Auteur de l’article : Diego Jiménez
Il s’agit d’un des derniers tomes d’Alix entièrement réalisé par Jacques Martin. Publié en 1983, son succès fut immédiat.
La trame :
Je n’en dirai que quelques mots pour remettre les évènements dans leur contexte et parce que je n’entends dispenser le lecteur de cet article d’avoir à faire l’acquisition de cet album par un résumé par trop exhaustif.
Le contexte donc. L’action se situe chronologiquement après La Tour de Babel. Probablement en cherchant un bateau marchand pour rejoindre Rome, Alix et Enak rencontrent un grec, Mardokios, qui se rend en Chine où son père Aristène, précepteur du prince héritier, le presse de le rejoindre. Alix et Enak s’embarquent donc pour la Chine et ainsi se clôt la mise en contexte de l’album.
Les lieux :
On voyage finalement assez peu dans cet album très orienté sur les coutumes chinoises. Cependant nos héros ne sont pas tout à fait casaniers comme vous allez le constater.
L’Inde
L’histoire commence en Inde dans la ville d’Elephanta, petite île de 5 km² qui est située aujourd’hui dans la baie de Bombay et surtout connue pour ses grottes où l’on a retrouvé une statue de Shiva tricéphale.
La ville dans laquelle se trouvent nos personnages est magnifiquement restituée, l’ambiance commerçante est particulièrement sensible dans les nombreuses scènes d’échanges de marchandises qui jalonnent les quais d’embarquement.
Les gens ont l’air si chaleureux et l’ambiance si conviviale que l’on regretterait presque de ne pas s’y attarder un peu plus avant de rejoindre le climat humide des plaines de Chine. Je note toutefois une imprécision de la part de Jacques Martin : il dit en introduction qu’Alexandre le Grand est passé à côté de l’Inde. Ce n’est pas tout à fait vrai : il est passé à côté de la
péninsule indienne car ses hommes n’ont pas voulu traverser l’Indus avec lui mais il se trouvait bien dans une aire culturelle indienne, ses historiographes font même parfois mention des ascètes et du titre de maradjah. Toujours est-il que nos amis s’embarquent sur le bateau chinois « L’aigle de Feu » dont le capitaine Da Tchao qui parle grec a pour mission de convoyer le prince Wou Tchi en Chine.
L’Indochine
Je ne fais pas référence à la province coloniale constituée par la France au XIXe siècle mais à la péninsule indochinoise au sens géographique.
Le bateau de nos amis s’arrête effectivement dans une province dont il est dit que le gouverneur est khmer, ce qui est une ethnie du Cambodge actuel. Le rendu des décors indochinois est très beau mais limité à quelques vignettes. Malgré l’état d’encombrement de celles-ci, certains détails rappellent le temple d’Angkor Watt.
La route de la soie
Le bateau chinois suit la route de la soie en passant probablement par Pegu puis l’île de Sumatra à moins qu’il n’ait doublé le détroit de Malacca (« découvert » par les Portugais au début du XVe siècle). Cette route présente surtout l’intérêt de permettre la mise en scène de l’assaut des pirates qui assaillent le bateau. J’en profite pour souligner que la Chine est essentiellement passive dans le commerce international qui se développe à cette époque.
L’expansion maritime ne fit jamais partie de ses priorités. Pourtant au début du XVe siècle le navigateur Zeng He explore les côtes d’Afrique et remonte jusqu’en Egypte avec une flotte de vaisseaux pouvant atteindre les 55 mètres de large. Quelques orientalistes le créditent de la découverte de l’Amérique… Mais ces découvertes ne suscitent aucun intérêt de la part du gouvernement qui à partir de 1433 ferme les frontières et condamne la Chine à l’autarcie.
La Chine
Nous y voilà enfin. Comme je l’ai dit, le bateau qui convoie Alix et Enak a sans doute doublé le détroit de Malacca pour aller accoster dans le principal port de la Chine à cette époque : Lo Yang. A cette époque la capitale de la Chine est Chang’an ou Xi’an. Lo Yang deviendra cependant capitale impériale en 23 ap J.C sous la dynastie des Hans postérieurs.
