D'une façon un peu élémentaire, on peut admettre qu'il y a eu trois périodes différentes pendant les 6 années de travail de Cazanave chez Artima.
Pendant les 2 premières années, on observe d'abord une période de grande liberté. En commençant
Bob Corton, Cazanave semble en effet libéré des directives sévères que Cino Del Duca imposait à ses dessinateurs. Cet éditeur exigeait en effet une mise en page stricte, comportant de beaucoup de bandes et un nombre élevé d'images (afin que le récit soit très dense). Avec Bob Corton, Cazanave choisit de faire exactement le contraire, en dessinant de grandes images et en organisant ses pages d'une façon plus complexe. Le dessinateur abandonne en particulier les bandes narratives et place librement ses images sur la planche, en fonction de préoccupations plutôt esthétiques. La disparition des couleurs lui permet par ailleurs d'exploiter avec habileté toutes les possibilités dramatiques du noir et blanc. Certaines pages deviennent très belles, comme par exemple cette planche qui provient du N° 15 de
Vigor, datant de mars 1955.
Vous y remarquez comme moi que la mise en page est élaborée, que les décors sont souvent riches et que les plans sont variés. Par ailleurs, même dans les scènes qui ne justifient pas l'utilisation abondante du noir, Cazanave soigne les détails de ses dessins, en modelant les surfaces avec de fines hachures ou en travaillant les expressions de ses personnages. Et malgré l'abondance du texte, le résultat pictural reste impressionnant.
Cette présentation un peu "artistique" des planches va progressivement disparaître au cours de l'année 1956, pour des raisons probablement mixtes. Il y avait peut-être déjà cet effet d'usure dont je parlais ci-dessus, mais il y a surtout eu des contraintes rédactionnelles. Selon Louis Cance, des directives de la fameuse "Commission de Surveillance des publications destinées à la jeunesse" obligèrent en effet Cazanave à bannir les noirs et blanc trop appuyés et à modérer l'expression de ses dessins qui étaient parfois "trop durs" (*). Et en conséquence, ce dernier modifia considérablement son style et ses mise en pages au cours de l'année 1956, afin de satisfaire la censure. Le dessinateur se mit donc à construire des pages très sages, disposées en quatre bandes et contenant des images sobres et moins expressives. Le résultat ne fût pas catastrophique, mais il était tout de même un peu décevant. Vous pouvez le contempler ci-dessous dans cette nouvelle planche, qui provient du
Vigor N° 36 et qui date de décembre 1956.
Ce style était encore assez honorable, mais on devine facilement que l'élan initial était perdu. Et de fait, cette manière plus sage allait perdurer jusqu'à la fin, en s'appauvrissant progressivement. Voici un nouvel extrait de Bob Corton qui date de mars 1958, et qui est tiré du N° 53 de
Vigor. Seuls quelques petits détails permettent encore de distinguer ce travail routinier de la production moyenne habituelle des petits formats.
Et puis, il existe une troisième période, que je situe pendant la dernière année de production de Bob Corton. On observe alors un véritable déclin graphique de la série, avec des personnages qui sont parfois mal dessinés. Ce phénomène ne provient cette fois pas de directives éditoriales, mais plutôt d'un processus maladif qui accablait Cazanave. Dans son petit résumé biographique de l'auteur, Louis Cance décrit en effet la survenue progressive d'une paralysie, qui s'ajoutait aux séquelles pénibles de la balle allemande restée dans son thorax depuis la Guerre de 14-18. Ce handicap a manifestement entraîné une perte de maîtrise chez le dessinateur, qui apparait par moment incapable de dessiner les visages (ou les silhouettes) d'une façon constante.
Pour illustrer cette étape finale, voici une page datant d'avril 1960, tirée du N° 76 de
Vigor. J'éviterai d'y mettre des commentaires.
En juillet 1960, Cazanave publie sa dernière histoire dans le N° 79 de
Vigor, avant de se retirer presque complètement du métier. Il décède une année plus tard, le 10 octobre 1961.
(* Voir à ce sujet l'article sur les Dessous de la BD à la page 59 du N° 76 de Hop)