Donc, je vous propose un nouveau voyage sur les traces du "Cheval de Troie". Deux des étapes de ce voyage ayant été déjà décrites en détail à propos de "La chute d'Icare", en l'occurence Délos et un sanctuaire d'Asclépios, je n'y reviendrai pas ici.
En revanche, j'examinerai de manière plus approfondie Olympie, et les jeux Olympiques, ainsi que Delphes et sa fameuse Pythie, Epidaure, Priène et Pergame.
J'aime beaucoup cet album pour son étonnant contraste entre ses couleurs flamboyantes ( au sens propre également : ça brûle beaucoup, dans cette histoire ! ) et la noirceur de sa double intrigue.
LE CHEVAL DE TROIE
Dix-neuvième aventure d'Alix
Le résumé
Alix et Enak, accompagnés cette fois d'Héraklion, rejoignent le général Horatius, devenu gouverneur de la province de Pergame, et résidant à Priène, en Asie mineure. En effet, le général souhaite adopter Héraklion et en faire son héritier, en compensation de la défaite de sa mère et de la perte de son royaume grec, dont il s'estime responsable. Mais la volonté d'Horatius s'oppose à celle de sa belle-sœur, Hermia, qui veut lui faire épouser sa fille Daphné pour mettre la main sur sa fortune, et qui est prête à tout pour cela, jusqu'au crime. Les deux femmes ont trouvé comme alliés des descendants de Troyens qui veulent détruire le symbole de leur défaite plus que millénaire, le cheval de Troie, conservé dans un temple de Priène sous la garde d'Horatius...
Quand cela se passe-t-il ?
Si nous admettons, faute d'autre repère chronologique, que cette aventure d'Alix se situe comme la plupart des autres, entre -52 et -49, nous avons cependant une bonne raison de la situer dans un choix plus large, soit entre les années -52, -48 et -44 qui sont toutes des années olympiques.
En effet, au début de l'histoire, Alix est à Olympie, où il participe de toute évidence aux Jeux Olympiques. Il est même vainqueur d'une course dont la nature n'est pas précisée, probablement une course de chars ; on sait depuis longtemps qu'il est un excellent aurige amateur, et on l'a vu plus d'une fois conduire un char avec succès dans plusieurs récits.
Essayons de cerner plus précisément la chronologie.
En -52, nous savons où était Alix et ce qu'il faisait : en Gaule, au siège d'Alésia, puis en Égypte, pour l'affaire du Sphinx d'or. Il n'a donc pas eu l'occasion de participer aux Jeux.
En -48, c'est le 9 août de cette année que César vainquit Pompée à Pharsale, en Thessalie. Les Jeux ayant lieu en juillet, peut-on envisager qu'Alix, partisan de César, ait pu disposer de son temps pour y participer juste avant la bataille, à la préparation de laquelle il n'est fait aucune allusion, alors qu'elle est toute proche dans l'espace et dans le temps ? Possible...
Enfin, en -44, César vient d'être assassiné en mars. Alix est désormais plus libre de ses mouvements et on sait qu'il a peu de goût pour les jeux politiques qui ont suivi. Un dérivatif pour lui, après le drame qui vient d'avoir lieu ? Possible aussi...
Ensuite, on sort largement de la chronologie habituelle de ses aventures. Je laisse au lecteur le choix, entre ces deux dernières années, de celle qui lui convient le mieux.
Où cela se passe-t-il ?
L'histoire commence à Olympie, sur le site des Jeux Olympiques. Elle se poursuit à Delphes, dans le sanctuaire d'Apollon, puis à Epidaure, dans le temple d'Asclépios, le dieu guérisseur. Elle se termine à Priène, en Carie, sur la côte ouest de l'Asie mineure.