Les ports du versant occidental du pays (Canton, Hong Kong, Macao) n’ont pas encore été fondés ou mis en valeur à cette époque. Nos amis s’attardent assez peu dans la capitale impériale et prennent très vite la direction de la résidence impériale d’été.
Là je vais ouvrir une parenthèse historique assez longue sur la Chine.
Ce pays est sans doute le premier à être unifié territorialement, administrativement et culturellement dans l’histoire de l’humanité. Il voit même l’émergence de la première forme viable d’Etat. La première unification de la Chine intervient sous les Zhou. A leur règne succède une période assez anarchique qui est l’équivalent du Moyen Age pour l’Europe, celle des « Royaumes combattants ». Le territoire chinois est divisé en sept royaumes de taille variable qui se font la guerre pendant quelques centaines d’années jusqu’à ce que l’un d’eux, le royaume Qin, prenne le dessus et les unifie tous en 221 av J.C. L’Europe connaît à peu près la même situation jusqu’à l’avènement de Charlemagne en 800 ap J.C qui restaure éphémèrement l’empire romain. L’unification de la Chine a lieu sous l’empereur Shi Huang Di qui est surtout connu pour les milliers de soldats de pierre reproduits en grandeur nature qui peuplent sa tombe. L’empire Qin donne son nom à la « Chine » qui le conservera. Une dizaine d’années plus tard le fils du premier empereur est renversé par une révolte des grands seigneurs précédemment vaincus et le pays sombre dans l’anarchie avant qu’un général d’origine très modeste, Gaotsu, ne parvienne à l’emporter sur l’ensemble des seigneurs de la guerre et ne se proclame empereur. Il fonde alors la dynastie des « Hans antérieurs » qui se perpétue jusqu’au 1er siècle de notre ère, s’interrompt puis est restaurée sous le nom de « Hans postérieurs ». Je reviendrai plus tard sur le modèle politique de la Chine à cette époque et sa portée totalitaire. Toujours est-il que c’est sous Gaotsu, au début simple soldat de fortune, que la résidence des empereurs est déplacée vers la demeure d’été où se déroule l’essentiel de l’action de « l’empereur de Chine ».
Bon, il y aurait des pages à écrire sur la richesse des décors et la beauté des reconstitutions de la cour des Hans, c’est un véritable chef d’oeuvre car tout y est : les kiosques situés au bord du fleuve, les bateaux à tête de dragon, les statues de pierre dans les jardins etc. Je vous renvoie aux quelques vignettes que j’ai ajoutées en illustration qui valent mieux qu’un long discours.
Les monts de la Sérénité
Bon, ce sont des montagnes partiellement immergées mais à part ça ? Alix est chargé par le prince Lou Klein d’aller vérifier que l’entreprise de peinture en rouge de ces montagnes qu’il a commandée à son père a commencé.
Seul un lieu particulier est intéressant dans ces montagnes : la grotte où se réfugient Alix et Wiong. Elle est ornée d’un certain nombre de gigantesques statues taillées à même la roche et qui font partie de la mythologie bouddhiste.
Je rappelle que le bouddhisme n’est pas seulement une sagesse ou un dogme de la conciliation de l’âme et du corps comme on a trop souvent tendance à l’oublier. C’est aussi une religion avec ses mythes, ses saints, ses démons et ses diables. Siddhârta Guatama, le bouddha historique, avait sans doute rejeté les dieux de l’hindouisme et le folklore qui allait avec mais cet exemple ne fut guère suivi et au fur et à mesure, son personnage fut divinisé jusqu’à ce que sa figure religieuse s’éloigne durablement du personnage historique. Il y eut par la suite un certain nombre de personnages semi légendaires qui atteignirent un certain stade de l’éveil et la mythologie qui se forma autour d’eux est à l’origine de l’évolution sectaire du bouddhisme dont le lamaïsme est la dernière réminiscence. Je ne sais pas exactement ce que représentent les statues de la grotte en question. Ce peuvent être aussi bien des divinités du tonnerre que des personnages symboliques comme les deux géants représentant le Yin et le Yan ou même le Rasetsu, personnage cannibale monstrueux de la mythologie bouddhique. En tout cas ces statues inspirent beaucoup de peur à l’ouvrier que Wiong et Alix ont sauvé.
