Je reviens un instant sur
L'étoile, pour rappeler que je suis évidemment d'accord avec Raymond et Kimono sur le fait :
- qu'Haddock se conduit en Enfant dans les séquences "alcool" et "colère",
- que,dans ces séquences, Tintin redevient Parent,
- et que ce sont les "enfantillages" de Haddock qui déclenchent le rire.
Ces séquences sont suffisamment nombreuses pour que je nuance mon assertion selon laquelle le capitaine se comporterait "presque constamment en mode Parent". "Souvent" ou "plutôt" serait certainement plus juste - ce qui, dans mon esprit, ne veut absolument pas dire que le personnage de Haddock est définitivement devenu un Père - et qui plus est un Père aidant
, pour reprendre le vocabulaire de l'analyse transactionnelle!
Ce comportement de Parent, même s'il n'est qu'intermittent, est d'autant plus notable qu'il est tout à fait inattendu après le "premier" Haddock que nous a fait découvrir Hergé, celui du
Crabe.
Par contre, nous n'avons pas le même point de vue sur la (magnifique) planche 25 - la séquence "coup de tabac" -, que j'ai toujours lue, à l'instar de Jean-Marie Apostolidès, non comme une situation où Haddock se comporte avec légèreté, voire indignité, mais au contraire comme une séquence "d'apprentissage" : certes, le capitaine minimise la réalité, mais c'est pour la dédramatiser (le terme "jolie brise" en marine correspond à du 4 Beaufort, alors que la séquence correspond plutôt à du force 8 = "coup de vent", càd le "coup de tabac" désigné par le capitaine à la vignette suivante -> nous ne sommes donc pas, en langage de marin, en présence d'une "tempête" force 10, que l'échelle décrit de la façon suivante : "Conditions exceptionnelles : Très grosses lames à longue crête en panache. L'écume produite s'agglomère en larges bancs et est soufflée dans le lit du vent en épaisses trainées blanches. Dans son ensemble, la surface des eaux semble blanche. Le déferlement en rouleaux devient intense et brutal. Visibilité réduite, Vagues de 9 à 12,5 m."). Autrement dit, l'effet comique de la séquence, selon moi, ne vient pas du comportement moqueur/irresponsable de Haddock vis à vis de Tintin, mais du décalage entre le vocabulaire du professionnel et celui du néophyte.
Loin d'être léger, Haddock fait preuve ici du sang-froid que lui donne son métier : Tintin subit la situation dans l'émotion, tandis qu'Haddock l'analyse pour mieux la maîtriser.
Petite anecdote personnelle : dans ma lointaine vie professionnelle, je me souviens avoir utilisé la vignette "jolie brise" (25-III-2) auprès de mes équipes pour introduire une intervention sur la gestion de crise...
Certes Haddock n'est pas un Père, loin de là, mais il n'est pas non plus un marin d'opérette, comme par exemple
Le vieux marin du roman de Jorge Amado ou, pour faire référence à une BD que j'ai présentée dans ce forum, au Phil Granfoc de François Bel dans
Les trois feux rouges. A part bien sûr dans
Le crabe, la relation Parent/Enfant s'inverse entre Tintin et Haddock dès que le capitaine se retrouve sur un navire (sauf alors dans les séquences comiques, évidemment, où le "naturel" de l'Enfant Haddock reprend le dessus) : l'Aurore dans
L'étoile mystérieuse, le Sirius dans
Le trésor de Rackham le rouge, le Ramona dans
Coke en stock.
Quant à savoir si Haddock, après la rupture
Crabe/
Etoile, continue à évoluer vers plus de maturité, comme le note Eléanore-Clo, c'est un nouveau thème de discussion...
De ces échanges on peut en tout cas retenir ce que disait Albert Algoud (dans ActuaBD) en 2021 à l'occasion de la réédition de l'intégrale des jurons du capitaine Haddock : "La popularité d’Haddock est avant tout due à sa complexité."