J'ai vu récemment un documentaire télévisé consacré à Tchernobyl, et il révélait une réalité étonnante.
Tchernobyl représente toujours aujourd'hui le sommet de la pollution et de la destruction de la nature par l'homme. Les soviétiques ont d'ailleurs tracé un large périmètre de "no man's land" autour de cet centrale atomique, et ses environs sont devenus complètement déshabités. Trente ans après la catastrophe nucléaire, cet immense territoire est envahi par la nature sauvage. La végétation reprend sa place un peu partout, et les animaux sauvages viennent s'y réfugier en masse. La caméra des reporters montrait en fait de curieuses images, celle d'une nature colorée et en pleine expansion, dont la végétation est devenue par endroits luxuriante. Les animaux y prolifèrent facilement, puisque l'homme n'est plus là pour les chasser, et aussi parce que leur espérance de vie assez courte (deux ou trois décennies alors que l'homme vit bien plus longtemps) les protège contre des cancers, qui mettent plusieurs dizaines d'années à se développer. Tchernobyl est ainsi devenu un paradis pour ses nouveaux habitants.
C'est cette surprenante réalité que raconte Emmanuel Lepage dans
Un Printemps à Tchernobyl.
Au début de ce livre, on découvre surtout la terreur que les humains éprouvent devant un monde contaminé par les radiations. Quelle idée que de s'intéresser à un univers devenu radioactif ! Emmanuel Lepage doit prendre des précautions à chaque fois qu'il pénètre dans le périmètre interdit (il met par exemple un masque) et il dessine en conséquence tout ses images en gris. Cette absence de couleur reflète symboliquement sa vision personnelle d'un territoire inquiétant.
Par la suite, très progressivement, Emmanuel Lepage découvre avec étonnement la vie qui semble proliférer dans ce monde maudit. Dans ce territoire de maisons en ruines, d'usines délabrées et de routes non entretenues, il y a encore des humains qui vivent discrètement, et qui aiment cette région. Ils ne sont pas malheureux, et le dessinateur-reporter éprouve des sentiments contrastés. En fait, pourquoi continue t-il à porter ce masque ?
Cette végétation florissante, et ce printemps vivifiant qui lui donne une sensation de bonheur, alors pourquoi continuer à les dessiner avec un lavis grisâtre. L'humeur de l'artiste évolue, et la couleur fait son apparition d'une manière timide. Le dessinateur hésite encore entre sa connaissance des méfaits de la radioactivité, et la réalité vivante qui inonde son regard. L'illustration en noir et blanc alterne dès lors avec des images timidement colorées.
Mais plus le temps passe, et plus la couleur, la gaîté et la vie reprennent le dessus.
La forêt giboyeuse et les arbres prospères deviennent ainsi une réalité criante. A Tchernobyl, la nature a repris ses droits et elle s'impose en toute indépendance. Le système soviétique a disparu, et le territoire s'est libéré. C'est paradoxalement ce sentiment de liberté que le dessinateur éprouve en explorant ce monde sauvage, et la couleur s'impose pour traduire ce sentiment.
Bien sûr, Tchernobyl n'est pas un paradis, mais c'est un monde contrasté qu'Emmanuel Lepage s'est mis à "sentir dans sa peau" (pour reprendre ses propres termes). A l'excitation que provoquait l'idée d'explorer des terres interdites a succédé la volupté de retrouver la nature sauvage, et la sérénité d'explorer une terre presque sans homme. Comme il le dit en conclusion de son ouvrage, "c'est la vie qui m'a surpris". Y aura-t-il un jour des touristes qui partiront explorer Tchernobyl ?
Vous l'avez maintenant compris.
Un Printemps à Tchernobyl est une oeuvre étonnante, qui utilise les spécificités narratives de la bande dessinée (en particulier le contraste frappant qui peut exister entre le texte et l'image) pour exprimer une réalité indicible. C'est un tout grand livre, qui dépasse les limites du simple reportage illustré, et je vous recommande de le découvrir.