Les personnages :
Alix : Toujours aussi courageux, il est véritablement magnifié dans cet album bien que l’extraordinaire bravoure du batelier Wiong lui fasse quelque peu d’ombre. Comme toujours, il s’est embarqué dans une histoire dont il ne va pas sortir indemne et a eu tort de se mêler aux grands de ce monde. Comme très souvent dans cette série, il est animé par le désir constant de sauver sa vie et celle d’Enak, ce qui l’amène malgré lui à adopter une attitude d’insoumission voire de rébellion à l’égard du pouvoir. Pour résumer rapidement, il sauve in extremis la vie du prince Wu Tchi, ce qui ne lui sera finalement pas si profitable, puis devient un intime du prince héritier Lou Klein qui se meurt lentement. Il est dès lors prisonnier d’un jeu qui le dépasse et finira par le rattraper. Sa générosité naturelle est encore une fois payée en retour par un poète errant qui l’aide à sauver Enak et le paiera de sa vie. Durant son séjour en Chine, il frôlera la mort plusieurs fois pour avoir cru naïvement qu’en accomplissant la volonté d’un prince agonisant il pourrait revoir Rome et ne devra finalement la vie sauve qu’à Wiong. Il repartira de Chine le coeur brisé, ayant pris conscience de la cruauté des puissants et de leur mépris pour la vie humaine. On apprendra dans l’une des lettres de « l’Odyssée d’Alix » qu’il n’est plus l’ami de Wu Tchi et a longtemps été tenté de se débarrasser de l’épée d’or que lui avait offert ce dernier.
Enak : De temps à autre, il joue le rôle de faire valoir d’Alix ou celui de victime innocente. C’est un peu le cas ici mais pas pendant toute l’histoire. Dans la première partie de la trame, ce personnage semble poursuivre l’évolution psychologique entamée dans « Le Prince du Nil » et « L’Enfant Grec ». Il revendique ainsi son statut de prince d’Egypte devant Alix et Mardokios. Par la suite, il manque de respect à l’empereur en prenant la parole sans y avoir été autorisé. La colère qui boue en lui semble très violente et prête à exploser à tout moment : lorsque Alix est ramené pieds et poings liés il n’écoute que son coeur et veut se précipiter aux devants de l’empereur pour lui dire sa façon de penser mais le pauvre Lou Klein l’en empêche et en fera les frais…
En le bousculant, Enak se rend involontairement responsable de sa mort et pour cette raison restera près de lui. Il est également présent lorsque Lou Klein pense pouvoir saisir les fruits de la vie éternelle et tente de l’y aider. Il est ensuite la plupart du temps inconscient, empoisonné avec la plupart des serviteurs du prince. Il est rendu responsable par l’empereur de l’ensemble des fautes cumulées de Mardokios, Aristène, Alix et Wu Tchi et ne devra finalement la vie qu’à l’intervention de ce dernier.
Mardokios : Fils d’Aristène, précepteur du prince Lou Klein, il est grec, probablement originaire d’Athènes car c’est du « Lycée » fondé par Aristote que procède l’intelligentsia grecque de cette époque. Personnage intéressant dans la première partie de la trame où il montre un réel attachement aux valeurs d’égalité sociale propres aux cités grecques, il devient ensuite un personnage très secondaire. Craignant sans doute que Alix et Enak ne veuillent prendre la place de son père, il tente de passer un marché avec le prince Wu Tchi de façon à pouvoir quitter la Chine. Il sera assassiné avec son père par les gardes du prince de façon à créer une diversion. Il s’est allié au mauvais prince et a eu moins de chance qu’Alix en
somme.
