Voilà, je l'ai lu, et l'impression dominante que je retire de cette première découverte …
... c'est qu'il y a quelques détails qui sont mal maîtrisés .
Il y a aussi plusieurs choses qui m'ont franchement irrité dans ce "
Veni vidi vici", mais cela résulte peut-être d'une intention délibérée des auteurs. Après tout, cet album est un "Alix vu par David B" et ce dernier n'allait pas se gêner d'y introduire ses propres thèmes, et sa propre manière de raconter une histoire. Seulement voilà, Alix est une série qui a ses propres règles, explicites ou implicites, et les auteurs ne s'en sont pas toujours préoccupés !
Mais parlons d'abord des qualités de ce one-shot, qui respecte quand même certaines particularités de la série. L'album est d'abord précisément daté, puisqu'il raconte la bataille de Zéla, gagnée par Jules César en -47. Le scénariste introduit aussi dans son récit un résumé de l'histoire locale, qui concerne en particulier le roi Mithridate, comme le faisait Jacques Martin dans ses meilleurs albums. Malgré certaines fantaisies dont je vais bientôt parler, ce nouvel opus est une BD historique véritable.
Le contexte historique est donc exact, et le récit respecte également les personnages principaux comme Pharnace ou Jules César. Les costumes, les vieilles pierres et les décors sont bien en place, et rien qu'à cet égard, il faut saluer le travail des deux auteurs.
David B a ses propres thèmes récurrents (pour ne pas dire ses obsessions
) et il en introduit bien sûr quelques uns dans cette histoire. C'est ainsi que la magie des livres réapparait, cette fois-ci dans un album d'Alix, mais dans des proportions qui restent raisonnables. Les amateurs du scénariste apprécieront certainement ce clin d'œil.
La réapparition d'Arbacès est une autre bonne idée de David B car cette histoire est finalement assez proche de Zur-Bakal (et du monde la Tiare d'Oribal). Le personnage y reste fidèle à sa réputation, mais le dessin de Giorgio Albertini l'affuble par moment d'un prognathisme presque maladif. C'est une maladresse qui m'a un peu irrité car si Arbacès est bien un scélérat, il est avant tout très élégant.
Et puis, venons-en aux sujets qui fâchent un peu. David B réinterprète à sa manière le caractère des personnages, et c'est ainsi qu'Enak prend beaucoup d'assurance. Ce dernier se permet quelques remarques ironiques, assez lourdes de sens ("pour une fois que tu trouves une femme à ta mesure" dit-il à Alix) et c'est une intelligence qui ne m'a pas déplu. En revanche, Alix prend une bien étrange apparence, et devient soudainement un somnambule qui se promène tout nu en entendant de mystérieuses sirènes. Et cette transgression n'est en fait qu'une première scène iconoclaste assez bénigne, puisque l'incrédulité se renforce ensuite lorsque le héros devient une sorte de zombie surpuissant pendant qu'il combat ses ennemis. Cet espèce d'état second, comparable à une bouffée psychotique, me semble bien éloigné du caractère qui avait été défini par Jacques Martin. Certes, le créateur d'Alix montrait bien quelques colères ou certaines impulsions de son personnage, mais il préservait toutefois l'équilibre de son caractère, ainsi que sa maîtrise constante de la réalité. Avec David B, Alix devient une sorte d'aliéné et cela me dérange franchement
La géante qui apparait au milieu de cette histoire est une autre créature fantasmagorique imaginée par David B. L'idée pourrait être bonne mais ce personnage développe une relation curieuse avec Alix, qui mélange l'amour et la haine, et qui frôle même le sado-masochisme ? Le combat final entre ces deux personnages prend des proportions incroyables, et devient finalement presque irréel. Serait-ce parce qu'il n'est pas bien raconté ? Ou ne serait-ce pas plutôt parce que ceux-ci sont complètement débordés par leurs passions ? L'image finale du livre montre Alix presque absent, probablement hanté par la vision de cette femme … et partant à sa recherche sur le champ de bataille. Je trouve cette vision du personnage totalement destructrice.
Il faut bien en convenir, David B traite souvent de cette manière ses propres personnages ! C'est son propre style. Il malmène ses héros et on pouvait prévoir qu'il n'allait pas se gêner dans ce nouvel album ... mais je n'arrive pas à y adhérer !
La bataille finale (qui est bien sûr un événement historique) est bizarrement racontée. Alix y fait un peu n'importe quoi, et se retrouve entouré de guerriers ennemis. Il est désarçonné de son cheval, et il devrait normalement ensuite passer de vie à trépas, mais ce n'est pas le cas. On ne sait pas vraiment pourquoi il survit et le scénariste me semble abandonner les règles les plus élémentaires du réalisme. Dans un album d'Alix, je trouve que c'est plutôt un défaut.
Bref, la lecture de cet album m'a un peu perturbé, et bien qu'il ait certaines qualités évidentes, je n'y ai pas pris beaucoup de plaisir. Peut-être que certains d'entre vous apprécieront cette plongée vers "le côté obscur de la force" (pour paraphraser les américains
), et aussi cette volonté de transgresser les valeurs fondamentales de la série (qui accorde une évidente primauté à la raison, l'équité et la justice). Pour ma part, la vision de cet "Alix un peu destroy" me reste sur l'estomac !
Mais peut être que vous voyez les choses autrement !
On n'a en tout cas pas fini d'en parler !