Je viens de relire
Le tombeau étrusque.
En ce qui me concerne, c'est sans doute une très grande réussite de la série et de la BD en général.
Formellement, c'est l'apogée du style martinien pour les personnages, très bien épaulé par Roger Leloup pour les décors. On atteint une finesse d'expression et d'attitudes (cf les superbes planches en NB reproduites plus haut) qui n'ont rien à envier à Hergé ou Jacobs. L'épaisseur variable du trait est d'une précision et d'une sensibilité étonnantes, bien que malheureusement souvent écrasées par la mise en couleurs (ce n'est pas une critique, elle est très belle en tant que telle). On est loin ici d'un supposé "académisme" graphique qui était fréquemment le reproche fait à Martin dans les années 70-80.
Le scénario est d'une grande finesse et n'est pas manichéen. Certes, les molochistes dirigés par Brutus peuvent apparaître comme un repoussoir absolu, mais la civilisation romaine est loin d'être épargnée : le préfet Pollion en incarne une forme de décadence, d'autant qu'il entretient une relation plus que trouble avec Brutus. L'esclavage de masse souvent inhumain pratiqué par Rome n'est pas davantage passé sous silence, non plus que les effets de la guerre civile entre César et Pompée. Inversement, un molochiste secouru par Alix se dresse contre ses anciens maîtres.
Ce qui est encore plus intéressant est la mise en perspective du culte de Baal depuis ses origines et son importance dans l'histoire de Carthage. On a droit ici à une "histoire dans l'histoire" tout à fait passionnante pendant une demi-douzaine de pages. Martin aura l'occasion de revenir sur ce thème dans
Le spectre de Carthage, qu'on peut considérer comme la suite directe de cet album. Cette rétrospective est critiquable au niveau de l'historiographie actuelle (il n'est pas certain que les Carthaginois sacrifiaient couramment leurs enfants à Moloch-Baal), mais les sacrifices humains étaient bel et bien une dimension de l'Antiquité religieuse.
Et puis, il y a Lidia Octavia. On peut regretter que Jacques Martin n'ait pas vraiment réutilisé ce personnage par la suite (on pourrait évoquer
Roma Roma mais cet album m'est un sujet pénible
). En revanche, Valérie Mangin ne s'y est pas trompée. Si un repreneur de la série classique pouvait la réintroduire dans un album, je lui en serais fort reconnaissant. Les détracteurs de Martin lui reprochent souvent le manque de finesse graphique de ses personnages féminins : je trouve que c'est ici immérité car Lidia incarne un personnage à la fois gracieux, fort et fragile. Certes, elle remplit un temps le rôle "victime à secourir sur le point d'être la proie d'une mort horrible" (c'est plutôt le créneau d'Enak d'habitude !
) mais elle fait preuve d'une fermeté de caractère et d'un courage face aux molochistes tout à fait remarquables.
On peut juste regretter que la civilisation étrusque soit un peu rapidement survolée.
De mon point de vue, c'est un des sommets de la série.