Intitulé
manuscrit de Karlsruhe dans le livre de Gérard Blanchart, le
Breviculum seu Electorium parvus est un codex tiré d'un manuscrit de Thomas le Myésier. Par souci de simplicité, je l'appellerai ici simplement "
Breviculum".
Ce codex de 12 pages est assez compliqué à expliquer. Au départ, il y a un livre intitulé "
La Vita Coetana" que le philosophe et écrivain Raymond Lulle a dicté en 1311 à un moine français. Ce livre est une autobiographie destinée à justifier ses idées et ses actions, où il raconte sa conversion chrétienne, ses pèlerinages, l'origine de ses théories et ses voyages en Orient pendant lesquels il a essayé de convertir les Sarrasins. Le point culminant du livre est un discours (prononcé à Tunis) prétendant démontrer la vérité du christianisme.
Quelques temps plus tard, un disciple de Lulle nommé Thomas le Myésier fait illustrer la Vita Coetana par 12 miniatures assez luxueuses, qui résument plus brièvement la vie du philosophe. C'est en quelque sorte un résumé du livre sous la forme d'un récit en image. Ces miniatures sont maintenant rassemblées dans un codex intitulé
Breviculum, qui est conservé à la bibliothèque de Karlsruhe.
Ci dessus, vous découvrez la première miniature du codex qui est subdivisée en 3 cases. Elle raconte tout simplement la conversion de Raymond Lulle. Pour des raisons de place, j'ai un peu coupé les bords de cette image mais vous pourrez la voir en grand sur un site dédié à Lulle à cette adresse.
http://www.lullianarts.net/miniatures/index.HTM
Notez que ce site met en ligne le
Breviculum en entier et qu'il est facile d'avoir la traduction du texte latin en cochant sur l'option "français" (puis en dirigeant le pointeur sur le texte inclus dans l'image). Il y a en tout 12 pages et chacune d'entre elles raconte un épisode (ou une théorie) de Raymond Lulle. Voici par exemple la page 3, montrant Lulle en pleine discussion avec le musulman qui lui a appris la langue arabe. La première case montre les deux personnages en pleine discussion, tandis que le sarrasin se fâche et cherche à tuer son contradicteur dans la deuxième case. Dans la dernière image, le musulman préfère se pendre plutôt que de devenir un infidèle tandis que le chrétien remercie Dieu de ne pas être responsable de sa mort (si si si, vérifiez à l'adresse que je vous ai indiqué
).
Ce qui est fascinant dans ces bandes d'images, c'est bien sûr l'organisation du texte. Le début des phrases commence près de la bouche des personnages, puis elles se continuent sur une large surface en esquissant la forme d'un phylactère, sans qu'il n'y ait toutefois de cadre autour du texte. Il s'agit cependant bien de paroles et de dialogues entre les personnages. Ces séquences parlées et imagées correspondent parfaitement à une BD.
Ci-dessus, un autre épisode fameux de la vie de Lulle, qui se rend chez les musulmans pour convertir la population au christianisme. Cette bande comporte 4 images qui n'ont pas de séparation nette. Tout à gauche, Lulle arrive en bateau, puis il se met à prêcher devant le peuple juste à droite de la colonne verte. En troisième lieu, on le découvre en face du seigneur local qu'il essaie vainement de convaincre, tandis que la population cherche à le battre. En dernier, enfin, on le voit tout à droite monter dans une tour où il va être enfermé. Ce passage relate un événement réel, qui s'est à peu près déroulé de cette manière (si l'on croit ce que Lulle raconte, bien sûr
).
Aujourd'hui, on a complètement oublié Raymond Lulle, en particulier depuis que Descartes s'est livré à une critique impitoyable de ses écrits ("
l'Art de Lulle sert plus à parler sans jugement [de choses] qu'on ignore qu'à les apprendre"). Il reste cependant un personnage pittoresque et assez représentatif de ce Moyen Age qui se permettait parfois d'étranges audaces. De son vivant, il a été respecté et avait même un certain poids politique. Il n'hésitait pas à donner des conseils au roi de France et dans la 12ème page qui clôt le
Breviculum, on découvre Thomas le Myésier lui-même offrant son livre à la reine de France.
Avouons-le, les cases du
Breviculum sont remplies par un texte difficilement compréhensible (le scénariste était un peu logorrhéique
) et ce codex est parfois ennuyeux à lire, mais j'ai ressenti tout de même une certaine jubilation en découvrant cette bande dessinée à la fois naïve et rusée (Lulle était d'ailleurs au départ un troubadour et un comédien). S'il fallait comparer cette BD à une oeuvre moderne, je choisirais sans hésitation les histoires de l'Oncle Paul, puisque cette série partage avec le
Breviculum la même volonté d'éduquer les jeunes et d'affirmer une vision catholique du monde. Au fond, il faut admettre que les deux oeuvres produisent aussi une certaine impression de futilité, liée à un prosélytisme un peu ridicule et à un moralisme qui a plutôt mal vieilli. Cela n'empêche pas toutefois de faire l'effort de les connaître. Et puis, de temps en temps, j'aime bien relire les histoires de l'Oncle Paul.