Bonsoir
Préférence Système, d’Ugo Bienvenu, aux éditions Denoël Graphic, est une contre-utopie s'inscrivant dans la continuité de
Farenheit 451 : https://fr.wikipedia.org/wiki/Fahrenheit_451.
Dans un lointain futur, la quantité de données stockées est telle qu'il est nécessaire d'effacer les moins populaires. Yves Mathon, grand admirateur du film
2001 l'Odyssée de l'espace, et autres œuvres plus ou moins à l'abandon, décide de le sauver dans la mémoire de son robot domestique, Mikki. Il va être repéré par une police tenace et mortifère qui n'est pas sans rappeler celle imaginée par Ray Bradbury. Avec son épouse, Il prend la fuite mais sa cavale se termine abruptement. Et c'est Mikki, "enceint" de l'enfant du couple (...), qui va poursuivre le rêve en élevant différemment la petite fille, au sein d'une nature innocente, digne de Rousseau (
La nature a fait l'homme heureux et bon, mais la société le déprave et le rend misérable - Rousseau juge de Jean-Jacques). Sorte de Mowgli moderne, ou d'Enfant sauvage, la fille de Mathon et de Mikki (
) va pouvoir développer une pensée différente. La fin est ouverte et ouvre la possibilité d'un deuxième opus.
La BD comporte deux grands parties, celle en ville, centrée sur le totalitarisme, et celle à la campagne, centrée sur l'éducation. Elle aborde beaucoup de thèmes dont celui de la parentalité et de la Gestation Pour Autrui.
Par ailleurs, conditionner l'effacement des données au nombre de consultations peut s'interpréter comme une métaphore de l'esprit humain ou comme une critique du populisme.
L'humanité de Mikki est aussi un hymne à la différence et la machine sort gagnante de la comparaison avec la l'épouse de Mathon ! Elle est plus généreuse, plus maternelle,... La "mère" porteuse se révèle ici capable d'affection et de dévouement.
Du coup, se pose la question aussi la question des IA et de leur programmation : où finit la machine, où commence l'homme ? Clairement, Mikki eut remporté haut la main le test de Turing https://fr.wikipedia.org/wiki/Test_de_Turing ! L'idée du robot nourricier est aussi un clin d'oeil au
cycle des robots d'Asimov et plus particulièrement à la nouvelle
Robbie : https://fr.wikipedia.org/wiki/Robbie_(nouvelle).
Le couple n'échappe pas au regard acéré d'Ugo Bienvenu et le moins qu'on puisse dire est que Mathon et son épouse sont éloignés de l'harmonie.
Côté humour, on peut noter que l’œuvre de Victor Hugo est ici plus accédée que celle de Kubrick, et sauve donc ainsi son existence !
Le dessin est simple, presque naïf. Et les couleurs sont fortes, sans dégradés, posées par grands aplats, ce qui donne une tonalité plutôt froide à la BD. Le style se rapproche quelque peu de celui de Timothé Le Boucher et fait vaguement penser aux mangas.
Les robots sont à la mode chez les scénaristes de BD comme l'a démontré le récent
Nahanaëlle de Berberian et Beltran. Mais la tonalité est ici beaucoup plus sombre, presque désespérée. L’œuvre semble en tout cas plaire aux critiques car retenue par les libraires du réseau Canal BD pour leur prix 2019. L'association ABCD l'a aussi inscrite pour son Grand Prix de Critique 2020 : https://www.actuabd.com/+Decouvrez-les-5-finalistes-du-Grand-Prix-de-la-Critique-ACBD. A titre personnel, je trouve que la BD embrasse trop de thèmes. Les combats de robots sont quelque peu grandiloquents. Et la société future est trop caricaturale. Enfin, le BD manque de chaleur humaine. Et pour conclure sur un aphorisme éléanoresque : les auteurs d’œuvres de réflexion n'ont pas l'obligation d'être pessimistes et tristes.
Cordialement
Eléanore