J'ai commenté l'année passée L'arbre nu, une belle BD coréenne, et cette petite chronique a tout à fait sa place ici. Parfois, je ressens le besoin de lire quelque chose de différent, comme par exemple un livre qui vient d'ailleurs, ou une œuvre relevant d'une autre tradition. Et c'est ainsi qu'après avoir lu quelque critiques élogieuses dans la presse sur
L'arbre nu, un manhwa de la dessinatrice coréenne Keum Suk Gendry-Kim, j'ai tout de suite compris que c'était le livre qu'il me fallait pour les fêtes de fin d'année.
L'arbre nu est l'adaptation en BD d'un roman d'inspiration autobiographique écrit par la romancière sud-coréenne Park Wan-seo, qui a été publié en 1970. Cette dernière racontait sa rencontre avec un peintre nord-coréen survenue en 1951, pendant la Guerre de Corée. Elle tomba amoureuse de cet homme marié et leur relation resta plutôt chaste, mais cet amour aida la future écrivaine à supporter les drames familiaux (mort de ses frères, désordre psychique de sa mère) secondaires à la guerre civile.
Le récit est marqué par une très grande retenue dans l'expression des sentiments, mais ce choix reflète probablement d'une façon exacte ce que pouvait être le début d'une relation amoureuse en Corée à cette époque. C'est en fait une histoire sentimentale plutôt qu'un roman d'amour et la dessinatrice adopte donc un style volontairement sobre. Les visages restent expressifs mais les personnages évoquent très peu leurs sentiments.
La guerre de Corée n'est présente qu'en arrière fond de ce roman, par exemple en évoquant le bruit des canons, ou en montrant la destruction d'une maison, ou alors en relatant la nécessité pour les hommes de se cacher lorsque la ville de Séoul est occupée par les communistes. Il y a peu de scènes d'action et le récit reste plutôt intimiste, en s'intéressant aux sentiments des personnages face aux GI américains qui se comportent comme s'ils étaient en pays conquis, ou au vécu des artisans (et du peintre) qui survivent en réalisant des images à caractère commercial. Le récit se distingue parfois par une certaine lenteur, mais il n'est jamais ennuyeux.
Keum Suk Gendry-Kim varie en effet intelligemment les plans et le rythme de son roman graphique. Elle insère parfois entre deux conversations quelques grands dessins qui prennent toute la page, ou aussi d'occasionnelles séquences muettes ou alors des "arrêts" qui montrent d'étranges gros plans focalisés sur certains détails du décor. Cette variété d'effets révèle bien sûr une véritable maîtrise de la narration en bandes dessinées.
il n'y a pas de véritable séduction esthétique dans ce livre, car la dessinatrice s'applique plutôt à recréer l'ambiance qui imprégnait la vie coréenne en ces temps de guerre. Son graphisme sobre et un peu triste correspond probablement assez bien à l'atmosphère qui régnait dans le roman original, mais ce n'est bien sûr qu'une supposition. Signalons que la fille de l'écrivaine a écrit une intéressante préface, dans laquelle elle reconnait une réticence initiale à apprécier cette BD, toutefois suivie d'une émotion plus grande à la relecture de l'ouvrage, se terminant avec la conclusion que la dessinatrice avait bien compris l'écrivaine. C'est ainsi une adaptation littéraire qui semble réussie.
Je ne suis pas sûr que
L'arbre nu (le roman graphique) soit un chef d'œuvre, car mon premier sentiment (en refermant le livre) était un peu mitigé, mais c'est sans aucun doute une BD d'une très haute tenue et digne d'éloges. Peut-être que mon ignorance de la vie coréenne m'a empêché d'apprécier certains détails du livre ?
C'est en tout cas une BD qui rencontre un véritable succès critique, et d'une façon méritée. Peut-être gagne t-elle au fond à être relue ?
C'est en tout cas un roman graphique que l'on peut recommander.