Bon, je me lance en constatant d'emblée que c'était finalement une excellente année pour la BD, riche en chefs d'œuvre et en belles trouvailles, contrairement à 2019 qui était un peu restée morose.
La sélection a par contre été douloureuse.
Je vais vous présenter les albums élus dans le désordre, en commençant avec
l'Âge d'Or de
Roxanne Moreil et Cyril Pedrosa, dont le tome 2 vient de paraître.
J'étais un peu resté sur la réserve après le tome 1 en 2018, mais maintenant que l'on peut lire ce diptyque médiéval en entier, il devient évident que c'est un chef d'œuvre. Le tome 1 présentait tous les personnages et il semblait désigner des bons et des méchants. Le deuxième tome vient relativiser cette impression, en racontant une longue guerre un peu stérile, dans laquelle on ne sait finalement plus qui a vraiment raison. Et en fait, je ne sais pas ce qu'il fait saluer le plus dans cette œuvre: l'ampleur du récit qui devient une vraie saga, l'intelligence de l'intrigue et de la vision de ses personnages, la dimension un peu mystique de ce monde avec ce livre intitulé "l'Âge d'Or" qui domine les gesticulations des personnages tout en dévoilant quelques sentences à la fois poétiques et ambiguës, les qualités graphiques de Pedrosa dont le style évoque par moment la beauté des tapisseries médiévales et qui passe avec malice du dessin figuratif à d'autres images assez proches de l'abstraction, l'utilisation appropriée par le dessinateur d'effets narratifs désuets en montrant par exemple le déplacement d'un personnage au sein d'une même case, la splendeur des couleurs qui ne recherchent pas à créer du réalisme mais plutôt à suggérer une ambiance, la beauté de la conclusion qui dépasse les enjeux de l'intrigue pour nous emmener vers un au-delà incertain ... et encore d'autres choses que j'oublie. C'est en fait une œuvre monstrueuse et admirable, sur laquelle il y aurait beaucoup à dire et que je ne suis pas sûr d'avoir totalement comprise, en particulier à cause de ce livre énigmatique qui distille dans le récit diverses réflexions presque philosophiques.
Bref, j'ai bien aimé ... mais il faudra en tout cas que le relise !
Avec trois beaux livres,
Frank Pé a sinon été une des indiscutables vedettes de cet automne. Dans sa sélection, eleanore-clo avait choisi "la Bête", une aventure originale du marsupilami au style sombre et réaliste, mais je retiendrai plutôt pour ma part le merveilleux
Little Nemo, une suite de variations graphiques heureuses et oniriques, surtout centrées sur le monde animal. En fait, on pourrait considérer "la Bête" comme un roman et "Little Nemo" comme un poème. Et comme je suis de plus en plus souvent fasciné par la poésie et ses mystères .... le choix devenait presque évident.
Préférence Système d'
Ugo Bienvenu est une intrigante BD qui nous raconte un futur proche dans lequel l'humain cohabite avec les androïdes. Mais les androïdes ont-ils une âme et des sentiments ? Le dessinateur développe une belle histoire sur cette question sans réponse, qui avait inspiré jadis le grand écrivain Philip K. Dick. Et cet album interrogatif est devenu une de mes plus belles lectures de ce printemps. Petite remarque probablement nécessaire : je sais bien que ce titre est paru à la fin 2019 mais comme je ne l'ai lu qu'en mars 2020 ... je me permets donc de le sélectionner avec les "belles BD" de cette année
Le discours de la panthère, de
Jérémie Moreau, est un de ces livres inattendus qui surgissent parfois sans signe annonciateur ni publicité excessive, et qui se révèlent être à la lecture de véritables petites merveilles. C'est aussi un recueil de fables animales étranges, dans lequel l'humain reste absent, qui se termine avec une morale assez malicieuse. Toutes ces qualités donnent une belle BD, facile et agréable à lire, qui ne ressemble à aucune autre, et c'est assurément une lecture qui s'impose.
Peau d'Homme de
Zanzim et Hubert est une BD multirécompensée en cette fin d'année 2020, et il n'est bien sûr pas très original de ma part de sélectionner ce titre. Toutefois, ce subtil et décapant conte médiéval, au ton coquin assez proche des récits du "Décaméron" de Boccace, est une vraie délicatesse pour les bédéphiles adultes. Cette œuvre montre par ailleurs que la BD peut vraiment tout raconter, à condition que l'on ait l'intelligence de choisir un style adéquat. Elle se lit enfin très facilement et il serait vraiment dommage pour vous de la rater.