Le contexte
Il n'y a pas à proprement parler ici d'allusion au contexte politique romain de l'époque. Signalons toutefois le cas particulier de l'ancien royaume de Pergame, devenu province romaine et dont Horatius est le gouverneur. Le dernier roi de ce royaume au passé agité, Attale III, n'ayant pas d'héritier direct, l'avait légué à la République romaine en -133. Rome prit son temps pour accepter le legs, ce qui permit à un usurpateur de s'installer. Celui-ci vaincu, la province devint romaine en -129, amorçant l'engagement permanent de Rome en Orient. Néanmoins, Pergame eut la mauvaise idée de prendre le parti de Mithridate au cours de la guerre de -89/-85 et fut châtiée par Sylla. En -48, pour compenser les pertes dues à l'incendie de la Bibliothèque d'Alexandrie, celle-ci reçut les 200 000 volumes de la bibliothèque de Pergame. Sous l'empire, la province fut prospère. Le célèbre médecin Galien fit ses études au sanctuaire d'Asclépios de Pergame ( II° siècle ). Son autre titre de gloire est qu'on y inventa le « papier de Pergame », le pergamena : le parchemin.
De ville en ville : Olympie, Delphes, Epidaure, Délos, Priène
Alix et ses amis se déplacent encore une fois beaucoup, au cours de cette aventure. Ils n'atteignent d'ailleurs leur but, Priène, qu'au milieu de récit, après des tribulations renouvelées à chaque étape. Sans revenir sur l'intrigue, voyons quels sont les théâtres de leurs exploits.
Olympie et les Jeux Olympiques
Olympie est un sanctuaire, et non pas une ville, dédié à Zeus, et où trône sa statue chryséléphantine ( or et ivoire ), par Phidias. Les lieux sont uniquement habités par les prêtres et le personnel des temples en dehors des périodes des Jeux.
Plutôt que de Jeux, il vaudrait mieux, comme les Grecs qui parlaient d'agônes, utiliser les termes : compétition, rivalité ou concours.
Ils auraient été institués pour commémorer la victoire remportée à la course de chars par Pélops, fils de Tantale, roi de Lydie, et qui donna son nom au Péloponnèse, sur Oenomaos, roi de Pisa, dont il voulait épouser la fille.
Selon la tradition, les Jeux Olympiques furent instaurés en -776, mais il semblerait que les cinquante premiers Jeux étaient annuels, ce qui fait redescendre leur fondation à -630, et les premiers Jeux quadriannuels à -580. Ils se déroulaient en Juillet pendant cinq jours et emportaient une trêve des combats ( chez les Grecs, il y avait toujours un conflit en cours... ) commençant un mois avant le début des Jeux et se terminant un mois après leur conclusion pour permettre aux athlètes de voyager sans dommages
Les derniers Jeux eurent lieu en 393 ( édit de Théodose ).
Le sanctuaire d'Olympie dépendit d'abord de la petite cité de Pisa, puis il fut rattaché au territoire de la cité d'Elis et les Eléens assurèrent pendant des siècles la gestion du sanctuaire et la présidence des Jeux ; cette petite cité ne joua jamais un grand rôle dans l'histoire politique du monde grec ; elle était gouvernée par une étroite oligarchie parmi les membres de laquelle étaient choisis les juges des Jeux et les nomographes qui en fixaient les règlements destinés à prévenir les fraudes et les tentatives de corruption.
Les athlètes étaient des hommes libres n'ayant jamais eu de condamnation pour un motif grave. Les épreuves ont varié au cours des temps, mais celles qu'on trouve régulièrement sont : la course à pied, la course en armes, le pugilat, le pancrace, le pentathlon ( comprenant : lancer de javelot, lancer de disque, saut en longueur, course et lutte ), ainsi que des courses de chars et des courses montées. Particularité de ces dernières : le vainqueur des épreuves hippiques était le propriétaire des chevaux, et non pas l'aurige ( ici, Alix est certainement les deux ) ; si les chevaux étaient la propriété d'une femme, elle pouvait donc être déclarée vainqueur, alors qu'elle ne pouvait ni assister, ni participer aux Jeux ; ce fut le cas de Cynisca, sœur du roi spartiate Agésilas, victorieuse en -396 et -392.
Parallèlement aux épreuves sportives se déroulaient des manifestations artistiques et intellectuelles : lectures, récitations, expositions. La politique n'était pas absente, c'était l'occasion de se rencontrer pour des négociations diplomatiques ou des publications d'alliances ou de traités ; des orateurs, tels Lysias, pouvaient y développer leurs idées. Le stade pouvait contenir 40 000 spectateurs.
