Je suis complètement d'accord avec Tarmac !
Alix Senator est bien une nouvelle série qui doit être jugée pour elle même. Elle reprend certes les personnages de Jacques Martin, mais elle les utilise à sa manière, dans un autre style narratif et dans un nouvel modèle graphique. On ne peut pas se contenter de juger cette BD en la comparant à la série d'origine.
Ceci dit, j'ai enfin pu "aller aux BD" à Lausanne et lire en entier cette histoire. Précisons que j'ai acheté "l'édition de luxe" (mais sans la jaquette
) car elle comporte un intelligent dossier consacré à l'empereur Auguste, et ceci complète heureusement l'album. Octave/Auguste est en effet le personnage central de cette histoire.
Peut être faut-il rappeler ici que, même s'il est considéré aujourd'hui comme le premier des empereurs romains, Auguste a fait tout ce qu'il pouvait pendant "son règne" pour qu'on ne l'appelle pas ainsi. Il a accumulé avidement tous les titres du pouvoir républicain, devenant successivement consul (réélu chaque année), princeps senatus, "augustus" (terme signifiant "sacré"), puis Pontifex Maximus en -12 av. JC, mais il ne voulait surtout pas être "imperator". Il monopolisait tous les pouvoirs, mais ne prétendait pas à un autre titre que celui de premier de tous les romains. Toutes les institutions républicaines survivaient sous son règne, même si elles étaient vidées de toute leur substance.
Alix senator nous révèle ainsi la vie et le monde d'Auguste plus de 35 ans après l'aventure du
Tombeau Etrusque, lorsque l'héritier de César avait accompagné Alix et Enak dans leur combat contre les molochistes. Valérie Mangin construit malicieusement son récit autour d'un événement inventé par Jacques Martin. Rappelez-vous l'anecdote de l'aigle, cet oiseau qui symbolise la puissance de Jupiter, qui a désigné Octave comme favori des Dieux et comme futur souverain du monde.
Les aigles réapparaissent dans
Alix senator mais ils sont cette fois moins bien disposés envers Auguste. Après l'avoir presque désigné jadis comme empereur, voici que les aigles semblent vouloir se venger. Ils tuent plusieurs de ses amis et n'hésitent pas à l'attaquer dans son palais. Mais quel affront Octave/Auguste a t-il bien pu leur faire ? ?
Le récit tourne autour de cette énigme et, sur ordre d'Auguste, Alix est désigné pour enquêter sur ce mystère. Il est sénateur, il a 50 ans, et il n'a plus l'âge de faire de belles cavalcades. Il suit son propre rythme et se promène calmement à travers Rome. Il cherche surtout à savoir qui a pu dresser des aigles pour en faire de redoutables exécutants. Alix se transforme ainsi en une sorte "d'inspecteur Maigret", dont il reprend parfois certaines attitudes.
Heureusement, Alix a un enfant qui se nomme Titus, et ce dernier n'hésite pas (en compagnie de Khephren, fils d'Enak) à se lancer dans des expéditions imprudentes. Les deux adolescents vont un peu jouer le rôle de détonateurs dans ce récit qui baigne dans une ambiance grisâtre, et dont le rythme est plutôt lent.
Le dessin de Thierry Démarez illustre avec finesse cette aventure policière. Les personnages sont correctement représentés, même s'ils me sont apparus parfois un peu statiques. En fait, le travail du dessinateur se distingue avant tout par la qualité de ses décors. Je suppose que Démarez s'est appuyé sur l'ouvrage de Gilles Chaillet, car il n'hésite pas à présenter de nombreuses vues générales sur la Rome impériale. Parfois, il choisit des paysages plus spectaculaires, qui créent une belle ambiance.
Dans l'ensemble, cet album est dominé par des couleurs un peu froides et bleutées, et cela m'a d'abord déplu. On est loin des teintes chaudes et contrastées des BD martiniennes, et
Alix senator semble véritablement appartenir à un autre monde. En y réfléchissant, toutefois, ces teintes créent une ambiance assez juste. Elles correspondent en tout cas assez bien à ce monde de quinquagénaires qui sont arrivés au sommet de l'échelle sociale, et qui semblent un peu privés de sève. Alix affiche le plus souvent un visage pensif et sérieux, voir même un peu triste, et il n'est plus le héros qui est prêt à conquérir le monde.
Tel est cet album qui se consacre à raconter la vie d'un Alix vieillissant, et qui réussit à le faire avec subtilité. Valérie Mangin et Thierry Démarez ne reprennent pas le style (ni le monde) de Jacques Martin, et préfèrent nous présenter Alix à leur manière, en choisissant une autre période de sa vie. Cette histoire doit certainement être plus intéressante en deuxième lecture qu'à la première, car il faut parfois deviner l'intrigue derrière une suite de scènes qui ne sont pas toujours explicites. Par ailleurs, elle contient de nombreuses allusions historiques précises, qui ne sont pas toujours immédiatement visibles, et je suis sûr que la relecture permet de mieux profiter de tous ces petits détails.
Au total, cette aventure d'un Alix vieillissant ne m'a pas entousiasmé, mais elle ne m'a pas non plus déçu. Elle complète en fait avec intelligence la "série mère", et elle enrichit le personnage d'Alix qui prend une dimension plus humaine. L'histoire n'est pas complètement terminée à la fin de l'album et je me réjouis d'en découvrir la suite.