Comme je suis curieux, j'ai fini par acheter cet album de Joann Sfar.
Mais quelle mouche a donc piqué le dessinateur ?
Il expliquait certes (dans l'interview donnée à ActuaBD, voir la page précédente) son envie d'en revenir à des instincts primitifs, de faire une BD de type "gore", et d'utiliser sans frein le sexe et la violence ... soit ! Mais comment a t-il pu concevoir ce bizarre patchwork graphique, et cette histoire sans queue ni tête.
Y avait t-il l'envie de créer une fois une BD de type underground, ou de rendre hommage à des créateurs comme Robert Crumb ou Steven Clay Wilson ? Il y a certainement une jubilation de cet ordre. Il y avait aussi l'idée (très certainement) d'utiliser belles photos de nanas, bien vulgaires et racoleuses, pour choquer le lecteur.
Tout cela est agrémenté de couleurs lourdes et clinquantes, et emballé dans un album dont la couverture est plutôt laide. Mais qu'est-ce qui s'est passé dans la tête de Joann Sfar ? Que cherche t-il à montrer, ou à prouver ?
Une chose est sûre ! Le dessin est tracé d'un trait rapide, et les planches ne sont pas corrigées. Il y a même, me semble t-il, des reprises de certaines séquences pas bien réussies, mais sans supression des images précédentes. A l'image de ce qu'il faisait dans ses carnets, les planches semblent être imprimées au stade du brouillon.
Cependant, au fur et à mesure que je parcourais ce livre (qu'il vaut mieux lire rapidement), une évidence finissait toutefois par s'imposer : cet assemblage anarchique crée une impression unique. Il exerce une singulière séduction, un peu comparable à ces films de mauvais goût des années 60, signés par Roger Corman. Cet étrange intérêt pourrait provenir de la totale liberté (pour ne pas dire anarchie) avec laquelle l'intrigue se construit. Tout ce que l'on voit est invraisemblable et choquant, mais cela ne ressemble à rien de ce qui s'était fait jusqu'à présent. Enfin ... quand je dis "à rien", ce n'est pas tout à fait vrai. Il existe au moins une exception, qui est l'album de Druillet intitulé
La Nuit. On y trouve le même assemblage de dessins "trash" et de photos de nanas, dans un registre toutefois plus dramatique.
Cet album est la première partie d'un dyptique, et je n'essaierai pas de vous en résumer le thème. Au fond, ce n'est pas l'intrigue qui est intéressante dans le livre, dont je ne suis d'ailleurs pas certain de vouloir connaître la suite. On peut d'ailleurs se demander : Joann Sfar ira t-il jusqu'au bout de cet oeuvre bizarroide ? Comme il a déjà créé trois ou quatre autres séries qui restent inachevées .... on ne se formaliserait pas qu'il y en ait une de plus.