La présence des femmes était interdite sur le lieu des épreuves, mais les Jeux Héréens, dédiés à Héra, leur étaient réservés dans le même temps. Il y avait une seule épreuve, une course de vitesse ; les concurrentes étaient divisées en trois équipes selon leur âge.
A l'origine, les athlètes étaient de jeunes aristocrates de cités, ce qui explique qu'ils ne participaient pas pour de l'argent et que les récompenses n'étaient que des couronnes de lauriers. Dès le -IV° siècle, le professionnalisme fut la règle, on devint athlète à temps complet, ce qui impliquait un entraînement constant, un régime draconien et la participation aux plus grand nombre de Jeux possible pour pouvoir en vivre et faire vivre son entraîneur. Outre les Jeux Olympiques, il y avait des Jeux à Némée, à Corinthe ( Jeux isthmiques ), à Rhodes, à Argos, à Delphes, à Athènes ( Panathénées ), etc. On n'hésitait pas à se doper, à tricher et à acheter les adversaires ; les athlètes convaincus de fraude à Olympie devaient payer une amende servant à ériger les Zanes, statues de Zeus en bronze.
Faute d'instruments adéquats, la notion de mesure des temps, et donc de comparaison pour établir des records, était inconnue ; un athlète ne pouvait donc se comparer qu'à ceux qui concouraient en même temps que lui.
Mais les vainqueurs connaissaient ensuite la gloire et les honneurs : de retour dans leur ville d'origine, celle-ci avait à cœur de les prendre en charge, ainsi que leur famille.
A partir de -146, date de l'annexion de la Grèce par Rome, les citoyens romains purent participer aux jeux Olympiques.
Dans la plupart des cités, les années étaient datées en fonction des Olympiades, mais les autres cités organisant des Jeux, telles que Némée ou Corinthe, avaient leur propre système de datation, basé sur la périodicité de leurs Jeux. Pour s'y retrouver, nos ancêtres avaient des tables de comparaison, mais aussi des mécanismes plus sophistiqués, comme la fameuse machine d' Anticythère, basée sur le calendrier de Corinthe, fabriquée à Syracuse ou à Rhodes entre -150 et -100, et découverte dans une épave en 1901 ( cf. Science et Vie de septembre 2008 ).
Delphes et l'oracle d'Apollon
Selon la mythologie grecque, Delphes ( de delphi, dauphin ), était le centre du monde, l'omphalos. Le sanctuaire panhellénique ( commun à tous les Grecs ) était dédié à Apollon qui l'avait disputé au serpent Python ( d'où le nom de la Pythie ). Il se développa à partir de -800 et devint le sanctuaire le plus réputé et le plus riche du monde grec et méditerranéen ; rien d'étonnant donc que la première banque soit apparue à Delphes au -VI° siècle. Des Celtes en maraude le menacèrent en -279/-278, mais ne le pillèrent pas, ce qui fut attribué à l'intervention miraculeuse d'Apollon : selon la tradition, le dieu envoya un orage qui flanqua aux pillards une trouille majuscule pendant qu'ils se trouvaient dans le temple. Le culte et l'oracle prirent fin en 392 selon l'édit de l'empereur chrétien Théodose.
Du bon usage de la Pythie
La parole d'Apollon était transmise par l'intermédiaire de la Pythie, prêtresse ou prophétesse, d'abord choisie parmi des jeunes filles vierges et incultes de la région, puis parmi des femmes plus âgées, à la suite, semble-t-il, d'affaires de mœurs. La Pythie ne prophétisait qu'un jour par mois pendant les neuf mois que le sanctuaire était consacré à Apollon ; pendant les trois autres mois, Apollon se reposait dans le nord et Dionysos prenait possession du sanctuaire, sans oracle.
Le consultant ( jamais une consultante ) payait une taxe pour poser sa question, et une surtaxe s'il voulait échapper à la longue file d'attente. La Pythie ne se serait donc pas adressée spontanément à Alix qui ne lui avait apparemment rien demandé. Les prêtres qui assistaient la Pythie reformulaient la demande sous la forme d'une alternative.
