Je n’ai pas encore trouvé le temps de vérifier sur DVD la course de chars de BEN HUR 1925, de toute manière je suppose que Martin a dû en digérer les mouvements pour les restituer à sa manière. Plus intéressant serait de comparer quelques photos avec ses dessins.
• (ALIX L’INTREPIDE, Tintin n° 20, 19 mai 1949)
On observera que Jacques Martin n’est pas tombé dans le piège où ont systématiquement versé les cinéastes. Pour des raisons de sécurité, les quadriges de cinéma (et aussi le plus souvent les biges) sont attelés « à la moderne », c'est-à-dire que les traits viennent se fixer sur un palonnier (barre transversale, perpendiculaire au timon, directement attaché à la caisse). Il faut savoir qu’on ne connaît pas très bien la manière selon laquelle les chevaux étaient reliés au char. La statuaire élude les traits pour des raisons faciles à comprendre : trop fragile à sculpter, à moins de les rapporter en bronze. On sait que les deux chevaux centraux, de part et d’autre du timon, étaient sous un joug. Ce joug, apparemment, ne portait que sur deux chevaux. Les deux chevaux extérieurs (les « funales ») étaient reliés à l’ensemble on ne sait trop comment. On voit que Martin les a reliés au timon comme il a pu, c'est-à-dire directement à leur voisin – c’est l’hypothèse la plus vraisemblable.
• (Ramon Novarro dans BEN HUR 1925 – carte postale)
On voit que le timon fait un angle droit pour se positionner (avec le palonnier) à hauteur du garrot. Le film a négligé le joug, inutile puisqu’on a un palonnier.
• (Le char de Charlton Heston dans la version 1959)
On aperçoit le palonnier, qui fait saillie à gauche sur la photo, et un trait qui vient s’y capeler. Toujours aussi anachronique.
• (Un bige égyptien des DIX COMMANDEMENTS de C.B. DeMille, 1957)
On critique toujours le Père DeMille, mais au moins ses chars étaient attelés d’une manière archéologiquement correcte. Sans doute son documentaliste, Henry S. Noerdlinger avait-il vu, e.a., la fameuse « chasse de Toutankhamon ». Vous voyez : pas de palonnier, et un joug sur les épaules des canassons. En 1949, Martin anticipait DeMille !
En fait chars égyptiens, grecs ou romains fonctionnaient tous sur le même principe du joug ; mais au cinéma je ne vois guère que les Egyptiens à utiliser semblable mode d’attelage (p.ex. dans SALOMON ET LA REINE DE SABA, 1959 – leurs adversaires Israélites ayant des biges « à palonnier », modernes ! Détail cocasse, dans ce dernier film les biges égyptiens qui font des cascades sont « modernes », ce qui confirme ce que je disais : l’attelage moderne est, évidemment, plus fiable. L’attelage « à l’antique » étant, lui, plus aléatoire).
Je pense que Martin a dû s’inspirer d’un ouvrage archéologique. Je crois qu’à l’époque il habitait Verviers, où il avait dégoté le fameux Dictionnaire des Antiquité grecques et romaines en 10 volumes (il raconte que le bibliothécaire l’avait autorisé à le garder chez lui, en prêt, car il était le seul à le consulter. C’est un ouvrage que je connais bien, pour l’avoir souvent consulté moi-même, en salle de lecture à la Royale. Je me souviens que, quand je travaillais avec lui – vers 1995-1997 donc -, il m’avait montré - tout fier - ce Daremberg et Saglio, qu’il venait de racheter à un curé qui venait de prendre sa retraite. Etat impeccable, bel achat, mais il manquait le volume des tables, plus mince. Sans doute devait-il encore arriver – les aléas de la poste !
Pour ceux que cela intéresse, vous pouvez consulter le Daremberg et Saglio en ligne, sur le site de l’Université de Toulouse-Le Mirail : http://dagr.univ-tlse2.fr/sdx/dagr/feuilleter.xsp - plus spécialement s.v. « currus » : http://dagr.univ-tlse2.fr/sdx/dagr/feuilleter.xsp?tome=1&partie=2&numPage=880&nomEntree=CURRUS
Il n’est pas impossible non plus qu’il se soit inspiré des reconstitutions de L’Histoire du costume de Friedrich Hottenroth (il s’en est beaucoup servi au fil de ses BD, tout comme du Racinet d’ailleurs). On retrouve les mêmes rondeurs de « carrosserie » (voir image ci-dessous). Pour ceux que ça branche – et puisque le thème de cette page est
Les lectures de Jacques Martin -, les planches de ces deux ouvrages du XIXe s. ont été rééditées : F. Hottenroth,
L’art du costume, L’Aventurine, Paris, 2002, et Albert Racinet,
Histoire du costume, Bookking International, Paris, 1991.
• (Hottenroth : à gauche des chars romains tout en rondeurs – notez, séparément, la représentation du joug et de la cheville qui sert à l’ajuster au timon)
Enfin, si vous voulez forer la question des attelages, consultez : Georges RAEPSAET,
Attelages et techniques de transport dans le monde gréco-romain, Laboratoire d’Archéologie classique de l’Université Libre de Bruxelles, Timperman, 2002. Mais bon, c’est très technique, pas question de BD ni de ciné.