Wu Tchi : Prince chinois d’un abord très froid dans un premier temps. Il rencontre Alix et Enak en Inde. Il dit être en voyage et avoir visité Rome où il n’a pu rencontrer César. Il s’agit bien sûr d’une affirmation fantaisiste : la première ambassade asiatique (Huns et Mongols mis à part) qui pose les pieds en Europe le fait sous Louis XIV, après deux ans de voyage…
Toujours est-il qu’il parle très bien grec et peut être considéré à un moment donné comme l’ami d’Alix, Enak et Mardokios. Les véritables motivations de son départ en « voyage » apparaissent plus tard. Il s’est vraisemblablement rebellé contre l’empereur par le passé puis a pris le chemin de l’exil avec une poignée de fidèles. Il est probable que son plan ait été dès le départ de s’emparer du pouvoir qui s’est d’ailleurs très dangereusement fragilisé à cette époque du fait des révoltes paysannes. Alix, Enak et à plus forte raison Aristène et Mardokios seront sacrifiés à son ambition, créant une diversion qui lui permettra de s’enfuir nuitamment du palais puis ayant rassemblé ses partisans d’obtenir de l’empereur le grade de général en chef.
Compte tenu du caractère très militarisé de l’empire des Hans, il est dès lors le véritable maître de la Chine aussi son geste d’exécuter Wiong ne résulte pas d’un ordre impérial. Il veut sans doute simplement faire comprendre à Alix que ce qui est excusable de la part d’un étranger qui lui a sauvé la vie et ne reviendra plus jamais, ne l’est pas de la part d’un chinois.
Le prince Lou Klein : Un prince dont le destin aurait pu être grand. Il ne doit pas avoir plus de vingt ans mais pourtant il est déjà mourrant. Quelques temps avant le début de l’album, il a courageusement pris part à une bataille contre des rebelles Tatars (qui d’ailleurs ne seront jamais soumis par aucune dynastie) mais a été blessé par une flèche empoisonnée à cette occasion. Depuis il cherche une échappatoire dans une croyance superstitieuse : lorsque le mont de la sérénité sera rouge, les dieux lui donneront longue vie, ce que le pragmatique Wu Tchi n’hésite pas à qualifier de « folie ». Sa fin est quelque peu précipitée par Enak. Il aura la joie de voir son souhait exaucé lorsque le soleil se couchera entre les montagnes, malheureusement pour lui ce fut la dernière.
L’empereur Xuan Di : C’est l’archétype de l’empereur chinois. On ne sait pratiquement rien de sa psychologie en dehors du fait qu’il a fui la bataille lorsque la cavalerie des Tatars menaçait sa vie et que cela lui vaut le mépris de son fils.
Son attitude est autoritaire, brutale et sans doute cruelle d’un point de vue européen. Du point de vue chinois de cette époque, elle est tout ce qu’il y a de plus normal.
J’ouvre ici une autre parenthèse historique.
La démocratie est un concept étranger à la culture chinoise antique et même moderne. Avant même la première unification de la Chine par Shi Huang Di, se développe la doctrine politique du « légisme » sous l’influence du philosophe Han Fei (vers 280-234 av J.C) qui sera le principal conseiller du premier empereur de Chine. Dans les grandes lignes il s’agit d’une philosophie totalitaire : l’Etat doit exercer son contrôle sur toute forme d’activité humaine, l’inégalité économique doit être exacerbée entre les individus procédant du même groupe social de façon à les rendre égoïstes et manipulables, toute forme d’innovation ou d’imagination y est bridée : le fonctionnaire qui outrepasse ses ordres et réalise ainsi sa mission avec zèle risque la mort, de même qu’un fonctionnaire qui exécute ses instructions de façon médiocre. A cela s’ajoute que toute forme d’identité culturelle est déniée : les chinois sont unifiés culturellement dans un groupe ethnique artificiel, celui des Hans, du nom de la dynastie suivante. C’est en quelque sorte une dictature autoritaire qui s’appuie sur une administration et qui n’a rien à envier au stalinisme. Au contraire du Confucianisme qui fait de la vertu une valeur de gouvernement, le légisme préconise l’abstraction de toute considération morale. Bien que supplantée par le confucianisme, le légisme est mis en œuvre dans l’administration sans changement majeur jusqu’à la chute du régime impérial en 1912.
Dans ces conditions, il ne faut pas s’étonner que l’empereur fasse impitoyablement exécuter les pêcheurs qui ont accueilli Alix et Enak et n’hésite pas à rassembler une armée pour poursuivre deux adolescents. Dans le légisme, la possibilité qu’un individu puisse désobéir sans le payer de sa vie n’est même pas envisageable.
