Lion de Lisbonne a écrit:Je me rappelle même qu'après avoir lu cette BD, au moment de sa sortie, j'avais conclu que le niveau de la série était en train de remonter. Il est vrai qu'après les errances de Roma Roma puis C'était à Khorsabad, ce n'était pas vraiment difficile. Wink
J'ai éprouvé la même chose à l'époque. Enfin des personnages qui n'avaient pas la "gueule en biais" et des anatomies mal foutues !
Mais je viens de relire cet album et si pour l'instant
Roma, Roma... est en effet un naufrage, malgré ses faiblesses je préfère tout de même
C'était à Khorsabad !
Ma deuxième lecture de cet album n'est donc pas aussi enthousiaste que la première, loin de là, et ce ne sont que détails insupportables et mal fagotés qui me sautent aux yeux à chaque page, qu'il s'agisse de l'histoire, des dialogues ou du dessin.
Petit inventaire à la Prévert...
Le premier sourcil incrédule se hausse dès la page 4 avec cette décision incongrue de César de donner une ferme à Alix pour qu'il devienne fermier. Alors qu'Alix était depuis toujours l'homme de confiance de César, pour ne pas dire un genre d'agent secret, ça ressemble à une inexplicable mise au placard. La fureur de César quand Alix décline le cadeau (bien empoisonné d'ailleurs) et les proportions qu'elle prend en quelques bulles de dialogue est tout aussi incompréhensible...
... jusqu'à ce qu'on apprenne que le trésor est caché dans la ferme. Et là, stupeur ! Pourquoi ce crétin de César n'a-t-il pas commencé par dire ça à Alix, son homme de confiance, au lieu de lui bourrer le mou avec cette mission moisie de "
faire prospérer [la ferme] comme un bon colon" qui avait laissé Alix complètement perplexe... et nous aussi.
Qui plus est, non seulement ce n'est pas Alix que César met dans la confidence mais Labenius, traitre notoire ! Si on fusionne le contenu des phylatères de César entre la case 4 et la case 5 de la page 17 en virant le blabla superflu, ça donne "
Labienus, par le passé tu m'as trahi pour rejoindre Pompée, c'est pourquoi je te fais confiance". Gné ??!! Il est pas complètement con le Jules, là ?
Déjà, alors qu'il a sur place plusieurs légions armées jusqu'aux dents, son plan de laisser le trésor dans une ferme abandonnée sans surveillance (ou à la rigueur celle de deux jouvenceaux quasi à poil) c'est totalement stupide et on a bien vu ce que ça donnait à la page 10. Mais en plus aller raconter ça au traître de service, non vraiment...
La scène nocturne page suivante (18) est la plus nimportenawak de l'album. Elle cumule une quantité invraisemblable de non sens. Quelqu'un déambule dans le camp à la nuit tombée et ça réveille Alix. Admettons (un camp militaire romain, même la nuit, on peut supposer que ça connaît une certaine animation, ne serait-ce que des patrouilles...) Pour une raison inconnue, Alix décide de se lever et d'aller voir. Autant page 9 ça faisait sens (il est chez lui et en pleine nuit un bruit incongru le réveille, il va contrôler et c'est normal), autant là on se demande pourquoi il se sent obligé de faire le surveillant de dortoir des légions romaines.
À partir de là, tout va très vite : ça se passe juste sur un unique strip de trois cases d'une absurdité intégrale ! Alix file le train à une silhouette noire méconnaissable qui se trouve en pleine obscurité à au moins 20 mètres de distance. Soudain elle disparaît. Donc c'est définitivement mort, on ne saura jamais qui c'est... Sauf que c'est là où toute la magie intervient : là où (dans une bande dessinée d'un cartésianisme assommant) c'est généralement lorsqu'un personnage sort de l'ombre et se rapproche en pleine lumière qu'on le reconnaît, c'est ici au moment où il s'est tellement éloigné qu'on ne le voit même plus à l'image qu'Alix le reconnaît ! Sapristi, c'est Labienus ! Et encore plus fort : la simple invocation du nom du traître qui vient de disparaître plusieurs dizaines de mètres devant a pour effet de le téléporter instantanément juste derrière Alix.