La Pythie rendait l'oracle dans une salle souterraine du temple, l'adyton, où elle descendait après s'être purifiée avec l'eau de la source Castalie ; elle s'installait sur un trépied et mâchait des feuilles de laurier pour entrer en extase mystique, l'enthousiasmos. On a prétendu qu'elle entrait en transes sous l'influence d'émanations de gaz venues du sol, mais les fouilles n'ont révélé aucune fissure dans le sol schisteux.
Après avoir sacrifié une chèvre, le consultant descendait lui aussi dans une autre salle souterraine, l'oïkos, voisine de l'adyton et séparé de lui par un voile qui cachait la Pythie. Les paroles de celle-ci étaient rendues claires par les prêtres qui en donnaient l'interprétation.
Les Grecs avaient une grande confiance dans l'oracle d'Apollon et une non moins grande méfiance envers ses prêtres delphiens qu'ils considéraient comme des parasites du dieu. Les questions à la Pythie portaient sur des problèmes aussi bien intimes ou familiaux que politiques. Pour ces derniers, afin que les prêtres n'en dévoilent pas la teneur aux adversaires éventuels, on prenait des précautions. Ainsi, en -355, les Athéniens vinrent demander à Apollon s'ils pouvaient mettre en culture des terres frontalières sans s'attirer la colère d'une cité voisine. Ils écrivirent eux-mêmes les deux termes possibles de l'alternative sur deux tablettes et les déposèrent, l'une dans un vase d'or, l'autre dans un vase d'argent, puis ils demandèrent à la Pythie quel vase ils devaient choisir, sans révéler à quiconque ce qu'ils contenaient.
La troisième année de chaque Olympiade, des Jeux Pythiques étaient organisés sur le modèle des Jeux Olympiques.
Epidaure
Cette ville possédait un sanctuaire où l'on vénérait Asclépios, le dieu guérisseur. Son théâtre, construit au milieu du -IV° siècle par Polyclète, est l'un des mieux conservés du monde grec. Son acoustique est remarquable : il est possible d'entendre de chacune de ses places tous les sons produits sur la scène. Des jeux comportant des courses de chevaux et des concours de poésie y étaient organisés. Epidaure devint l'alliée de Rome, ce qui n'empêcha pas Sylla de la ravager en -87 et de piller le trésor de son temple. Elle cesse de faire parler d'elle après le VI° siècle de notre ère.
Pour le culte d'Asclépios, voir l'étude sur La chute d'Icare.
Délos
Nos voyageurs n'y font qu'un bref passage. Pour sa description, voir également l'étude sur La chute d'Icare.
Priène
Cette cité grecque d'Asie mineure, en Carie, fut fondée par des Ioniens au -XI° siècle ; elle est située à l'embouchure du fleuve Méandre, en face de Milet. C'était un important centre religieux, avec des temples consacrés à Poséidon, Athéna et Déméter. Son histoire agitée fut celle de toutes les cités de cette région, impliquée dans les guerres Médiques contre les Perses, puis alliée d'Athènes dans la Ligue de Délos. Libérée de la tutelle Perse par Alexandre le Grand, elle fit ensuite partie du royaume des Séleucides, puis de celui des Attalides de Pergame ( voir : le contexte ).
Comment est racontée l'histoire
Le dessin est toujours aussi somptueux et d'une grande précision documentaire. Les personnages et le lecteur se promènent de sanctuaire en sanctuaire, la mise en couleur des temples et des monuments donnant une image exacte de ce qu'était le décor pour les gens de cette époque.
Le scénario est curieusement construit. Il y a deux histoires qui se rejoignent tout en gardant en partie leur autonomie : celle de la vengeance des Troyens et celle des problèmes familiaux d'Horatius ; chacune aurait pu faire l'objet d'un développement séparé. Mais par la grâce d'Hermia, qui a besoin d'hommes de main peu scrupuleux, ceux qui se ressemblent s'assemblent, pour le pire. La fin est particulièrement cruelle et terrifiante. Or, les clés de l'affaire sont rapidement données par Adroclès avant la moitié du récit, et le suspense n'est entretenu que pour parvenir à cette conclusion inéluctable.
L'histoire du cheval de Troie est également trop connue pour qu'il soit utile d'y revenir ici ; elle est d'ailleurs racontée page 21.
