La case mémorable

C'est un univers en effet admirable    et qui regorge de cases magiques toutes aussi mémorables les unes que les autres, comme celle-ci dont la technique relève du même principe dans une planche comportant plusieurs vues à cases multiples. Me fascine en elle cette fabuleuse promenade des lits aux très longues jambes qui ne semblent annoncer les éléphants et le cheval cabré de La tentation de Saint Antoine de Salvador Dali.

Me permettrez-vous chers amis après ces différentes cases mémorables dont certaine si douces et émouvantes de revenir un peu en arrière du côté des cases mémorables par le fait qu'elles accompagnent des fins malheureuses ?

Celle qui m'a le plus touché dans toute ma vie de lecteur est celle qui clôt le cycle de "L'or des confédérés" dans Ballade pour un cercueil. Dans cet épisode, pour moi le plus noir de la série, (même si dans le suivant Le Hors la loi, Blueberry sera bien malgré lui impliqué dans un complot visant à assassiner président Grant), le turbulent lieutenant, après avoir été expédié depuis deux albums en mission secrète vers le Mexique, afin d'en rapporter le trésor caché de Confédérés, revient bredouille. En effet, au terme d'un triptyque haletant dont ce dernier volume constitue le dénouement crépusculaire, il se voit accusé d'avoir détourné à son profit le trésor qu'il était censé rapatrier, alors que l'or des Confédérés semble avoir été dilapidé jusqu'au dernier dollar bien longtemps auparavant. Le lecteur ne peut deviner que bien des albums plus tard, cette situation s'inversera soudain.

Blueberry est en conséquence dégradé et condamné à trente ans de pénitencier. Comble du malheur, ses deux vieux camarades d'aventures, Jimmy Mc Clure et Red Neck l'ont renié, lassé par les vicissitudes innombrables et toute plus sombres les unes que les autres de cet épisode, tandis que Chihuahua Pearl le voue aux gémonies et que le commandant Vigo, ultime essoir de prouver son innocence le trahit sans vergogne.

Jamais je n'avais lu un album de bandde dessinée aussi désespéré que celui-ci. Jamais je n'avais vu se conclure une aventure sur une case, magnifique d'ailleurs, marquant une telle défaite dans un lugubre paysage hivernal au ciel sinistrement jaune. Je précise que j'ai lu cet album à douze ans, dès sa sortie en 1974 et je ne me souviens pas avoir été autant déchiré dans toute ma vie de lecteur de bande dessinée, au point où la chute de Blueberry (définitivement déchu de son grade de lieutenant de sorte que l'intitulé général de ses aventures perdait soudain sa raison d'être), m'a ému aux larmes.

L'enfant amateur de Tintin, des premiers Alix déjà découverts depuis peu, d'Astérix, Lucky Luke et Spirou, ne pouvait comprendre que son héros soit ainsi jeté dans l'abîme par ses créateurs et cette fin terrible m'a marqué comme aucune autre depuis. La défiguration d'Angel Face à la fin de l'album éponyme, que Raymond mentionnait récemment dans ce sujet, ma comme lui terrifié, mais elle ne m'a pas donné le même sentiment d'affliction car Angel Face est un tueur sans foi ni loi, alors que le sort de Blueberry au terme de Ballade pour un cercueil frappe injustement un homme innocent du crime qu'on lui reproche et qui plus est le héros de la série, héros qui, même s'il est atypique et a tout des personnages picaresques qui franchissent allègrement certaines lignes rouges quand les circonstances l'exigent, n'en est pas moins fondamentalement loyal jusque dans sa capacité au sacrifice à une cause qui au fond ne le concerne pas.

Cette case est en effet très belle et on peut s'y promener longtemps, y revenir, découvrir chaque fois des détails nouveaux ou des relations nouvelles entre ses éléments. je ne connaissais pas Dan Dare. Voilà qui me donne envie de le découvrir !

J'adore Chris Ware, la froideur de son dessin et cette case en particulier dont tu as bien fait de montrer qu'elle appartient à un étonnant diptyque dont ton interprétation est passionnante !