Il prononce alors ces mots énigmatiques :
"
Désolé, Alix, il ne fallait pas te mêler de cela !"
Énigmatiques parce qu'on ne sait pas trop de quoi il cause avec son "cela", et quand bien même il aurait été vu la nuit dans le camp de l'armée de César, quoi de plus normal vu qu'il est non seulement membre de cette même armée mais encore bras droit de César ?
Bon allez j'avoue : pour être honnête cette scène nocturne n'est pas tout à fait aussi ratée graphiquement que ça. Ou plutôt elle l'est, mais pas pour les raisons ci-dessus. En effet, case 2 on voit Labienus remonter une allée de tentes triangulaires caractéristiques avec leur toile visiblement lâche et leur gros poteau vertical. Alix est vraisemblablement dans l'une d'elles case 3, et c'est bien une allée de tentes qu'on le voit remonter case 4 à la suite de l'ombre (même si les ombres projetées ne semblent pas raccord avec la case 2 et qu'Alix s'est habillé à la vitesse de l'éclair, ce qui n'est pas très crédible... sauf si on considère page 9 qu'il est capable de faire encore plus vite !) Le détail clé, c'est qu'Alix n'est plus au même endroit case 5 : il est arrivé au bout de l'allée des tentes et a tourné à droite dans une rangée de tentes d'un autre modèle aux murs droits. On peut donc supposer qu'entre la case précédente et celle-ci, arrivé au bout de l'allée de tentes de type 1, Labienus a quitté l'ombre portée par les tentes de type 2 et son visage a été éclairé par un rayon de lune qui a permis à Alix de le reconnaître. Au moment où Alix est arrivé lui-même à l'angle, la nouvelle allée est nettement plus longue et il s'attendait à voir Labienus à mi-chemin, mais celui-ci a disparu. Conclusion en case 5 il ne
reconnaît pas Labienus, en réalité il s'exclame à voix haute de surprise de ne pas le voir. Et pour cause, à peine hors de vue le traître était rentré dans la première tente venue, devant laquelle se trouve maintenant Alix, ce qui permet à Labienus de la surprendre.
Donc l'enchaînement des cases n'est pas du tout déconnant... mais à condition d'être ultra attentif et d'analyser chaque détail avec précision en décortiquant les images comme je viens de le faire, ce qui n'est sûrement pas le cas du lecteur moyen... en tout cas pas mon cas à moi ! Ce n'est qu'après avoir pondu tout le pavé goguenard qui précède que je me suis aperçu de mon erreur, mais seulement en troisième lecture. Et vous ?
Voilà pourquoi même si
en fin de compte la scène tient debout (graphiquement en tout cas), elle est ratée car il faut un Bac+5 pour s'apercevoir qu'elle n'est pas ce qu'elle semble au premier abord, c'est-à-dire complètement bancale.
Et cela n'est malheureusement qu'un exemple parmi d'autres de la faiblesse de Christophe Simon pour ce qui est de la mise en scène.
Page 13, si l'angle de vue peut faire illusion sur un dessin en 2D, le coup porté par Enak est en réalité complètement impossible et incompatible avec sa posture :
Page 22, idem : Alix n'a aucune raison de tendre les bras pour que Tarago puisse s'emparer du coffret, et quand bien même il aurait fallu que celui-ci soit en équilibre sur l'épaule d'Alix pour que le mouvement exécuté permette de s'en emparer, en admettant qu'on puisse s'emparer d'un coffret plein d'or d'une seule main à la volée sans se péter le poignet et tout flanquer par terre :
À noter aussi que dans la case suivante Tarago menace Alix en posant son arme sur sa gorge
du côté qui ne coupe pas, ce qui est un peu gros même quand on tient un discours de mansuétude.
On pourra encore noter le pont de cordes qui s'effondre maladroitement du côté où il n'a pas été coupé (page 37) ou cette prise de catch peu vraisemblable compte tenu du poids d'Alix et de la position des mains de Tarago :
De telles incohérences ont tendance à sauter aux yeux et c'est bien dommage parce que Christophe Simon relève clairement le niveau pour ce qui est des anatomies et des visages. Son style est différent de Martin, mais il se tient. C'est celui d'un pro compétent, ce qui nous change agréablement après quelques albums où le dessin fleurait l'amateurisme maladroit de façon embarrassante.