Je ferme cette parenthèse pour donner quelques détails biographiques sur l’empereur Xuandi qui a bien existé. Il règne de 74 à 49 av J.C et connaît un début de règne assez agité. Marié à une roturière, l’impératrice Xu, celle-ci donne naissance à un enfant qui sera empoisonné ainsi que sa mère le jour même de l’accouchement par le clan Wuo. Ce clan qui règne militairement sur le pays depuis 80 av J.C lui impose comme seconde épouse la princesse Wuo qui devient donc impératrice et est certainement la mère de Lou Klein. En 68 av J.C, l’empereur parvient à se débarrasser du clan Wuo et exile sa femme dans le « palais de glace ». A part ça il est aussi connu pour avoir favorisé la diffusion du confucianisme, celle de la monnaie et pour avoir diminué les impôts des classes les plus pauvres tout en diminuant le salaire des fonctionnaires.
Wiong : « Un brave batelier qui parle quelques mots de grec que je lui ai appris laborieusement mais pas plus malin que sa rame ». Voilà le jugement quelque peu injuste que le prince Lou Klein porte sur son serviteur. Il est sans doute le personnage le plus attachant de cet album : dévoué corps et âme à son prince il fait preuve d’un très grand courage et d’un remarquable esprit pratique en sortant Alix de sa cage puis en organisant l’évasion d’Enak du tombeau. Sa seule motivation est de savoir que son maître voulait qu’Alix et Enak puissent sortir de Chine et cela lui suffit pour mettre sa vie en jeu et défier l’empereur de Chine. Une fois sa tâche accomplie il accepte son sort sans résistance car comme le fera remarquer le capitaine de l’Aigle de Feu, la vie d’un homme de Chine n’a pas de justification en dehors de celle de son maître.
Les costumes et détails anthropologiques :
Les Pirates : Ils sont habillés à la manière des Indiens que l’on peut observer dans les premières vignettes de l’album. Leur présence témoigne surtout de l’importance du commerce international à cette époque dans l’Océan Indien qui préfigure la mondialisation des échanges.
Les Chinois : Là ça va aller très vite car tous les individus procédant de la même classe sociale ou professionnelle (paysan, soldat, médecin, fonctionnaire) sont habillés à l’identique. Comme je l’ai dit plus haut, le légisme est une idéologie profondément déshumanisante et ce n’est pas un hasard si ce sont les révoltes paysannes qui ont fini par avoir raison du régime impérial.
Bien que les Chinois aient toujours été un peuple extrêmement nombreux, il s’est toujours assimilé à une seule ethnie : celle des Hans. A tel point qu’en Chinois, ce dernier nom propre se traduit par « homme des Hans ». La société chinoise a très peu évolué du point de vue culturel jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Pour cette raison, l’intrigue de « l’empereur de Chine » pourrait très bien être transposée en 1755, les costumes et coutumes ne s’en trouveraient certainement pas changés de façon profonde si on excepte l’art de la guerre.
Je note cependant une amélioration : dans le « Sphynx d’Or », les chinois de Jacques Martin étaient représentés de façon très sommaire, avec une longue natte et un dragon brodé sur leur costume à la façon des mandarins véhiculés dans l’imagerie populaire depuis la guerre des Boxers. Ici, le souci d’objectivité historique a été beaucoup plus poussé.
L’enterrement du prince Lou Kien : Jacques Martin reconstitue la scène de manière assez grandiose montrant l’embaumement du corps et sa disposition au sommet d’un autel au centre d’une immense nécropole dans laquelle sont rassemblées un certain nombre de serviteurs qui ingurgitent un poison après la cérémonie. Là je dois avouer que je n’ai rien trouvé sur ce thème de la sépulture des empereurs Hans donc je fais confiance à Jacques Martin sur ce point. Actuellement seules quelques statuettes ont été exhumées d’une tombe de Han antérieur.
