Je ne critique pas les qualités intrinsèques du prochain Alix - j'ai d'ailleurs été le premier à louer la beauté et la composition de la couverture, qui donne vraiment envie de lire cette histoire ; j'insiste sur le besoin de cohérence éditoriale: à mon sens, un album qui sort des normes posées par Jacques Martin devrait être signalé comme un album "parallèle".
Je suis d'accord sur le fait que, pour créer une BD, une bonne histoire est nécessaire... Mais une série BD est définie par un ensemble de paramètres, au point de vue scénaristique et graphique : aparence du héros, des personnages secondaires, rapports entre les personnages, époque, costume, pouvoirs, psychologie des personnages,... C'est cet ensemble de paramètres qui définit la série, c'est en quelque sorte son "code génétique"... Si vous changez ces paramètres, vous n'avez plus la même série... Ca peut être intéressant, mais ce n'est plus la même chose.
Par exemple, un super héros qui peut voler, ça peut donner quelque chose d'intéressant, comme Superman, mais si tout d'un coup Batman acquiert un super-pouvoir et peut voler, ce n'est plus Batman... Un pilote de l'Armée américaine qui devient pacifiste et démissione de l'Armée, ça peut être le point de départ d'une bonne série, mais si cela arrivait à Buck Danny, ce ne serait plus du Buck Danny ! On peut faire une bonne BD dans un univers dans lequel on ne se préoccupe pas de la réalité historique, comme Conan ou Thorgal, mais ce n'est pas de la BD historique, c'est un autre genre, tout aussi respectable et qui a son succès, mais c'est autre chose... Buddy Longway et Valentina étaient deux excellentes séries dans lesquelles les personnages vieillissaient presque "en temps réel" et cet élément très novateur pour l'époque était une caractéristique de ces séries, le vieillissement des personnages était inscrit dans le "code génétique" de ces séries... Mais si vous faites vieillir Lucky Luke, Bob Morane, Natacha ou Yuko Tsuno, ce ne sont plus les mêmes séries...
Dans des séries "spin off" ou parallèles, on peut modifier l'un ou l'autre des paramètres de base, pour créer quelque chose de nouveau, comme en modifiant légèrement le code génétique on obtient une sous-espèce, un nouveau rameau. Mais c'est beaucoup plus délicat de faire cela avec la série mère, car on risque de perdre ce qui fait l'essence même de la série, d'obtenir une sorte d'OGM bâtardisé.
Quand Juillard a écrit "Le Dernier Chapitre" pour Blake et Mortimer, il l'a fait dans son style propre, parce qu'il s'agissait d'une aventure "parallèle", d'un hommage, mais quand il a repris la série principale, il s'est "coulé dans le moule" de Jacobs, il a laissé de côté son propre style pour suivre les "codes" définis par Jacobs.
Jacques Martin était évidemment bien conscient de tout cela et du risque que ses séries soit dénaturées. Aussi, il tenait très fort à ce que ses "codes" scénaristiques et graphiques soient respectés, maintenus, pérennisés ; il avait à coeur ce que l'on ne modifie pas le "code génétique" de ses séries.
Maintenant se pose la question délicate de savoir dans quelle mesure on doit respecter sa volonté, quelle est la marge de manoeuvre des repreneurs... Doit-on continuer à travailler comme si le Maître continuait à surveiller le travail par dessus notre épaule, ou bien faut-il s'affranchir d'une tutelle que certains jugent trop pesante et paralysante pour la création ?
J'ai ma propre réponse personnelle à cette question... Mais qui peut vraiment y répondre : les repreneurs ? Logiquement, il me semble que ce devrait être les membres du Comité, sensés être "les gardiens du Temple" (à ne pas confondre avec "les marchands du Temple"!)... Le jugement final appartiendra aux lecteurs... Mais, simplement en lisant les critiques et les discussions sur les forums, cela donne l'impression que l'on a plutôt commencé à laisser l'univers de Jacques Martin partir à vau-l'eau... Ailleurs dans ce forum, JYB a levé un coin du voile sur la manière dont l'"Empire Charlier" est parti en déliquescence... C'est bien triste et il serait tout aussi triste que le monde de Jacques Martin subisse un jour le même sort...