J'ai relevé un dernier hic de mise en scène mais j'hésite à l'attribuer au dessinateur ou au scénariste. C'est au moment du face-à-face entre Tarago et Mandonitos au cœur des combats. Mandonitos prévient Tarago qu'un soldat de César (bien reconnaissable à son plumet rouge) s'apprête à le frapper par derrière, il se jette sous la lame et prend le coup à sa place. Gros plan sur Tarago atterré par la mort de son ami, et au-dessus de sa nuque la lame qui l'a raté. Pourquoi ne s'abat-elle pas ? Où est passé le soldat de César ? Est-ce lui qui assiste, placide, au bavardage entre Labienus et Tarago à la case suivante ? En tout cas ce soldat de la case 3 ne semble pas animé d'intentions hostiles envers ceux qui devraient être les hommes à abattre du camp adverse...
Que dire aussi de Tarago qui s'effondre sur le corps de son ancien ami qui l'a trahi, alors que la dépouille de sa propre sœur ne lui inspire que de la répulsion? Si cette différence de traitement est délibérée de la part du scénariste, je ne peux qu'abonder dans le sens de la critique acerbe d'Argoul...
Finissons avec quelques invraisemblances de plus :
- Un Alix qui parle du trésor comme si de rien n'était page 19, alors qu'il était censé tout en ignorer, conformément au plan débile de César exposé 2 pages plus tôt.
- César qui se décrédibilise encore un peu plus en menaçant Alix et en lui disant (toujours page 19) qu'il lui donne une dernière chance, puis qui, suite à l'échec de celui-ci page 22, lui donne une dernière chance (mais alors la dernière des dernières avant la prochaine, hein).
- Alix qui s'interroge page 33 sur un mystérieux visiteur alors qu'on constate dès la page suivante que "celui-ci" arbore une ostensible paire de nichons.
- Le propre membre du camp de Celsona qui a encore plus de mouscaille dans les yeux puisqu'il ne la reconnaît même pas quand elle se trouve à 5 mètres de lui à visage découvert (il confiera juste avoir un doute en raison de sa voix ! Non mais allô ?).
L'album se conclut de façon tout aussi bancale. Saisi d'une impulsion subite, Alix retrouve Tarago à la clairière du taureau, un lieu où il n'a jamais mis les pieds ni où il n'a jamais rencontré Tarago auparavant à notre connaissance. Cette confrontation se termine par le suicide de Tarago, un personnage violent et buté comme un âne qui n'a pas franchement brillé par son QI au cours de cette histoire. Il n'est donc pas évident de bien comprendre en vertu de quoi, selon Alix,
La mémoire de Tarago ne doit pas s'éteindre.Encore plus dur de comprendre la raison pour laquelle la meilleure façon d'honorer cette mémoire serait de profaner un site religieux local en s'emparant de la statue du dieu taureau.
Et pour finir, pour quelle raison l'offrir à Lupos, un obscur comparse dont le nom n'a été mentionné qu'une fois page 31 et qu'Alix n'a jamais rencontré dans la poignée de cases où il apparaît en tant que simple figurant muet ???
Conclusion ? Comme toujours il y a du bon et du moins bon :
- De loin le dessin le plus maîtrisé depuis Jacques Martin pour les personnages, malgré quelques bourdes maladroites dans la mise en scène des cases. J'apprécie en outre l'ambiance "nature méditerranéenne" très sympa et bien rendue des décors (tout en espérant que Christophe Simon soit capable de nous dessiner aussi bien des colonnes et ne pèche pas là où Moralès se rattrapait).
- Un scénario inintéressant au possible fait d'allers-et-retour continuels entre les mêmes lieux, les trahisons à droite, puis à gauche, puis re-à droite, les dernières chances suivies de dernières chances, les invraisemblances en pagaille et un personnage principal obtus et assommant de fierté mal placée.
Allez, on finit tout de même par un pur moment de tendresse directement issu d'une telenovela brésilienne :