Bonjour
Je suis vraiment très heureuse du conseil de Raymond relatif au Manuscrit d’Aloys Clark. J’ai lu et relu cet ouvrage et le travail de Jean-Claude Denis est vraiment merveilleux. De nos jours, de nombreuses BD sont réalisées à partir de livres comme, par exemple, Le grand Meaulnes de Bernard Capo, tiré du roman éponyme d’Alain Fournier, ou encore Le vent dans les saules de Michel Plessix, inspiré par l’ouvrage de Kenneth Grahame. Mais réaliser un livre à partir d’une BD est rare et ce au point que l’éditeur du Manuscrit d’Aloys Clark, PLG, se sent obligé de signaler la filiation, en qualifiant le livre de : « version romancée de la bande dessinée du même nom ». Mais je suis certaine qu’il faudrait plutôt évoquer une troisième voie. A savoir que le livre et la BD forment un tout, comme les deux faces d’une pièce de monnaie, et que chacun s’appuie sur l’autre.
Le livre contient trente illustrations en noir et blanc. Sobres mais jamais froides, elles se veulent un éclairage distant et plein de pudeur de la vie de Clark. Elles témoignent aussi d’un talent méconnu de JC Denis, à savoir la représentation en noir et blanc.
Le style est très agréable et de belles phrases, pleines de vie, presque moralisatrices tant elles sont fortes, parsèment ici et là l’ouvrage. En voici deux m’ayant marquée. La première est désespérée : « Je n’ai jamais vu l’amour comme un moyen d’atteindre le bonheur, la vie à deux m’inspire la plus grande méfiance. Il arrive toujours un moment où la magie des premiers temps s’estompe insensiblement. Dans le meilleur des cas, elle est remplacée par de la tendresse. Alors on s’ennuie avec tendresse, on s’engueule avec tendresse, on se déchire avec tendresse et on finit par se quitter tendrement. Dans le pire des cas, la hargne s’installe à la place de la tendresse, et au lieu de se quitter hargneusement, ce qui serait logique, on reste ensemble. » La deuxième est plus positive : « Derrière la Marianne adulte, j’en voyais réellement une autre, encore fragile et confiante. De l’une à l’autre, c’était toute une vie qu’il me semblait appréhender d’un coup. Une vie faite de bonheurs, mais aussi de souffrances surmontées et d’espoir déçus, le tout était entièrement résumé dans les petits plis qu’elle avait sous les yeux. »
Le livre contient moult informations qu’on ne perçoit pas dans la BD. J’ai déjà évoqué la fin de l’ouvrage mais il me semble qu’il faut revenir sur son corps. Le manuscrit est un hymne à la bienveillance de l’humanité. Dorian puis Clarke, tels des coucous, s’installent dans le nid des autres, mais sans force ni violence car ils y sont toujours bien reçus. Et le séjour chez Charles et Helen prend dès lors une toute autre dimension, celle d’une symphonie de la tolérance. Cette facette de l’ouvrage est soulignée dans le livre alors qu’elle est moins manifeste dans la BD. Ainsi, les invités à la noce détectent rapidement que Clark est un intrus. Mais, au lieu de le chasser, tous se mettent d’accord pour rentrer dans son jeu, l’accueillir et essayer de lui arracher son secrets sans qu’il en soit conscient. Il en est de même avec la famille « survêtement » où le rôle décisif du chien de la famille dans la prise de contact, savoureux et plein d’humour, est invisible dans la BD.
L’ouvrage fait penser au Paradoxe du comédien de Diderot dans lequel le philosophe explique que le meilleur comédien est celui capable de faire ressentir une émotion qu’il ne ressent pas. Qu’en est-il de Clark alias Leclerc (son vrai nom) ? Comme coucou, il fait semblant d’être ce qu’il n’est pas et joue un rôle. C’est donc un comédien, un étranger à sa propre vie. Dès lors, il est tout à fait pertinent que la fin de l’ouvrage coïncide avec les aveux de Clark à Marianne. En lui remettant le manuscrit de son prochain roman, le héros abandonne son masque et se révèle tel qu’il est. Il ne joue plus. Les quelques mois passés à l’Amélie lui ont permis de se retrouver.
Bref, l’ensemble constitué par Le manuscrit d’Aloys Clark et Quelques mois à l’Amélie est un CHEF D’ŒUVRE. Comme l’a souligné Raymond, l’ouvrage a été primé à Angoulême (prix du dialogue et de la réalité en 2003).
Cordialement
Eléanore-clo