Raymond a écrit:Excellent, Jacky-Charles ! J'ai particulièrement apprécié ton résumé de la Guerre des Gaules. Cet album semble confirmer par ailleurs qu'Alix appartient bien à une tribu des Eduens.
LES EDUENS
(HÆDUI)En fait, ce sont les Eduens qui ont appelé César à la rescousse, quand Arioviste et ses Suèves occupaient une partie de leur territoire ainsi que celui des Séquanes. C’était Celtill, le père de Vercingétorix, roi des Arvernes (confédération rivale de celle des Eduens) qui avait invité les Suèves à venir ravager et occuper le territoire des Eduens.
La Guerre des Gaules, je le rappelle, fut avant tout une guerre civile entre Gaulois, avant d’être une guerre de conquête par Rome. Et même une double guerre civile car non seulement les tribus rivales se battaient entre elles, mais en leur sein-même des factions politiques s’affrontaient pour le pouvoir : les monarchistes (populistes) contre les républicains (oligarques). Les rois s’appuyaient sur la plèbe gauloise. Contre eux, les nobles, les chefs des familles les plus puissantes, voulaient chacun une part de pouvoir en partage.
Chez les Arvernes, la faction républicaine prédominait : le roi Celtill avait été déposé et brûlé vif. Son cousin Gobanicio exerçait la magistrature suprême : vergobret (consul). Le fils de Celtill, Vercingétorix avait pris le large avec ses partisans et pris du service dans l’armée de César, si l’on en croit Dion Cassius (César lui-même ne parle pas de cette alliance).
Chez les Eduens, le druide Diviciacos représentait semble-t-il la tendance républicaine. Mais son frère Dumnorix avait concu une alliance avec Orgétorix roi des Helvètes (dont il avait épousé la fille). Peut-être bien pour chasser les Suèves (mais je n’en suis pas trop sûr).
Dix-sept années durant, Diviciacos plaida la cause éduenne auprès du Sénat romain, afin d’obtenir l’aide des légions pour chasser les Suèves. Quand César se vit offrir le proconsulat des Gaules cisalpine et transalpine (la
provincia) et de l’Illyrie, Diviciacos trouva en lui une oreille bienveillante. César rêvait d’agrandir le territoire romain
(ager romanus). En 58 et en deux temps trois mouvements, il liquida les Helvètes, puis les Suèves qu’il réexpédia chez eux à grands coups de
caligæ au fond des braies.
Ce qui était délicat, c’est qu’aussi bien les Eduens que les Suèves bénéficiaient de la qualité d’ « amis et alliés du Peuple Romain » depuis leur aide apportée lors de précédents conflits (contre les Allobroges(*), ou contre les Helvètes(**)). En prenant parti dans cette guerre sans y être expressément invité par le Sénat, César menait une « guerre illégale », ce que ne manquèrent pas d’invoquer contre lui ses ennemis politiques, Caton-le-Jeune (futur « Caton d’Utique ») et Cicéron. En 56, César resserra son alliance avec son gendre Pompée et son sponsor Crassus. Le premier triumvirat !
[
Cn. Pompeius Magnus
Petite digression pour les Alixophiles qui n’auraient pas tout capté : Pompée, de six ans l’aîné de César, était sous les enseignes depuis qu’il avait pris la toge virile (à 17 ans), servant d’abord sous son père Cn. Pompeius Strabo dans la guerre des alliés (89), puis dans la guerre civile contre les partisans de Marius (83-81). De 77 à 71, il combattit en Espagne les derniers marianistes de Sertorius. Sertorius mort assassiné, il revint en Italie parachever la défaite de Spartacus (71). En 67, il éradiqua la piraterie (***)… grâce à un commandement exceptionnel que lui avait obtenu un petit avocat nommé Jules César, aidé par un tribun de la plèbe nommé T. Labienus.
Enfin, conduisant ses légions jusqu’au Caucase, il avait combattu Mithridate en Orient (66-62), prenant au passage Jérusalem (63).
Toute sa vie, Pompée aura été un chef de guerre, l’homme des situations désespérées, ce sans jamais avoir suivi le
cursus honorum obligé des jeunes aristocrates romains (
cursus honorum que le désargenté César avait, lui, scrupuleusement suivi, en dépit de la persécution qu’il eut à subir de la part de Sylla au temps des proscriptions). Ce ne fut que par un coup de force et sous la menace de ses légions campant aux portes de Rome, que Pompée obtint le consulat en 70, conjointement avec Crassus, au lendemain de leur victoire sur les hordes de Spartacus.
