Sylvain Vallée est un dessinateur français né en 1972. Petit à petit, il s'est imposé comme un acteur majeur de la BD. Parmi ses faits de gloire, citons le remarquable et célèbre
Il était une fois en France, avec Fabien Nury au scénario, inspiré d'un fait réel et racontant la vie controversée de Joseph Joanovici, un juif affairiste durant la Seconde Guerre mondiale (https://fr.wikipedia.org/wiki/Joseph_Joanovici). Récemment, Vallée a produit
Tananarive, avec Mark Eacersall, une belle et étrange fable sur la vieillesse.
Aujourd'hui, le dessinateur s'est acoquiné avec Jacky Schwartzmann pour produire un OVNI bédéesque, un mélange réussi de religion, d'humour loufoque, de polar et d'humanisme :
L'être nécessaire. L'ouvrage constitue le premier tome d'un diptyque intitulé
Habemus Bastard .
Lucien est un homme de main du grand banditisme lyonnais. En exécutant un contrat, notre personnage fait une erreur et tue accidentellement un prêtre, le neveu d'un parrain de la mafia lui partageait la chambre de sa cible. Lucien doit donc se cacher et il prend l'identité du religieux. Il se retrouve ainsi curé de la paroisse de Saint-Claude, dans le jura. Malgré sa totale méconnaissance du culte, le jeune homme va peu à peu conquérir le cœur de ses fidèles, notamment grâce à des sermons et surtout des méthodes peu orthodoxes qui lui permettent entre autres faits de sauver la vie d'un jeune "dealer" et de négocier le prix de la rénovation de l'église.
Cet ouvrage nous raconte la pseudo rédemption d'un anti-héros. Et la force du scénario tient dans le fort contraste entre les habitants paisibles d'une petite ville de province et la personnalité sans scrupule d'un truand au grand cœur pour lequel la fin justifie les moyens. Clairement, Lucien allie le pistolet et la Bible avec une redoutable efficacité. Au-delà de l'irrespect, la BD étant clairement anticatholique, les oppositions génèrent beaucoup d'humour. Un humour noir mais un fort humour quand même. On pense beaucoup au cinéma avec
Les tontons flingueurs ou dans un tout autre registre
Le cercle des poètes disparus.
Ce premier tome nous raconte l'ahurissante et totalement invraisemblable insertion de Lucien dans la petite ville de Saint-Claude où les habitants, abusés puis charmés par ce prêtre atypique, vont l'adopter. Le prêtre dont notre héros a pris la soutane fréquentait des milieux sombres et l'ouvrage se termine sur l'arrivée "programmée" de truands chargé d'éliminer le religieux, dans le cadre d'une guerre des gangs.
Signalons enfin le titre irrévérencieux et en même temps parfaitement adapté de l'ouvrage qui caricature le célèbre "
Habemus Papam" prononcé à l'issu des conclaves lorsque le pape est élu.
Le style de Vallée semi réaliste de Vallée témoigne d'un immense professionnalisme. L'artiste maitrise parfaitement ses silhouettes et ses visages à la fois caricaturaux et profondément expressifs. De plus, cerise sur le gâteau, le dessinateur multiplie les cadrages et les vues audacieuses, tous plus réussis les uns que les autres.
J'ai plutôt apprécié cette BD (très) impertinente et amorale, à l'humour caustique, mais aussi étrangement humaine. Le scénariste réalise le tour de force de rendre attachant un personnage individualiste et sans scrupule. Et le trait si particulier du dessinateur ne peut que séduire. Un superbe divertissement qui nous plonge dans la tonalité des années 60. Entre
EEE et
EEEE.
Eléanore