Rusty Brown de
Chris Ware est un impressionnant pavé qui vient tout juste de sortir, et que j'ai commencé à lire assez lentement, jour après jour et à petites doses, afin de ne pas me laisser déborder par le pessimisme inné de l'auteur. En fait, c'est tout simplement le retour d'un gros roman balzacien et introspectif, très semblable à ce qu'avait été "Jimmy Corrigan", qui fait suite à la splendide œuvre symphonique et multimodale qu'avait été "Building Stories". Chris Ware est un auteur immense dont je ne rate pas la moindre publication et il m'est pour l'instant difficile d'en dire plus, car je n'ai pas encore beaucoup avancé. Dans quelques temps, je vous ferai un petit billet dans le sujet "Chris Ware".
Le col de Py, écrit et dessiné par
Espé, est une BD qui m'avait été recommandée par eleanore-clo et je suis surpris qu'elle n'ait finalement pas retenu ce titre. C'est en fait une bande dessinée autobiographique qui raconte l'histoire toute simple d'un enfant malade, et ce sujet assez fort est présenté avec une grande simplicité. Il n'y a pas de grande révélation ni de message intellectuel sophistiqué dans cette œuvre qui est simplement juste et émouvante. C'est une BD sérieuse mais sans prétention, qui se contente de témoigner d'une expérience vécue, et qui est un de mes belles lectures en 2020.
Carbone et Silicium de
Mathieu Bablet est une BD monumentale qui raconte avec une impressionnante intelligence les deux ou trois prochains siècles de l'humanité. L'auteur imagine lui aussi que notre monde sera dominé par les robots et l'informatique et qu'il en résultera une inexorable "déshumanisation de l'homme". Cette effrayante prédiction m'a semblée pleine de bon sens et j'ai été bluffé par les petites histoires assez crédibles qui rythment les vies de Carbone et Silicium, deux robots (presque des androïdes en fait) qui vont survivre envers et contre tout dans un monde devenant de plus en plus inhabitable. L'apocalypse terrestre ne sera peut être pas guerrière ou économique, et la fin de l'homme pourrait bien découler tout simplement de ce pseudo "progrès", et de ce développement technologique aveugle qui n'a plus aucun objectif humaniste ou bienveillant. Ce message implacable et terrifiant donne à cette BD une belle dimension. C'est en fait une toute grande œuvre sur laquelle il serait intelligent de réfléchir.
J'aime inclure une ou deux séries traditionnelles dans mes "best of", mais ce sera cette fois-ci
Julius Corentin Acquefacques de
Marc Antoine Mathieu, avec son merveilleux tome 7 qui s'intitule
L'Hpyerrêve. Ce n'est pas tout à fait une BD traditionnelle, il faut l'admettre, mais c'est chaque fois un plaisir de retrouver les idées surréalistes et les montages livresques inattendus de cette série follement créative et unique en son genre. Je vous ai déjà présenté en détail cette BD dans le sujet dédié à Marc Antoine Mathieu, et je n'en dirai donc pas plus par peur de me répéter.
Et pour terminer, comme dixième album, j'ai choisi
Malgré tout de
Jordi Lafèbre. C'est une BD apparemment classique, puisque son dessin est facile à lire et que c'est en plus une histoire d'amour, mais elle est également peu conventionnelle puisque les amants n'arrivent presque jamais à "conclure", pour reprendre les termes de Jean-Claude Düss.
De plus, le scénario commence avec la fin du récit et se termine par son début, ce qui est un petit tour de force et également une astuce qui enrichit le plaisir de la lecture. C'est peut-être la BD la plus facile à lire parmi les 10 que j'ai sélectionné, et c'est surtout le genre d'histoire qui rend le lecteur heureux. Vous auriez donc tort de vous en priver.
Et voilà ! Il me reste hélas encore quelques albums qui ont été "recalés" au dernier moment, à ma grande tristesse" parce que je les aime bien aussi. J'ai l'intention d'en parler bientôt dans un second post, si eleanore-clo le permet, afin de soulager mes remords.