Voyez ici : http://www.peplums.info/pep39k.htm#21.
Sa bio par Eric Teyssier : http://www.peplums.info/pep00fronta7bis.htm#12.
Et Pompée vu par le cinéma, la BD etc. : http://www.peplums.info/pep00fronta7bis.htm#13.
Bruno Martin, fils de JM, a dans
Casemate argué que quand son père a créé Alix, on ne savait pas grand-chose de Pompée. S’il entend par-là une bio en français, il n’a sans doute pas tort. La grosse brique du R.P. J. Van Ooteghem s.j.,
Pompée le Grand, bâtisseur d’Empire, a été publiée par l’Académie royale de Belgique en 1954. Ce qui ne veut pas dire qu’on n’en trouvait pas trace dans l’abondante bibliographie de César ! (Chronologie de Jules César : http://www.peplums.info/pep39i.htm#15v ).]
Mais revenons à nos Eduens. A partir de son expédition en Bretagne (54), César dans ses
Commentaires ne parle plus de Diviciacos. Marc Jailloux, qui dans BRITANNIA l’a rebaptisé Divicos, donne une explication plausible de sa mort (c’est du reste en prévision de cette expédition que César avait aussi liquidé son frère Dumnorix qui se faisait tirer l’oreille).
Qu’Alix soit un Eduen, comme le suggère Raymond, me semble une évidence. D’abord parce que dans la vision scolaire de Jacques Martin, les Eduens étaient les alliés naturels des Romains. Si vous examinez le déroulement de la conquête par César, vous remarquerez que le Grand Jules suit l’axe naturel de pénétration Rhône-Rhin des commerçants étrusques/grecs/romains (cf. LES BARBARES). Autrement dit, il traverse les territoires les plus favorables aux Romains (Eduens, Trévires, Rêmes). Il décrète alors que les territoires à l’Est du Rhin sont habités par les Germains hostiles - or il y a de nombreux Germains à l’Ouest aussi, notamment parmi les Nerviens ! -, puis amorce une boucle vers l’Ouest, l’Armorique, la (Grande-)Bretagne, l’Aquitaine.
UNE LEGION GAULOISE ?
Parmi les légats de César, outre Labienus (l’homme de Pompée) et Quintus Cicero (le frère du versatile Cicéron), il y a encore Publius Crassus, fils cadet du triumvir. César nous le montre comme un général de cavalerie. En 54, Publius quitte César pour rentrer à Rome, où il vient d’être admis dans le collège des augures (ce qui ne lui servira pas à grand-chose, puisqu’il ne vit pas ce qui l’attendait) et se joignit à son père qui partait en expédition contre les Parthes. On sait comment cela finit : en juin 53, c’est le désastre de Carrhæ (résumé détaillé ici : https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_Carrhes). Les Parthes fichent sa tête au bout d’une pique, qu’ils promènent sous le nez de son père lequel ne fera pas long feu lui non plus.
Exit Publius. Entrit Alix. Plutarque nous apprend, dans sa
Vie de Crassus, que son fils Publius avait amené une légion (?) de mercenaires gaulois combattant selon le principe de la « cavalerie mixte » : soit 1.000 cavaliers encadrés par 3.000 fantassins légers courant à côté. En ces temps où l’étrier n’existait pas, c’était une formule intéressante que d’encadrer un homme monté par des troupes légères dont la spécialité consistait, notamment, à éventrer les canassons ennemis. D’où avait-il recruté ces hommes ? Il n’est pas difficile d’imaginer qu’officier de cavalerie de César, il avait débauché une partie de ses cavaliers éduens ou trévires… Dont ce chef Astorix, père de notre héros…
Quand JM parle d’une « légion de cavalerie gauloise », je suis perplexe, à la limite irrité. D’abord parce que le terme « légion », inapproprié, n’appartient qu’à l’infanterie citoyenne. Une
legio est une « levée »
(legere) de citoyens. La cavalerie légionnaire est appelée « aile »
alæ. Les cavaliers gaulois de Publius Crassus sont plutôt un corps d’auxiliaires, c’est-à-dire des mercenaires ou des alliés.
Mais, outre ses quatre ou six légions proconsulaires, fournies par le Sénat, César a levé à ses frais des légions supplémentaires dans les provinces placées sous son autorité. Je ne sais trop par quelle astuce juridique, car ces soldats gaulois-romains, de condition libre s’entend, n’avaient probablement pas la qualité de citoyens (mais on avait dû la leur promettre). Au long de leur histoire, on a vu, dans des situations d’urgence, les Romains enrôler même des esclaves mais toujours en les affranchissant préalablement.
