expliquait qu'il se rendait de Belgique à Grenoble au moment de l'impression de ses albums, pour être sûr que ses couleurs soient bien respectées. Je me souviens que dans une interview des années '70 (à l'époque du Dieu Sauvage), Jacques Martin avait dit qu'il apportait beaucoup de soin au choix des couleurs, mais que tout était gâché à l'impression. Il y a aussi l'anecdote de Jacques Martin se rendant personnellement chez les libraires pour vérifier que ses livres était bien distribués
L'image de l'auteur qui cherche à faire de l'art pour l'art et de l'éditeur qui ne pense qu'au fric n'est pas correcte. Si la maison d'édition, d'une manière générale, cherche à faire du profit, c'est normal, c'est la base de toute entreprise commerciale ; mais il est important d'avoir à l'esprit que les personnes qui prennent les décisions pratiques ne sont pas associées directement à ce profit ! Dès lors, d'autre motivations que des motivations commerciales peuvent entrer en jeu : côteries, lobbying, népotisme, options philosophiques, politiques ou religieuses personnelles, etc...
On est bien de l'image pourtant répandue d'une nouvelle race d'éditeurs composée de gestionnaires spécialisés en marketing ! Souvent les décisions se prennent au coup par coup, sans ligne éditoriale directive, sans réflexion, sans étude et sans mesure ! Ce sont des décisions du type "j'aime ou j'aime pas" ou "mon petit neveu n'a pas aimé" ! J'ai travaillé quelques années dans la communication et je peux témoigner que nous avons réalisé des études sérieuses, que ce soit pour le lancement de nouveaux produits, comme un parfum, ou des campagnes publicitaires de fin d'année pour de grandes chaînes de grands magasins, ou encore de campagne publicitaires pour du dentifrice ; des enquêtes statistiques étaient menées, les clients étaient interrogés, sur les affiches, sur l'adéquation entre une campagne et un produit, sur l'emballage, le flacon, le bouchon... Si des clients étaient déçus par le produit, on essayait d'analyser pourquoi... On testait l'argumentaires des dentifrices auprès de dentistes...Tout était analysé, décortiqué, et, à la fin de l'étude, on pouvait faire des recommandations pratiques... Je n'ai rien vu de cela dans l'édition (mais je ne connais pas tous les éditeurs... - et j'en connais quand même au moins un qui avait fait appel à notre agence, mais c'était pour de la création de PLV, pas du suivi marketing)... J'ai lu quelque part que, dans les années '50, du temps héroïque des éditions du Lombard ou Dupuis - ou Marabout ? (je ne sais plus), on testait les livres auprès de certaines classes d'écoliers... Mais, alors qu'aujourd'hui on parle tant de marketing, je n'ai rien vu de tel...
Si un album a "marché" (ou n'a pas marché), personne ne peut dire si c'est dû à la qualité du dessin, à celle du scénario, au choix de la couverture, à la renommée de la série, au fait que l'album précédent a été apprécié (ou pas), à la publicité radio ou télé, à la campagne d'affichage, au PLV, au représentant qui bien (ou mal) fait son travail auprès des libraires, etc. Alors, comment corriger la trajectoire quand on avance ainsi dans le brouillard ?
On aura aussi remarqué que l'on ne tient pas plus compte des avis des critiques ou des lecteurs sur les forums... Tout le monde aura pu observer que certaines critiques revenaient régulièrement, à l'identique, album après album, concernant tantôt le dessin des personnages titres, tantôt la faiblesse des scénarios, sans que l'éditeur en tienne compte...