Un nouvel album de Lepage est toujours un petit événement. Je me suis donc intéressé à
Cache-cache bâton, ce gros livre intrigant qui raconte des souvenirs d'enfance.
C'est une belle BD adulte, racontant une ancienne expérience de vie en collectivité. Elle s'est déroulée au début années 70 mais ce n'était pas une communauté hippie. C'était plutôt un ensemble de familles chrétiennes de gauche, assez proches sous certains aspects du mouvement situationniste (que je connais mal), qui avaient finalement décidé de passer à l'action. Les parents de Lepage faisaient partie de cette tendance catholique progressiste, qui avait pour idéal une vie humaniste fondée sur la fraternité et le partage.
Cette expérience de vie n'a hélas pas laissé que des bons souvenirs pour Lepage et la rédaction de ce livre a pris la forme d'une enquête longue et minutieuse. Les parents du dessinateur ont en effet quitté la communauté après 5 années de partage et le dessinateur cherche à comprendre ce qui s'est passé. Et pour mieux décrire tout ça, le livre commence avec une longue présentation des parents de Lepage, qui raconte leur propre jeunesse, ainsi qu'une longue description des autres familles partenaires de la vie en collectivité. Lepage a ainsi visité tous les survivants de cette communauté et il relate de façon scrupuleuse ces entretiens et ces échanges de souvenirs. il en résulte une longue introduction qui fait presque 200 pages, et qui est initialement un peu fastidieuse.
L'histoire de la famille de Lepage s'insère dans cette patiente analyse de la communauté et le livre mélange en fait deux histoires différentes. C'est une explication de la lenteur excessive du récit et il y a là une petite erreur de conception. Je trouve que Lepage aurait mieux fait de séparer ces deux histoires.
Toute cette partie contemporaine du livre, à savoir la longue enquête et les interviews, est rehaussée par un lavis de couleurs grisâtres, tandis que les souvenirs des témoins se parent de teintes sépias. Cette grisaille dominante du livre évoque quand même une certaine tristesse, ou au minimum un réel désenchantement.
A cette longue enquête s'ajoutent les souvenirs d'enfance du dessinateur, qui sont au contraire très vivement colorés et séducteurs. Ils n'apportent pas beaucoup d'information mais témoignent simplement du regard de l'enfant, qui explorait tous les jours une sorte de paradis campagnard. Ces pages apportent un agréable contraste par rapport à la triste réalité.
Le litige qui a entraîné le départ de la famille Lepage est curieusement raconté d'une façon brève, imprécise et allusive. Le dessinateur semble y avoir joué un rôle important et peut-être en est-il toujours gêné ? C'est souvent à cause des enfants, et des différences éducatives qui existent d'une famille à l'autre, que de grosses querelles surgissent ! Il est quand même étrange que ce conflit soit si mal précisé, alors que l'auteur consacre plusieurs centaine de pages à en décrire les antécédents. Peut-être que Lepage a eu peur de blesser quelqu'un ? Ce laconisme (et cette paradoxale insuffisance de clarifications) dans la description de l'événement principal du livre entraîne bien sûr un net déséquilibre. Et après une très longue lecture, j'ai eu la décevante impression que l'auteur n'avait pas tout dit, même si certaines choses peuvent assez bien se comprendre en filigrane.
C'est donc un gros livre de souvenirs, qui prend ostensiblement la forme d'un reportage et qui adopte de temps en temps une posture artistique grâce à son habile utilisation des couleurs. L'ouvrage a certainement une très grande importance pour l'auteur et cela explique peut-être une évidente difficulté à exprimer certaines choses, ou à rester de temps en temps dans le non-dit. C'est sinon clairement une BD artistique !
J'ai eu ensuite un certain plaisir à relire des passages qui me paraissaient au départ un peu embrouillés mais ... ilen reste que l'album n'est pas facile à lire. Ce n'est pas une réussite totale non plus mais c'est tout de même une BD importante, que l'on peut recommander à ceux qui n'ont pas peur de faire quelques efforts.
Cela mérite donc un
EEE !