Puisque tu évoques la question de Superman et, à travers le  traitement très singulier que Chris Ware donne de son mythe, celui des super héros, je ne peux résister au plaisir de citer Batman. Tu m'en donnes l'occasion alors que j'y songeais déjà depuis un certain temps sans avoir encore pris le temps de ressortir de la bibliothèque où elle sont rangée, ma collection de DC Comics.

Voici donc une case extraite d'une des plus extraordinaires aventures de Batman appartenant au cycle DC Renaissance publié dans les années 2010. Il s'agit de La cour des hiboux, (2011) qui raconte une étonnante histoire de société secrète liée à la généalogie de Gotham et entraîne Batman dans le repaire des hiboux Dessinée par Greg Capullo, cette histoire écrite par Scott Snyder, nous entraîne dans un monde à demi onirique - avec au coeur du récit un labyrinthe que Batman parcourt à ses risques et périls et que le dessinateur met en scène de façon spectaculaire et symbolique en construisant les cases de façon à forcer le lecteur à faire tourner l'album entre ses mains au fur et à mesure de sa progression.

La case que j'ai choisie se situe juste au seuil de cette séquence initiatique en dédale. Elle est à elle seule un petit chef d'oeuvre de genre qui joue habilement en un décors et une présence, des emblèmes fondamentaux du mythe de Batman, en l'inscrivant dans une esthétique expressionniste qui n'est pas sans évoquer le cinéma allemand des années 1920-1930, tout autant que ses déclinaisons américaines ultérieures. Batman remonte un égout et le courant de la rivière souterraine qui traverse celui-ci, à la lumière d'un bâtonnet incandescent qui est l'équivalent contemporain d'une bougie, projetant son ombre célèbre et démesurée sur les moellons, cheminant ainsi symboliquement vers le passé et le secret qui nichent dans le repaire des hiboux.

Inscrite dans sa planche mystérieuse à souhait et créant une architecture annonciatrice du labyrinthe des pages suivantes, cette case réjouit le lecteur de savoir si habilement citer, entrelacer les sources  de son esthétique et renouveler le monde batmanien de sa propre lecture. Elle donne un absolu plaisir fait de réminiscences et de recréation qui donne à la fois de voyager en pays connu et d'explorer un monde inédit. Parfait emblème de l'inconscient, elle témoigne de l'enrichissement sans égal que la figure de  Batman a connue dans la relecture des albums parus depuis 2010.

J'ajoute en bonus, cette photographie de la Batmobile 1966 que je conserve dans l'une de mes bibliothèques, assez marquée par le temps - mais après tout, toutes les péripéties connues par Batman justifient que son célèbre véhicule en porte les stigmates !

Eh oui ! Tous les lecteurs dans un premier temps s'étonnent ! Puis ils comprennent qu'il faut renverser l'album de côté puis à nouveau le faire basculer selon un mouvement de rotation progressif jusqu'à retrouver au terme de cette séquence le sens habituel de la lecture. Cela donne un prodigieux parcours visuel et narratif. Là, ce sont carrément des planches mémorables ! Leurs, cases enchâssées les uns dans les autres afin de former le dédale où erre Batman, ne forment finalement plus qu'une seule case à géométries variables !

Encore un univers que je ne connaissais pas et que tu me fais découvrir. Il me charme à travers ces deux images si douces et raffinées dont cette rivière dans sa délicate luminosité de find 'après-midi, à une heure qui m'est particulièrement chère.

J'aime beaucoup la maison de la taupe qui des plus chaleureuses. Je vois que la taupe prend un bain de pieds, détail aussi amusant qu'inattendu. La cheminée de ce salon est très belle et l'on découvre à ses pieds que la taupe fait sécher ses vêtements. Qu'at--il bien pu arriver ? Sa bibliothèque me donne envie de lui rendre visite et de lui demander l'autorisation de parcourir les rayonnages afin de dénicher quelque passionnant volume inconnu.