Les personnages
Alix : il croit que sa mission se limitera à conduire Héraklion auprès d'Horatius, mais il s'aperçoit vite que les choses seront un peu plus compliquées et nettement dangereuses quand ses adversaires commencent à se dévoiler, d'autant plus que ça lui tombe de partout : Adroclès et les hommes-chevaux, les dames de proie... Il devient méfiant, voire carrément hostile à Hermia, ce que traduisent quelques remarques acides de sa part, et ce en quoi il a raison. Il se défend lorsqu'il le faut, mais il a rarement l'initiative, car la partie adverse, multiforme, a presque toujours un temps d'avance sur lui. Son but est de protéger Héraklion, et il n'y parvient pas toujours. Il ne sera pour rien dans la dernière phase de l'histoire, échappant de peu, avec ses jeunes amis, au sacrifice final ; cela ne lui ressemble pas, d'abandonner tant de personnes en danger, même si elles ne sont guère fréquentables : pourquoi n'a-t-il pas assommé Horatius dès qu'il a compris ( ce que je suppose, dès qu'il voit Horatius mettre le feu à la vasque, page 43 ), avant qu'il commette l'irréparable, au lieu de fuir avec les deux garçons par le toit d'un bâtiment barricadé ( page 44 ) ? Il aurait sauvé tout le monde, Horatius compris, et la conclusion aurait été différente. Je me demande pourquoi Jacques Martin lui a fait jouer un tel rôle aussi peu gratifiant et qui ne fait pas honneur à son courage et à sa perspicacité habituels. Mais il fallait bien finir l'histoire sur une note dramatique.
Enak : on le voit ici prendre soin de son cadet, Héraklion, en grand frère attentif, lui donnant des explications, s'inquiétant de l'effet des « potions magiques » d'Hermia, et secondant Alix du mieux qu'il peut, en particulier pour se débarrasser du cheval,ce qui lui vaut quelques brûlures et l'ironie de la mégère. C'est le signe qu'il n'hésite plus à monter en première ligne et à se mettre en danger en toute connaissance de cause, preuve d'une plus grande maturité qui s'accentue au fil des épisodes.
Et, par ordre d'entrée en scène :
Héraklion : c'est son premier rôle important ; trop jeune jusqu'ici, il était plutôt le jouet des circonstances. D'abord peu enthousiaste pour être adopté par Horatius, qui est tout de même celui qui a provoqué la défaite de sa mère, puis, indirectement, la mort de celle-ci, ainsi que la fin de leur rêve d'un royaume grec, il finit par prendre l'affaire au sérieux, allant jusqu'à défendre Horatius contre les agressions d'Hermia. Cela ne l'empêchera pas de devenir otage, en échange de la destruction du cheval et du mariage d'Horatius. Et en définitive, Horatius ne pourra pas l'adopter, mais, en théorie, cela ne lui interdirait pas d'être malgré tout son héritier, puisque le général ne semble pas avoir d'autre famille et aurait pu prendre, mariage ou pas – et dont on connaît la conclusion – les dispositions qui s'imposaient. Nous ne le reverrons que dans Roma, Roma, où « il suit son entraînement de jeune cavalier au Champ de Mars » dit Enak. Si c'est pour servir plus tard comme officier dans l'armée romaine, cela signifie que, né Grec, il est devenu citoyen romain ; dans ce cas, il est possible qu'Alix lui ait rendu le même service qu'à Enak, en l'adoptant ( cf. l'article « Citoyen romain » dans l'étude de L'enfant Grec.)
Les hommes-chevaux : on se demande bien, d'abord, qui sont ces étranges personnages, avec leurs déguisements, qui interviennent brutalement dès le début de l'histoire. Ces descendants de Troyens ont vraiment la mémoire longue : au moins mille ans ! Pour parvenir à leurs fins, ils n'hésitent pas à se mettre au service d'une cause douteuse, mais tous les fanatiques en sont là un jour ou l'autre. Pourtant, ils ne semblent pas avoir d'hostilité particulière envers nos héros, sauf celle que leur dictent les circonstances, seulement attachés à leur objectif symbolique dont ils voient enfin l'aboutissement. On remarquera qu'ils restent tous anonymes, et peu importe, au fond, car il semble bien que leur épopée va s'arrêter avec leurs vies, à la fin de l'histoire : ils n'auront eu que très brièvement la satisfaction de voir leur vengeance accomplie.
