Raymond a écrit:Jusqu'à maintenant, seuls des scénaristes confirmés (Van Hamme, Dufaux etc..) ont réalisé les scénarios de B&M, et il est clair que l'éditeur ne veut pas prendre de risque.
Et ils ont livré des histoires "featuring Blake et Mortimer" où leurs propres défauts, tics d'écriture, fantasmes, etc... sont perceptibles. On a suffisamment de recul aujourd'hui pour se livrer au constat suivant : nulle trace d'un véritable chef d'oeuvre dans une production désormais équivalente en nombre à celle de Jacobs.
Si je devais faire découvrir la série à un néophyte, je piocherais donc les yeux fermés dans les albums initiaux (100 % Jacobs), en évitant pour ce présent de donner un tome second.
Au fond, puisque reprise il y a et "doit y avoir", j'aurais tendance à raisonner comme Treblig.
Antoine Aubin, nous avons pu le constater, est un dessinateur dont l'admiration pour Edgar Jacobs ne fait aucun doute : si son style graphique s'approche de celui du maître, malgré une expérience limitée, c'est par suite d'une imprégnation, résultant de moult lectures et relectures, et d'analyses et d'observations minutieuses.
Aubin a donc une marge de progression sur laquelle on peut miser. Mais il n'a pas à se débarrasser de certaines caractéristiques propres à un style trop personnel, souvent encombrantes car trop éloignées du modèle.
Jijé succédant à Uderzo ou Hubinon n'a pas les coudées aussi franches que lorsqu'il crée "Jerry Spring", du seul fait que les lecteurs se livreront immanquablement au jeu des comparaisons. On n'ose l'imaginer suppléant Giraud sur un album comme Chihuahua Pearl ou Angel Face, malgré une précédente intervention assez neutre et efficace dans le cycle initial de "Fort Navajo".
Juillard, je le crains, ne parviendra jamais à dessiner correctement les personnages avec les traits agréables qu'on leur connaît sous le pinceau de Jacobs. Sinon, il y serait déjà parvenu, à ce jour, à force de labeur et compte tenu d'un savoir faire et d'un talent bien réels, convenant davantage aux séries "Arno", "Les 7 Vies de l'Epervier", comme à des récits où la psychologie des personnages prime sur l'action, tels l'intimiste "Cahier Bleu" ou "Les Voyages de Léna". Aucune de ces oeuvres n'étant une reprise !
On peut supposer que l'admiration d'Antoine Aubin pour Jacobs ne se limite pas à l'élégance du dessin mais aussi aux talents de conteurs du maître.
Jacques Martin, Bob de Moor et Jacobs, pour ne citer qu'eux
(on pourrait évoquer également le cas particulier de Jean Graton), étaient au départ des dessinateurs plus ou moins expérimentés, ayant eu la chance de croiser un jour Hergé puis de travailler à ses côtés. Lorsqu'ils ont créé leurs propres séries, ils se sont tous révélés capables d'écrire des scénarios tenant plutôt bien la route. Ils s'exprimaient correctement et sans affectation, dans un souci de clarté et ne donnaient jamais l'impression de confondre le lecteur (un enfant le plus souvent, au budget restreint) avec un consommateur* conditionné à acheter les yeux fermés n'importe quelle nouveauté pourvu que le nom de ses personnages favoris figurât sur la couverture. Aujourd'hui, les éditeurs (et certains repreneurs) se comportent parfois comme des dealers de drogue vis-à-vis de leurs victimes tombées dans la dépendance et périodiquement en état de manque.
Alors, après tous les albums quelconques
(ou à tout le moins très inférieurs à "L'Espadon", "La Marque Jaune" ou "SOS Météores") qui inondent régulièrement les rayons et bacs de libraires, pourquoi ne pas prendre le risque de confier la totalité d'un récit à Antoine Aubin, sans lui imposer un délai trop court ? C'est bien parce que Jacobs a privilégié la qualité à la quantité qu'aujourd'hui la série jouit d'une solide réputation et d'un grand prestige et fait l'objet d'une sorte de culte
puéril sur lequel les éditeurs misent. Le nom de la série s'apparentant de plus en plus à un label
"B & M, marque "
jaune, comme le rire"
déposée" dont la promotion outrancière et un merchandising soutenus compensent les faiblesses graphiques et scénaristiques. On vend du "Blake et Mortimer" comme on vend des "Nike" ou des "Adidas".
Il avait d'ailleurs été relevé à propos du précédent album qu'Aubin voulait réaliser une histoire de bout en bout. Non seulement on l'a prié d'illustrer une histoire inepte, mais il n'a pas eu les coudées franches jusqu'au bout. Le résultat en a pâti, avec des dessins inégaux au fur et à mesure qu'on progressait dans le récit et une rupture graphique par l'adjonction d'Etienne Schréder au dessin. Tout ça pour mettre en images un scénario abracadabrant.
Ceci dit, rien ne prouve pour autant qu'Aubin serait capable d'élaborer une histoire vraiment valable, sauf à le payer à l'avance et peut-être à fonds perdus pour disposer d'un scénario destiné le cas échéant à ne pas servir.
*devenu adulte.