Les Tatars : Ils n’apparaissent que dans quelques vignettes lors de la bataille livrée par le prince Lou Klein mais sont intéressants en ce qu’ils témoignent de la situation géopolitique de la Chine de l’époque. Je les appelle Tatars car ce nom est utilisé par Jacques Martin mais il s’agit en fait du peuple Xiongnu qui est peut-être l’ancêtre des Huns. Je me base sur un fait historique : en 49 av J.C, plusieurs tribus Xiongnus, à la suite de leur défaite font leur soumission à l’empereur de Chine, fait assez rare pour les tribus barbares.
Les Xiongnus n’étaient pas un peuple mongol, on se perd en conjecture sur leur origine exacte. Ils avaient une culture de langue orale et obéissaient à un souverain que les Chinois nommaient Shanyu qui vient peut-être du chinois archaïque dariya (faire pression). Ils sortent de l’Histoire en 91 ap J.C lors de la conquête chinoise pour y revenir grâce à la dynastie Weil qui règne sur le Nord de la Chine à partir de 155 ap J.C. La bataille livrée par le prince Lou Klein est sans doute très importante, si elle a été livrée en 49 av J.C, il est probable qu’elle a brisé la dernière révolte des Xiongnus.
Repères historiques :
2697 à 2598 av J.C : Règne mythique de Huang Di, « l’empereur jaune », considéré comme le père de la civilisation chinoise et le dieu du tonnerre.
2205 à 1767 av J.C : Règne de la dynastie Xia selon des sources historiques peu fiables.
1767 à 1122 av J.C : Règne de la dynastie Shang. La première dont l’existence soit prouvée par des sources écrites.
1122 à 256 av J.C : Règne de la dynastie Zhou. A partir de 481, le pouvoir de l’empereur devient symbolique.
481 à 221 av J.C : Période des Royaumes Combattants. Emergence du confucianisme, légisme et taoïsme.
221 av J.C : Shi Huangdi, prince de Qin l’emporte sur les autres royaumes chinois. Il se proclame empereur. Mise en oeuvre du légisme dans sa version la plus totalitaire. Environ 400.000 exécutions. Destruction par le feu (autodafé) de l’ensemble de la littérature historique et confucéenne.
207 av J.C : Une révolte féodale et paysanne emporte l’empire Qin seulement quatre ans après la mort de Shi Huangdi.
202 av J.C : Le soldat de fortune Liu Bang devenu général, réunifie le pays et se proclame empereur sous le nom de Gaozu. Il fonde la dynastie des Hans Antérieurs ou Occidentaux. Le légisme est réintroduit comme doctrine de gouvernement mais est purgé de certains de ses principes totalitaires.
74 à 49 av J.C : Règne de Xuandi, huitième empereur Han.
C’est sous son règne que se situe l’action de « L’empereur de Chine ».
80 à 68 av J.C : Dictature du général Huo Guang durant le règne de Xuandi.
Ce dernier évènement est peut-être la référence historique de la nomination du prince Wu Tchi au grade de général en chef.
9 à 23 ap J.C : Dynastie Xin. Règne de l’usurpateur Wang Mang.
23 ap J.C : Rétablissement de la dynastie des Hans dits « Postérieurs » ou « Orientaux » en référence au déménagement de la capitale impériale.
A cette époque la « route de la Soie » génère des échanges culturels entre les peuples commerçants. On trouve pour la première fois la mention des Chinois dans les textes romains antiques où ils sont appelés « Sères ». On n’a actuellement aucune preuve tangible d’une interaction directe entre les Romains et l’empire chinois. Par contre on a retrouvé une
statuette à l’effigie du Bouddha dans la tombe d’un Viking mort au 10e siècle de notre ère…
1271 ap J.C : Marco Polo est le premier européen après Alix et Enak à effectuer un voyage aller-retour en Chine.
L’action de « l’Empereur de Chine » se situe donc sous le règne de Xuandi. Compte tenu de ce que l’action d’Alix débute en 52 av J.C, nous sommes probablement dans les dernières années du règne de l’empereur. A la mort de Xuandi, les pressions féodales et paysannes deviennent plus fortes et conduisent à la chute provisoire des Hans. Alix et Enak côtoient donc une dynastie qui n’en a plus pour longtemps.