stephane a écrit:Youpi, je l'ai reçu avec une jolie dédicace de Regric! Je le lis ce we , les premières planches superbes !
Quelle chance Raymond de l'avoir reçu dédicacé de Régric ! Je te souhaite bonne lecture de ce nouvel album.
Quant à moi, je viens de le lire une première fois en deux temps cette fin d'après-midi et ce soir.
Avant de donner mon impression, je tiens à préciser que je ne suis pas attiré a priori par la géographie des îles tropicales. Curieusement, cela n'a jamais parlé à mon imaginaire. Cuba n'échappe pas à cette préférence et l'idée d'un album cubain en soi ne me séduisait pas pour cette raison, même si la présence d'Hemingway parmi les personnages me semblait un défi intéressant.
Si j'ai tenu à donner cette précision liminaire qui n'aurait autrement aucun intérêt puisque elle n'engage que moi, c'est pour mieux souligner tout le plaisir que j'ai pris à lire et admirer les planches de cet album qui à mes yeux est une réussite : Roger Seiter a selon moi accompli une vraie prouesse en faisant d'Hemingway un personnage à part entière de cette histoire, et non pas une guest star invitée à paraître à quelques rares moments pour crédibiliser de sa présence la saveur cubaine vintage comme cela aurait parfaitement pu arriver, mieux, la rencontre Lefranc Hemingway est tellement naturelle qu'on pourrait penser qu'elle a réellement eu lieu. Hemingway est un vrai caractère et non une marionnette vaguement articulée par quelques artifices. On le voit rire, vivre, participer à l'aventure avec un mélange de bonhommie et de plaisir de vieux loup de mer des batailles d'hommes qui lui donne par instant un côté capitaine Haddock débonnaire. La vision que donne de lui le scénario est chaleureuse et tout à fait convaincante.
J'aime que, comme l'a signalé BSH ci-dessus, Lefranc soit moins ici un héros au sens classique qu'un des protagonistes qui est à la fois témoin et acteur involontaire à l'intérieur d'un processus historique en devenir dont l'intérêt est justement de le faire vivre dans le moment où le mouvement du balancier n'a pas achevé sa course.
A ce point de vue, le tressage de l'intrigue première, la quête archéologique qui motive le voyage de Lefranc, avec le devenir historique et ses à côtés est remarquablement conduit. Même pendant la phase de mise en place, le lecteur ne s'ennuie jamais : il se passe quelque chose à chaque instant qui vient créer la surprise et nous en retirons un vif plaisir.
Le lecteur a par ailleurs beau savoir que l'hypothèse de la mystérieuse cité engloutie relève d'un genre fantastique qui frôle celui de Jacobs ( la plaisanterie d'Hemingway au sujet de ceux qui ne manqueraient pas de parler aussitôt de l'Atlantide de Platon semble à cet égard un clin d'oeil facétieux), la fiction parvient sans effort à nous persuader de sa vraisemblance et le pacte de lecture fonctionne parfaitement. Cela tient aussi à la manière dont le récit sait d'emblée propose plusieurs chemins parallèles qui dévient presque aussitôt pour décrire une longue spirale les uns autour des autres jusque au moment de leur jonction dans le dernier tiers de l'album. Tout a été préparé de telle manière que la réunion de tous ces axes narratifs ne pose à aucun moment problème. Même si les personnages de Che Guevara et de Castro n'ont peut-être pas toute l'épaisseur d'énigme qu'on aurait peut-être aimé trouver en eux, dans cet album dont on comprend bien qu'il ne prend aucun parti mais se contente de nous montrer les événements et les hommes de ces événements au moment où tout va basculer, mais cette petite nuance exprimée, il faut reconnaître que le scénario sait intégrer les deux révolutionnaires à l'histoire sans que nous éprouvions le sentiment d'un artifice gênant. Là encore, je crois que la savante préparation des vingt premières pages, puis la densification progressive du récit, permettent à ces entrées en scène d'intégrer les deux leaders dans une aventure de Lefranc, au lieu de leur faire jouer le simple rôle d'utilités destinées à faire couleur locale et historique. Je suis enfin très sensible à ce que suggère en profondeur le récit grâce à la position non engagée de Lefranc et à la strate archéologique de l'histoire, sur fond de drame politique. Je n'en dirai pas plus pour ne rien ôter au plaisir des lecteurs qui n'ont pas encore découvert cet album alors qu'il vient seulement de paraître.
Le travail de Regric m'a tout autant séduit : les planches d'ouverture - et notamment la conversation parisienne initiale - offrent un prélude visuel d'une grande beauté, que la suite de l'aventure ne dément pas. Le trait de Regric continue d'être élégant, juste, solide et fin. Chaque fois se confirme à mes yeux qu'il est vraiment LE digne successeur de Jacques Martin. Les paysages, ces fameux paysages qui a priori ne sont pas pour moi objet d'une attirance particulière, Regric leur donne une vie qui m'a convaincu et beaucoup plu, qu'il s'agisse des scènes maritimes, des jardins et sites naturels ou des séquences urbaine à La Havane. Quant à la mise en couleur, elle est somptueuse, soyeuse et chatoyante. On vit la lumière et sa particularité locale, l'un des grands talents de Regric dont j'avais déjà observé la sensibilité à cet égard en retrouvant la lumière du Léman dans Le Maître de l'Atome et dont j'avais adoré les éclairages caravagesques dans Noël Noir. Son interprétation graphique de Che Guevara dans le style de la série me semble plutôt bien réussie, ce qui n'allait pas du tout de soi. Peut-être le célèbre révolutionnaire est-il un peu trop souriant sans toujours exprimer dans ce sourire l'espèce de romantisme arrogant qui pourrait lui donner plus de présence, encore que le vrai Guevara, selon ce que m'en a dit le poète haïtien René Depestre qui l'a approché à l'époque, n'était pas particulièrement enclin au sourire et ne regardait pas ses interlocuteurs en face, ce qui contribuait à lui donner quelque chose d'inquiétant, en dépit de ce que la légende en a fait, mais peu importe. Ne pinaillons pas pour le plaisir : avec Che Guevara, Regric à mon avis s'en sort vraiment bien, ce qui n'allait pas de soi. Son Castro est peut-être moins précis, mais sa courte apparition sonne assez juste elle aussi par le dialogue avec Hemingway où l'on a bien l'impression que deux tempéraments se jaugent avec un humour non dépourvu chez l'un et l'autre d'une forme de défi et de lucidité bien dans le goût du virilisme que l'un et l'autre affectionnaient, chacun à sa façon - celui d'Hemingway m'étant plus sympathique car dépourvu du machiavélisme qui caractérisait Castro du temps de son épopée initiale puis de sa pétrification progressive au cours des décennies suivantes - je parle de lui à l'imparfait bien qu'il ne soit pas encore mort puisque ce Castro là n'existe plus politiquement depuis quelques années. Je préfère revenir à Regric qui sait apporter à ce récit tout la vie chromatique et l'élégance graphique qu'il lui fallait.
Autre façon de dire que pour moi Cuba Libre n'est pas un album de plus, mais un des très très bons Lefranc vintage publiés à ce jour et qu'il sait admirablement faire vivre l'aventure tout en la transformant en fête visuelle ! Merci donc à Roger Seiter et Regric qui nous offrent le plaisir de cet album en ce beau mois de septembre lumineux, beau double cadeau de rentrée !
Dernière édition par Draculea le Ven 12 Sep - 23:15, édité 1 fois