Je me demande parfois s'il y aura un nouvel Astérix, et s'il sera réussi. En attendant, je me plonge parfois dans les derniers albums de la série (plutôt que les premiers que je connais par coeur) et c'est ainsi que je viens de relire "
Le ciel lui tombe sur la tête". Cet album qui avait été fort critiqué, pour ne pas dire démoli, lors de sa sortie en 2005.
En deuxième lecture, il y a toujours certains détails qui apparaissent. C'est ainsi que j'ai aperçu en fin d'album cet hommage d'Uderzo à l'intention du créateur de Mickey.
Ce petit texte a créé un déclic. Il m'a en fait remémoré l'intuition qui m'était venue à l'époque, en lisant cette histoire. Il me semblait en effet que cet album (et certains personnages) représentaient un hommage à Floyd Gottfredson. En effet, rappelez-vous d'Iga Biva, l'extraterrestre sympathique qui apparait dès 1947 dans les aventures de Mickey.
Ce personnage me parait très proche de Toune, un visiteur qui vient lui aussi de l'espace pour découvrir le monde d'Astérix.
Bon, je l'admets ... cette révélation n'est pas époustouflante. L'hommage à la BD américaine est très explicite, et même criant d'évidence. En fait, tout le monde a compris l'allusion après avoir vu Superman en personne, arborant le faciès d'Arnold Schwartzenegger.
On découvre d'ailleurs quelques images inhabituelles, avec de scènes de combats qui ne sont pas très éloignées de celles que l'on trouve dans les histoires de super-héros. Uderzo chercherait-il cherche à imiter (ou plutôt à pasticher) l'oeuvre de Jack Kirby ?
Le thème de l'histoire, rappelons-le, c'est l'avertissement de Toune qu'une menace s'approche et qu'elle s'apprête à écraser les gaulois. Il s'agit du "nagma" mais tout le monde a bien sûr compris l'anagramme. Le véritable danger qui menace Astérix provient en fait des mangas.
Cette aventure d'Astérix esquisserait-elle une réflexion sur la BD ? La dédicace d'Uderzo soutient cette hypothèse, puisqu'il dédie son album à Walt Disney et à la magie d'un certain style de bande dessinée. Une telle dialectique n'est cependant pas évidente, car le
Ciel lui est tombé sur la tête est avant tout une "histoire prétexte" qui accumule des gags. On découvre toutefois dans certaines cases des phrases à double sens. Il y a ainsi cette "arme secrète", ou plutôt cette "potion magique", qui sauvegarde le village gaulois de la domination étrangère. N'y aurait -il pas une arme semblable qui protège la vitalité de la BD franco-belge ?
L'infâme nagma est par ailleurs tout à fait conforme à son modèle d'Extrême Orient. Il se déplace en fusée, consume ses adversaires grâce à des jets de flammes, et réplique aux coups des gaulois en envoyant des robots armés qui se nomment les "Goelderas" (ou Goldorak ?). On y retrouve bien un univers typique, celui des dessins animés japonais qui m'énervent, mais ne nous appesantissons pas là-dessus. Admirons plutôt, en passant, ce merveilleux gag qui montre les romains terrorisés par leur nouvel adversaire. C'est ce genre de trait d'esprit que j'ai toujours adoré dans les histoires d'Astérix.
Bon, cette histoire d'Astérix serait une fable et je vais maintenant me risquer à en faire l'interprétation ! Rappelons-nous qu'en 2005, lorsqu'apparait cette avant-dernière histoire d'Astérix, les mangas sont en pleine explosion en terme de vente d'albums. Ils séduisent les lecteurs les plus jeunes et menacent d'écraser la BD franco-belge. Seules quelques séries à grand succès, comme Astérix, parviennent encore à leur résister et je suppose qu'Uderzo n'était pas insensible à cet état des choses. Comment répondre à cette invasion surprenante ? Et bien, il postule tout simplement que la BD francophone possède sa "potion magique", qu'elle a une recette qui lui permet de produire ses propres chefs d'oeuvre. Pour résister à "l'envahisseur," il faut simplement croire à ses armes, en retrouvant ses qualités et ses propres traditions. C'est au fond de cette manière qu'Astérix et Obélix se battent contre l'envahisseur, puisqu'ils utilisent leur potion magique et finissent par vaincre le nagma. En 2005, une telle stratégie paraissait bien naïve, et utopique, mais l'évolution récente du marché de la BD (qui montre un tassement du marché du manga) pourrait finalement donner raison à la vision Uderzo.
Voilà ! Je vais peut être un peu trop loin mais ... je crois bien qu'avec ce dernier album personnel, réalisé à un âge déjà vénérable (presque 80 ans), Uderzo s'est amusé à nous laisser un ultime message. Sa réflexion est plutôt ambigüe et chacun l'interprétera à sa façon, mais c'est une belle pirouette. Le créateur d'Astérix n'a jamais manqué d'élégance.