A l'époque du blog Universalix, géré par Jean-Marc, j'avais fait une petite critique de cet album.
Comme le blog a disparu depuis plusieurs années, j'ai trouvé dommage que ce travail soit perdu. Je remets donc ici en ligne cette petite chronique de l'Ombre des Cathares. La sortie d’une nouvelle aventure de Jhen est toujours un événement pour les amateurs de BD médiévale, et pour les admirateurs de Jacques Martin. Avec la sortie de « l’Ombre des Cathares », je pense qu’ils ne seront pas déçus car cet album offre deux bonnes surprises. Tout d’abord, il permet de retrouver un Jean Pleyers en pleine forme. Son graphisme reste en effet totalement fidèle au style des premiers récits, et le lecteur a le sentiment de bien reconnaître ses personnages.
L’autre bonne nouvelle, c’est que le scénariste reprend la suite de la saga de Gilles de Rais. Avouons-le, les meilleurs récits de Jhen se sont toujours organisés autour de la personnalité inquiétante du connétable (que Jacques Martin voyait d’ailleurs comme le principal personnage de la série). C’est ainsi qu’au début de l’histoire, nous retrouvons le grand seigneur qui est à nouveau hanté par les remords et les fantômes de ses victimes. Il n’est plus que l’ombre de lui-même et il doit purifier son âme par un acte de dévotion. Un pèlerinage s’impose et Jhen lui propose de se rendre à Conques, pour y prier devant les ossements de Sainte Foy. Le seigneur déchu pourra y bénéficier des effets miraculeux de la relique et le récit démarre ainsi comme la chronique presque ordinaire d’un pèlerinage. Le voyage des personnages permet de visiter en passant Poitiers, Aurillac, Conques et Albi, et Pleyers représente à chaque fois ces villes médiévales avec un grand luxe de détails.
Estimant peut être qu’une telle intrigue serait trop simple, le scénariste introduit une autre aventure dès la moitié de son récit. Dans l’abbatiale de Conques, Gilles de Rais guérit rapidement de ses démons, mais les pèlerins doivent alors affronter les derniers survivants de la religion cathare, qui n’ont aucune bienveillance envers les catholiques. Un moine informe Jhen que les hérétiques possèdent le vase du Saint-Graal et les deux compères entament une deuxième quête, plus dangereuse mais aussi plus improbable. Il me semble que le récit perd dès lors sa rigueur initiale. L’aventure devient plus fantaisiste, tandis que les lieux semblent moins précis et que certains personnages réapparaissent de façon surprenante. L’histoire avance par ailleurs rapidement, et elle me semble manquer un peu de « chair », je veux dire par là de ces petits détails qui peuvent donner un sentiment de vécu. De plus, certaines ellipses ne permettent pas toujours de bien suivre la logique des événements. C’est ainsi que je me demande encore comment Jhen, qui s’enfonce avec Gilles de Rais dans les profondeurs d’une caverne, se retrouve brusquement au sommet d’un château fort, pour y affronter ses adversaires.
Sinon, il faut remarquer que le dessin de Jean Pleyers continue d’évoluer. Le dessinateur a définitivement abandonné le carcan des quatre bandes par page, et les vignettes y gagnent un agrandissement bienvenu. La séquence d’image devient plus laconique, car il y a moins de cases intermédiaires, et la grande taille des dessins met bien en valeur le style expressionniste de l’illustrateur. Cela permet aussi d’apprécier la finesse de certains décors, de même que les détails pittoresques que Pleyers adore insérer au sein de ses vignettes. L’image ci-dessous montre par exemple l’arrivée de Jhen et Gilles de Rais à Albi, et elle prouve mieux qu’un long discours le plaisir de dessiner qui anime son auteur.
La fin de l’aventure fait intervenir des forces surnaturelles, mais elle reste assez conforme aux conventions de ce genre de récit. Comme on pouvait s’y attendre, le Saint-Graal garde finalement tout son mystère.
Au total, l’intrigue de « l’Ombre des cathares » peut susciter quelques réserves, mais c’est un album qui retrouve pleinement le style et les personnages de la série. Il est magnifiquement dessiné et il m’apparait être le meilleur de ces dix dernières années. Il faut espérer que les auteurs continueront dans cette voie pendant les années à venir.