J'ai donc lu
Petit Pays et j'ai beaucoup aimé mais ... vous le saviez déjà !
Ce livre raconte la guerre civile entre Hutus et Tutsis qui est survenue au Burundi en 1993 et cet événement est bien moins connu que le génocide du Rwanda. Les causes sont cependant les mêmes et il est même assez difficile de séparer ces deux événements. L'écrivain Gael Faye, dont la mère est burundaise et le père français, a vécu sur place le début de cette guerre et il a raconté tout cela dans un roman à résonance autobiographique, paru en 2016. La BD de Sowa et Savoia est une adaptation de son livre.
Il est difficile pour un européen de comprendre cette hostilité (longtemps contenue) qui existait entre Hutu et Tutsi, et Gael Faye ne cherche surtout pas à nous l'expliquer de façon historique. Il prend au contraire le regard de l'enfant qu'il était à cette époque et introduit ce problème par une banale conversation entre Gaby (l'enfant métis qui est le héros du livre) et son père. "
Gaby : Alors la guerre entre les Hutus et les Tutsis, c'est parce qu'ils n'ont pas le même territoire ! Le père : Non, ce n'est pas ça. Ils ont le même pays. Gaby : Alors ils n'ont pas la même langue. Le père : Si, ils parlent la même langue. Gaby : Alors ils n'ont pas le même Dieu. Le père : Si, ils ont le même Dieu. Gaby : Mais alors ... pourquoi se font-ils la guerre ? Le père : Parce qu'ils n'ont pas le même nez. " Et c'est ainsi que le lecteur est abruptement confronté à l'absurdité de ce conflit.
Comme l'a relevé Clovis Sangrail, il existe une certaine ressemblance entre ce récit et l'histoire de Marzi, car tous les événements politiques et militaires sont racontés à travers le regard d'un enfant, mais la ressemblance s'arrête là. Le récit de Marzi garde jusqu'au bout une sorte de neutralité ironique tandis que la trame de Petit Pays évolue peu à peu vers un monde de cauchemar. Ceci dit, toute la première moitié du livre présente le Burundi comme un lieu de vie paradisiaque, dans lequel Gaby et ses camarades de jeu font volontiers les 400 coups. Leur vie est douce et paisible, même si les conversations des adultes révèlent déjà une formidable tension et une sourde angoisse.
Ensuite, la guerre civile fait son apparition et Gaby ne comprend pas tout de suite ce qui se passe. Sa mère s'est absentée, l'école ferme et il doit rester toute la journée à la maison, pour garantir sa protection. La guerre est alors racontée en creux et tout comme le jeune héros, le lecteur comprend bien peu de choses. De longues périodes de silence parsèment ce deuxième temps du récit et la narration est très habile ! Il s'agit bien sûr du calme qui précède la tempête.
Puis la mère de Gaby revient du Rwanda et la guerre civile devient enfin perceptible, et totalement intelligible. Les discours et les commentaires se multiplient, telle une avalanche, et il n'est plus possible de se réfugier dans l'ignorance. C'est le troisième temps du récit, qui suit une sorte de crescendo dans l'horreur. Gaby lui même se retrouve impliqué dans les événements et l'inhumanité de cette guerre nous apparait de façon très concrète.
Intelligemment, le récit de Marzena Sowa choisit ainsi le genre de la litote, en n'introduisant qu'assez lentement les horreurs que l'on découvre dans toutes les guerres civiles. Cette retenue de bon aloi permet bien sûr de mieux nous en faire éprouver l'horreur finale. De même, Sylvain Savoia raconte l'histoire de Gaby en dessinant des images assez lisses, le plus souvent dénuées d'effets cinétiques ou spectaculaires, qui donnent à la narration un rythme généralement paisible. Avec d'autres auteurs, l'œuvre aurait pu devenir un thriller un peu vulgaire mais
Petit Pays reste un récit à dimension humaine, à la fois subjectif et limité à la contemplation du réel, en ayant pour principale préoccupation de faire émerger la vérité quotidienne. La conclusion est aussi imprévue que spectaculaire, et c'est probablement la seule concession qui a été faite au romanesque.
Vous l'avez compris,
Petit Pays est indiscutablement une toute grande BD et probablement un des futurs top-ten de l'année 2024. J'ai adoré et ma note est logiquement un
EEEE.