Je l'ai lu !
La Guerre de Cent ans se termine en faveur du roi de France. Le jeune Audoin, qui a été élevé chez son oncle, vient d’assister à ses obsèques. Le chapelain de la forteresse lui remet alors la dernière lettre du mourant. Celui-ci confie une vie âpre, faite de violence, de meurtres et de pillages. La missive apprend aussi au héros que que son ascendant a été empoisonné, probablement en punition d'un viol (?) ou meurtre collectif réalisé avec quelques compagnons lors de la prise d'un château. Audoin décide de châtier le meurtrier de son oncle. L'enquête va se révéler complexe car le serviteur ayant empoisonné l'ultime brouet a disparu cependant que les frères d'armes et complices du défunt disparaissent les uns après les autres, tués par un mystérieux arbalétrier. De plus, le royaume de France doit encore affronter les dernières troupes anglaises et Auduin part ainsi combattre l'envahisseur....
Que dire de cette BD ? A tout seigneur tout honneur, je tiens à souligner la grande qualité du scénario. bruno fait preuve d'une belle érudition et décrypte pour nous tous les enjeux géostratégiques de cette période si difficile. Un petit dossier situé à la toute fin de l'ouvrage complète l'incroyable quantité d'informations historiques distillées tout au long de la narration. Le recours au vieux français dans quelques dialogues accentue encore la crédibilité de ce policier médiéval. Clairement, nous vivons avec les soldats et partageons avec eux leur amour pour une guerre sur-destructrice où les loyautés se font et se défont, car le but principal des nobliaux reste surtout l'enrichissement personnel. Auduin apparaît en contrepoint de la tendance générale, et son ami, Amaury, aussi. Les deux jeunes gens agissent en vrais chevaliers. Ils apparaissent soucieux de justice et de développement économique. On peut noter en passant leur nostalgie d'une époque révolue, celle des combats au corps à corps, alors que les bombardes s'imposent comme une nouvelle arme absolue, permettant de tuer à distance sans coup férir.
La conclusion m'a beaucoup touchée. Après une débauche de cruauté, de tueries et de folie, bruno développe une autre idée, celle du juste pardon. Le scénariste va d'ailleurs plus loin car il s'essaie à expliquer le pourquoi des meurtres et des batailles sanguinaires. Au final, tous les personnages, bons ou mauvais, nous sont présentés comme les fruits de leur époque. Leurs motivations les plus troubles en deviennent compréhensibles et la noblesse du héros s'inscrit dans une démarche globale de tolérance.
bruno aborde aussi le sujet de l'éducation avec beaucoup de subtilité et de justesse. Nous voyons ainsi l'oncle d'Auduin éduquer son neveu et tout faire pour que celui-ci prenne une route différente de la sienne : plus humaine, plus loyale et plus seigneuriale au bon sens du terme. Le couple apparaît ainsi très émouvant.
J'ai aussi bien évidemment pensé à
Jhen car bruno a choisi la même époque que Jacques Martin. Et de la même façon que Jhen a pour ami Gilles de Rais, Auduin se lie avec de rudes et impitoyables guerriers qui trouvent un plaisir (sadique?) à tuer leurs ennemis. On retrouve aussi Louis XI avec une description voisine de celle du maître, en même temps plus positive. L'Universelle Aragne et surtout son père apparaissent comme des souverains efficaces qui mènent leur pays à la victoire dans un contexte très difficile. Dans un tout autre registre, tant l'oncle du héros que son armée nous rappellent irrésistiblement les écorcheurs de la BD éponyme. Je vois donc dans
Le diffamé un hommage à l'artiste ayant inspiré "notre" forum.
Le dessin d'Olivier Pâques traduit un pari artistique. En effet, Pâques s'éloigne fortement du modèle de Pleyers où un trait précis et puissant structure les vignettes et encadre l'action. Ici, le trait se veut modeste, au service de couleurs vives, énergiques et vigoureuses. D'ailleurs, est-ce de la couleur directe ou de l'aquarelle ? Je ne sais ! Mais le lecteur y pense tout de suite. De plus, le recours à une palette vive, vaste, nous donne une image chatoyante, expressive et presque bariolée des lieux et des costumes. Grâce à cette technique, le XVème siècle acquière du relief et de la vie.
En conclusion, et pour répondre à Stéphane, voilà une belle et interessante BD. En toute franchise, j'ai lu cette BD à 17h30 et ai hésité à me précipiter dans la librairie où bruno et Olivier Pâques dédicacent ce soir pour faire un cadeau à Patrice, mon roi de ce type de manifestation
Ce sera donc sans hésiter un
EEE pour un scénario solide - et je n'ai pas parlé du beau suspens savamment orchestré - et un dessin innovant pour une BD médiévale. Amateurs orthodoxes de Chaillet, Craenhals, Peyo ou Pleyers, je vous suggère d'essayer le voyage.
Après certains membres du forum vont me demander pourquoi je n'ai pas attribué une note plus élevée. Et bien, ma réponse tient à mes goûts et aux choix des auteurs. J'ai évoqué le roman policier. J'aurais aussi pu parler du roman de guerre tant la BD regorge de batailles. Et cette surabondance, logique car l'ouvrage traite de la vie de combattants, m'a un peu lassée.
Eléanore