Horatius
On peut se demander pourquoi, alors qu'il dispose quasiment à sa porte du sanctuaire d'Asclépios de Pergame, il va consulter celui d'Epidaure, beaucoup plus éloigné. Est-ce pour prendre du champ par rapport à des responsabilités qui n'ont jamais été son fort, ou pour tenter de décourager Hermia et sa fille ? C'est à un homme désespéré et déprimé que nous avons affaire, au harcèlement des deux femmes venant s'ajouter l'histoire du cheval dont il se serait bien passé, les deux venant ternir sa joie et son espoir de redonner enfin une famille et une situation à Héraklion. La méchanceté des uns et des autres ne le permettra pas et il se sacrifiera, pour ne pas vivre avec la honte d'avoir été faible, avec ceux qui l'ont tourmenté, dans un holocauste flamboyant, ne sauvant qu'Héraklion et ses compagnons et ne s'apitoyant que sur le sort des esclaves.
Hermia : d'habitude, les dames que rencontre Alix sont plutôt avenantes, même si elle ont de fortes personnalités. Cette virago est une exception. Ambitieuse, âpre au gain, totalement dénuée de scrupules, elle fait tout pour récupérer la fortune d'Horatius, y compris lui donner sa fille, ce qui est encore le moins condamnable. Pour qu'elle arrive à ses fins, tout doit plier devant elle, elle s'allierait avec le diable si d'aventure il passait par là, et il n'est pas certain qu'il aurait le dernier mot. On a rarement rencontré un personnage aussi haïssable, et qui, en plus, se moque ouvertement des malheurs d'autrui. Personne ne la regrettera.
Daphné : cette jolie fille fait pâle figure à côté de sa terrible mère, mais elle la suit en tout, car elle doit partager bon nombre de ses « qualités ». Ce qui est certain, c'est qu'elle aura le même sort. En tout cas, le charme d'Alix n'a pas semblé opérer sur elle.
Adroclès : le revoici en mercenaire, parce qu'il faut bien gagner sa vie, au service d'Hermia et son intermédiaire auprès des hommes-chevaux. En professionnel efficace et consciencieux, il met tous les moyens et donc toutes les chances de son côté, et il parvient à ses fins en ce qui concerne le sort du cheval. Le reste l'indiffère assez, en particulier l'avenir de ses complices. S'il témoigne d'une certaine considération pour Alix, il envisage froidement de le sacrifier s'il le gêne, comme il l'a déjà fait pour d'autres alliés ou adversaires. Il reste donc un homme de main, qui risque sa peau, le sait, et fait bon marché de celle des autres, même s'il paraît moins cruel que son frère Arbacès : il laisse à Alix une chance de s'en sortir ( page 22 ).
Sophorus : cet officier austère est tout dévoué à Horatius qu'il sert de son mieux et dont il comprend les motivations finales, allant jusqu'à l'assister dans son funeste projet, preuve qu'il n'a pas beaucoup de considération, lui non plus, pour les autres personnes concernées. Il ne partage peut-être pas la décision de son chef d'aller jusqu'au sacrifice de sa personne, mais il obéit sans discuter, et, le gouverneur disparu, il continue à poursuivre les hommes-chevaux afin que leur coup d'audace ne reste pas impuni.
Conclusion
Un récit assez étrange, tant par son déroulement en étapes successives d'une ville à l'autre, faisant rebondir ainsi le mystère, que par son aboutissement tragique. Les belles couleurs des régions traversées ne doivent pas occulter la noirceur de l'histoire, l'une des plus dures de la saga d'Alix. C'est aussi le dernier album qui soit entièrement de la main de Jacques Martin, le seul aussi qui comporte une maquette à découper et assembler, celle du « Cheval de Troie » que j'ai toujours gardé précieusement sans oser y toucher.
Sources : voir les précédentes études, et en particulier : « Le dictionnaire de l'Antiquité », de Jean Leclant ( PUF ).
La prochaine fois : « Les Barbares » ( Qui étaient les Barbares ? L'ambre; Centurions et tribuns... )
-oOo-