En dehors du gros recueil consacré au journal Tintin, l'album du week-end qu'il ne faut pas manquer est sans aucun doute "
Coquelicots d'Irak", la dernière oeuvre de Lewis Trondheim. Cette BD est dessinée sur un scénario de Brigitte Findakly, sa coloriste habituelle qui est aussi son épouse.
Bien qu'elle vive en France depuis les années 70, Brigitte Findakly est née en Irak et elle y a passé toute sa jeunesse. Sa mère était française et son père était un arabe chrétien, une espèce certainement en voie de disparition. Brigitte a bien sûr gardé un souvenir très vif de son enfance, et cette ancienne civilisation irakienne détruite par la guerre civile a aujourd'hui acquis des résonances dramatiques.
L'album raconte en fait les souvenirs d'enfance de Brigitte Findakly, dans un pays qui était au départ un royaume et qui, coup d'état après coup d'état, est devenu progressivement une dictature. Les rivalités politiques entraînant très vite des mesures de répression, sa famille choisit de partir en France au début des années 70, par besoin de sécurité. Brigitte s'adapte alors à la civilisation européenne, mais elle n'oublie cependant pas l'univers de sa jeunesse. Cet album est ainsi une autobiographie un peu nostalgique, qui regarde vers un monde perdu.
Brigitte retourne bien sûr de temps en temps en Irak, mais elle se rend compte que ce monde change. Ses cousins et ses cousines ont dû se soumettre à la dictature de Saddam Hussein, et ils semblent bien fatigués. Un fossé s'est creusé au fil des années avec celle qui est devenue définitivement européenne.
Par la suite, la guerre civile entraînera l'émigration de tous les cousins et cousines de Brigitte qui deviendront à leur tour des individus déracinés. Comme les coquelicots d'Irak, il se fanent et perdent leurs couleurs, ainsi que leur vitalité.
C'est donc un livre de mémoires qui est écrit sur un ton très sobre, et qui cherche manifestement à être universel. Volontiers descriptif et riche en anecdotes, le récit n'est jamais ennuyeux, et le lecteur se sent vite immergé dans un monde qui semble toujours bien vivant. La conclusion est bien sûr nostalgique, mais il n'y a aucune grimace ni effet gratuit. La réalité est suffisamment triste pour ne pas en rajouter.
Le dessin de Lewis Trondheim est assez fidèle à son style habituel, mais on sent que le graphiste s'est tout de même aligné sur le ton de son épouse. Il a choisi une mise en page très sage et presque monotone, comportant six cases de dimensions égales à chaque page, avec des images dominées par de longs récitatifs. Les dialogues sont rares, et on davantage l'impression de feuilleter un albums de photos (qui sont d'ailleurs parfois insérées dans le récit) que de lire une BD ordinaire. Cet effet est bien sûr volontaire et tout à fait bienvenu. La priorité est laissée au souvenirs de la narratrice.
C'est donc une très belle lecture que je vous recommande. Cet album ne va pas forcément séduire le visiteur de librairie, qui se contentera de feuilleter le livre, mais il laissera une impression durable à ses lecteurs, qui ne regretteront d'ailleurs pas leur achat. Eh oui ! C'est cela, la bonne BD pour les adultes.