Et voilà, je viens de lire "Maxence". Quelques belles pages de Gibbon plutôt bien mises en images par Carlos Rafael Duarte et Romain Sardou. Le graphisme et les couleurs sont corrects, sans être exceptionnels, mais les costumes militaires m'ont laissé sceptique (les auteurs du massacre dans l'hippodrome étaient des mercenaires hérules).
En revanche j'ai apprécié la course de chars, en particulier la 1ère v. p.12 qui montre bien qu'en l'absence de palonnier, les chevaux n'étaient pas solidaires entre eux, spécialement les
funales (à l'extrême droite et l'extrême gauche du quadrige - en fait, les deux chevaux centraux, de part et d'autre du timon [oublié par le dessinateur] étaient sous un joug. Seules les externes, les
funales, étaient "libres". Mais c'est un progrès par rapport à ce qui se dessine d'ordinaire dans les BD. J'attends avec impatience la sortie - dans une semaine - de l'autre BD Lombard, GLORIA VICTIS, elle aussi consacrée aux courses de chars...
J'avais eu l'occasion d'en discuter avec Ange Ruiz, président de l'Association des attelages du Pays d'Arles, ayant remarqué que son char de parade était reconstitué à l'identique (sans palonnier, mais avec un joug), alors que ses autres chars - pour les exhibitions de course - étaient attelés "moderne", avec palonnier, pour des raisons de sécurité évidentes.
Faire courir un char attelé à l'ancienne... c'est un métier ! Je ne suis pas surpris des naufrages sur la piste du cirque !
J'ai noté aussi que l'impératrice Théodora était plus proche de celle du film de Riccardo Freda, THEODORA IMPERATRICE DE BYZANCE (1953), la somptueuse Gianna Maria Canale (Miss Italie en 1947 ou 49, je ne sais plus), que de la sèche créature que l'on voir sur la mosaïque de San Vitale, à Ravenne.
C'est que j'en ai dégusté des ouvrages historiques et même plusieurs romans, sur Théodora, à qui j'avais du reste consacré un dossier de mon fanzine KOLOSSAL, il y a trente ans. J'avais spécialement apprécié la trilogie de Déjean, prix Alexandre Dumas - on comprend vite pourquoi à la lecture. Je concède que la doc n'est pas évidente à trouver, et qu'il faut le plus souvent de contenter de faire "vraisemblable". Théodora était une prostituée et une actrice porno, fille d'un belluaire [un montreur d'ours] du cirque. D'origine égyptienne ou cypriote, elle était monophysite ce qui ne l'empêcha pas de devenir la maîtresse puis d'épouser l'empereur Justinien, qui était catholique orthodoxe. Procope - qui ne l'aimait pas et avait d'excellentes raisons de ne pas l'aimer -, raconte dans ses
Anekdota qu'elle mimait dans la rue les amours de Léda et du Cygne Zeus. Avec une simple ceinture pour préserver sa pudeur, elle donnait à ce volatile des graines à picorer... entre ses cuisses. J'avoue qu'avec son bec impressionnant, j'ai eu rétrospectivement peur pour elle.
Lors de la sédition des Victorats (Nika, en grec), elle se distingua par sa fermeté alors que son pusillanime époux Justinien s'apprêtait à faire ses valises. Les Funcken avaient déjà traité de l'épisode dans TINTIN vers le milieu des années '50 : TEMPêTE SUR BYZANCE. Un court récit de 4 planches. Mais Théodora n'y apparaissait pas, car les femmes n'étaient pas les bienvenues dans ces pages, hormis la Vierge Marie, bien entendu. La moraline, toujours ! On a un peu l'impression d'une photographie d'époque stalinienne.
Gibbon rapporte encore que sur le tard de sa vie, Théodora hébergea - de force - dans un couvent ses anciennes collègues prostituées. Beaucoup préférèrent se suicider. La moraline, toujours...
Apparemment, cet album est le premier d'une série (de combien ?). Je devine que son "agent" Maxence, aux remarquables plaquettes de chocolat - de son état belluaire comme l'était son père -, va se laisser croquer par elle. Aurons-nous droit à une saga comme celle de Déjean, avec Bélisaire contre les Vandales à Carthage, puis contre les Goths à Rome ? Je salive...