A ce sujet, rappelons que César lui-même leva une légion de mercenaires gaulois, dite « des Alouettes »
(Alaudæ). Suétone précise que les Alouettes avaient été recrutées en Transalpine et que César leur avait promis la citoyenneté (Suét.,
Cés., XXIV). Il conviendrait donc de la distinguer des autres légions de citoyens. En dépit de l’exceptionnelle bravoure dont elle témoigna notamment à Thapsus, contre les éléphants de Juba, elle demeura longtemps la « Légion des Alouettes », sans numéro de matricule. Ce ne sera que beaucoup plus tard qu’elle devint la « Leg. V Alaudæ » (fin 47). Elle fut envoyée sur le Rhin, à
Castra Vetera (Xanten) où les Bataves l’exterminèrent à moitié. Pour avoir prêté allégeance au Batave Civilis, elle fut vraisemblablement dissoute par Vespasien en 70-71. François Gilbert a tenté d’en reconstituer l’histoire dans son étude :
« Les Alouettes ». Histoire de la légion gauloise de César, Economica, 2007.
GLOTZ
On discute encore pour identifier l’ouvrage de Goetz ou Glotz acheté sur un quai de Seine (« tout un traité »,
dixit Martin qui a le sens de la formule), où le père d’Alix trouva l’amorce de la saga.
« Un livre écrit en 1880 par le professeur Glotz - un des plus grands spécialistes de l'Antiquité. Cet épais bouquin m'a permis de découvrir qu'alors que César réussissait la conquête des Gaules, une légion de mercenaires gaulois combattait au côté de Crassus en Syrie », déclare-t-il en 1987 dans
Vécu, n° 23 « L'Histoire c'est aussi l'Aventure ». Et d’ajouter on n’a
« jamais réussi à savoir ce qu'était devenue cette légion de Gaulois ». En ce qui concerne Gustave Glotz (1862-1935), c’était plutôt un helléniste (https://fr.wikipedia.org/wiki/Gustave_Glotz). Je ne vois pas trop où il aurait pu parler de la bataille de Carrhæ. D’autant qu’en 1880 il ne devait avoir que 18 ans ; mais à mon avis la mémoire de Jacques Martin est sujette à caution… De lui, je ne possède que
La Cité grecque (1928), en édition de poche. Un classique !
LA LEGION PERDUE
Comme disait Wellington,
« Après une bataille perdue, je ne connais rien de plus triste qu’une bataille gagnée ». Le sort des vaincus nous interpelle. Désarmés, humiliés, à la discrétion de vainqueurs libérant leur haine… Je ne sais pour les Gaulois, mais peut-être une partie des Romains capturés par les Parthes seraient devenus mercenaires aux frontières de la Chine. Il y a là-bas un village, où encore aujourd’hui vivraient leurs descendants (Zhelaizhai, dans le couloir du Hexi, sur la Grande Muraille : http://www.lexpress.fr/actualite/monde/asie/la-legion-perdue-de-l-empire-du-milieu_497258.html /
http://made-in-rome.com/liquian-citta-romana-in-cina/?lang=fr /
http://www.nonfiction.fr/article-7031-des_romains_en_chine.htm /
https://fr.wikipedia.org/wiki/Relations_entre_l%27Empire_romain_et_la_Chine ). Un scénariste inspiré pourrait y puiser le thème d’un remake de L’EMPEREUR DE CHINE, mais par voie terrestre. La Route de la Soie…
Je conclus en précisant que le questeur de Crassus, Cassius Longinus (futur meurtrier de César) réussit à sauver une partie de l’armée et à la ramener saine et sauve en Syrie. 10.000 h, je crois (de mémoire !). Il est évidemment permis d’y raccrocher l’argument de IORIX LE GRAND.
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(*) Avant 138 (sources grecques). Peut-être dès le IIIe s.
Selon Florus, les Romains auraient aidé les Éduens en écrasant les Allobroges et les Arvernes au confluent du Rhône et de l'Isère en 121 av. n.E.
(**) Le Tigurin (Helvète) Divico a vaincu Lucius Cassius à la bataille d'Agen (−107) et fait passer ses hommes sous le joug.
(***) La réponse de Rome à l’agression de son port d’Ostie, par une flotte de pirates.